Wanjira Mathai, au nom de la mère

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Wanjira Mathai
Wanjira Mathai WORLD RESOURCES INSTITUTE

Une date a changé la vie de Wanjira Mathai. Sans trop savoir pourquoi, un jour de février 2000, elle laisse derrière elle Atlanta, aux Etats-Unis, direction le Kenya. La fille cadette de Wangari Maathai a grandi dans ce pays d’Afrique de l’Est, mais vit depuis douze ans de l’autre côté de l’Atlantique, où elle a étudié la santé publique et où elle travaille à la Fondation Carter. « Les Etats-Unis étaient mon horizon. Et puis, d’un coup, j’ai ressenti ce besoin de rentrer. Je ne savais pas vraiment exprimer pourquoi, mais c’était clair », raconte au Monde cette femme grande, élégante et charismatique dans un café populaire de Nairobi, la capitale kényane. Depuis, cet aller simple a pris tout son sens.

Lorsque Wanjira débarque au Kenya, sa mère y est une figure du militantisme. L’écologiste s’est fait connaître à la fin des années 1970 avec le Green Belt Movement (Mouvement de la ceinture verte), qui a incité des milliers de femmes à planter des arbres dans ce pays abîmé par la déforestation et qui a fini par influencer son gouvernement sur l’importance de ce sujet – un plan national de reforestation a été ainsi lancé en 2018. Puis, sous la dictature de Daniel Arap Moi, dans les années 1980 et 1990, elle a porté le combat pour la libération des prisonniers politiques. Au début de XXIe siècle, le Kenya entre dans une nouvelle ère avec l’élection de Mwai Kibaki en 2002 et Wangari Maathai, pour qui démocratie et environnement ont toujours fait partie du même combat, sera élue députée.

Wanjira Mathai, qui s’était depuis toujours attachée à tracer sa propre voie, devient petit à petit l’assistante de sa mère. « Je faisais ce qu’elle voulait, sourit-elle. Ecrire des lettres, chercher des financements, recevoir des invités de passage, créer un site web… En somme la décharger de tout et de rien ! » Heureuse dans ce rôle, elle décide pourtant, après quatre ans, que l’heure est venue de rentrer aux Etats-Unis. C’était sans compter sur une autre date capitale : le 8 octobre 2004. Ce jour-là, quinze jours avant son vol retour, Wanjira s’assoit dans un restaurant à l’heure du déjeuner. La télé, branchée sur CNN, diffuse l’annonce du nouveau prix Nobel de la paix. Le nom tombe : « Wangari Maathai. » « Quel choc… Je suis assise là, tout le monde crie, personne ne sait qui je suis… » Repartir n’est plus possible.

La prix Nobel de la paix Wangari Maathai, le 22 septembre 2009 lors du sommet sur le climat à l’ONU, à New York.
La prix Nobel de la paix Wangari Maathai, le 22 septembre 2009 lors du sommet sur le climat à l’ONU, à New York. EMMANUEL DUNAND / AFP

Lutter contre l’égoïsme

Wanjira se transforme en « chef de cabinet » de sa mère, désormais sollicitée par des journalistes et des officiels du monde entier. « Ce fut une expérience incroyable et un privilège de pouvoir apprendre d’elle, d’être “contaminée” par sa compassion, par sa folie, tout en elle était si intense… J’ai su à ce moment-là pourquoi j’étais rentrée. » Une intuition qui se confirme lorsque, en 2011, l’égérie décède d’un cancer. Un peu contre sa volonté, poussée par les compagnons de lutte de sa mère, celle qui était hostile à l’idée de faire du Green Belt Movement une « affaire de famille » reprend le flambeau en tant que présidente – ses deux frères sont aussi impliqués –, parcourant le monde, à l’occasion notamment des conférences des Nations unies sur l’environnement.

Lire aussi la nécrologie publiée en 2011 : Wangari Maathai, Prix Nobel de la paix 2004

« Sa fille était la personne en qui Wangari avait le plus confiance. A son décès, il fut évident pour tout le monde qu’elle était celle qui pourrait continuer à porter le mouvement, à pouvoir mener cette transition délicate. Wanjira a elle aussi cette passion, ce caractère qui attire les gens dans son orbite et les implique », estime Vertistine Mbaya, amie de longue date des deux femmes.

Depuis 2018, Wanjira, aujourd’hui âgée de 47 ans, se consacre à la Fondation Wangari Maathai, qu’elle a créée trois ans plus tôt. « Je dis souvent que le Green Belt Movement est ce qu’elle a créé, tandis que la fondation est ce qu’elle était », explique-t-elle. L’organisation se consacre à la sensibilisation et à la responsabilisation des jeunes dans un pays miné par la corruption (50 % d’entre eux pensent que tous les moyens sont bons pour gagner de l’argent, tant qu’on évite la prison, selon une étude de 2016 qu’elle cite souvent). « Certes, le plus grand défi est le changement climatique, mais, de façon sous-jacente, il y a la cupidité, l’égoïsme et l’apathie. A moins de résoudre ça, on n’ira jamais à la racine du problème. »

La Fondation fait également vivre la mémoire de la Prix Nobel à travers des actions publiques. La dernière en date : son engagement fin octobre, aux côtés du Green Belt Movement, contre un projet gouvernemental visant à empiéter sur Uhuru Park, l’un des uniques espaces verts et publics du plein centre de Nairobi, pour y faire passer une autoroute. Sous la pression, l’exécutif a reculé. Un écho au combat de Wangari Maathai : il y a 30 ans précisément, elle avait mené, avec succès, la mobilisation contre un projet de gratte-ciel de 60 étages en plein milieu de ce même Uhuru Park.

Lire aussi cet article publié en 2015 : Au Kenya, le parc national de Nairobi au bord de l’asphyxie

« Préparer le terrain »

L’un des programmes illustre particulièrement l’ambition de la fondation : Green Jeneration, « avec un J pour junior », qui cherche à verdir des écoles de Kibera, le plus grand bidonville de Nairobi, afin non seulement de sensibiliser les enfants à l’environnement mais aussi de créer de meilleures conditions d’étude. Lorsque la militante nous y emmène, les élèves de l’école primaire Mopjabe, au cœur du quartier, reviennent justement d’une visite de la forêt de Karura. Cette forêt très symbolique, comptant une part importante d’arbres indigènes, avait elle aussi été sauvée par Wangari Maathai dans les années 1990.

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Devant une Wanjira rayonnante, ces enfants qui s’y rendaient souvent pour la première fois, racontent « les grands arbres », « les singes », « le figuier » (un arbre sacré) et posent des dizaines de questions. Ils ont chacun ramené une pousse de plante, installée dans l’école. « Je ne sais pas quel impact aura sur ces enfants la visite à Karura. Mais peut-être que cela déclenchera quelque chose, qui déclenchera autre chose, et que dans vingt ans vous les entendrez dire : “quand j’avais dix ans, je suis allé à Karura, et cela a changé ma vie” », explique celle dont les deux filles participent parfois aux ateliers.

La fondation s’attache donc à « préparer le terrain », donc, pour que ces enfants, devenus simples fonctionnaires « ou bien ministre de l’environnement », prennent les bonnes décisions vis-à-vis de la planète. Près de vingt ans après son retour au Kenya, Wanjira Mathai dit être « exactement à [sa] place » alors que le combat de sa mère est plus que jamais d’actualité.

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