L’arraisonnement de trois navires ukrainiens par la Russie en mer d’Azov marque une escalade, estime Laurent Chamontin.
Auteur de “Ukraine et Russie: pour comprendre”(Diploweb, 2016) et spécialiste de l’ex-monde soviétique, Laurent Chamontin, qui est russophone, a vécu et travaillé dans l’est de l’Ukraine. Il s’est récemment rendu à Marioupol, point névralgique de l’actuelle crise russo-ukrainienne.
L’Express : Le conflit terrestre russo-ukrainien était un peu sorti des radars… et voici qu’ hier, dimanche 25 novembre, il revient dans l’actualité, mais sur l’eau, avec la capture de trois navires ukrainiens en mer Noire !
Laurent Chamontin : La tension est palpable depuis mai dernier, c’est à dire depuis la mise en service du pont de Crimée, qui enjambe sur le détroit de Kertch sur 19 kilomètres [il relie la Russie à la péninsule annexée par Moscou en 2014]. On assiste depuis lors à un harcèlement des navires ukrainiens entrant et sortant dans la mer d’Azov par le FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie) et les garde-côtes russes. Au début, il ne s’agissait que d’inspections et de vérifications administratives. Là, avec l’arraisonnement de deux vedettes blindées et d’un remorqueur [et six marins ukrainiens blessés dont deux grièvement sur vingt-trois au total] on franchit un seuil.
Etes-vous surpris ?
Pas vraiment. La mer d’Azov faisait l’objet d’un accord la définissant comme une mer intérieure conjointe russo-ukrainienne depuis 2003. Les événements en cours rendent cet accord caduc. En octobre dernier, un autre épisode a aggravé le fossé entre Kiev et Moscou : la “déclaration d’indépendance” de l’Église orthodoxe d’Ukraine vis-à-vis de la Russie. Après la Crimée et le Donbass [où le bilan de la guerre s’élève à 10 000 morts en quatre ans], la Mer d’Azov constitue un troisième front qui s’intercale entre les deux premiers.
L’accès au port ukrainien de Marioupol devient très compliqué…
En effet, Marioupol est l’arrière-plan de cette nouvelle crise. Son port est fondamental pour l’exportation de la sidérurgie ukrainienne. Autrefois, les deux grandes usines sidérurgiques de Marioupol s’approvisionnaient en charbon dans le Donbass voisin. Mais depuis l’occupation de cette région par les séparatistes et les Russes, ce n’est plus possible. Désormais, Marioupol importe son charbon grâce à des navires qui traversent le Détroit de Kertch et croisent en mer d’Azov. Dans l’hypothèse d’une fermeture du détroit de Kertch, cette solution s’écroulerait. Et les exportations de produits sidérurgiques au départ de Marioupol seraient aussi empêchées.
La Russie veut asphyxier Marioupol ?
Peut-être. Mais attention, les pressions ne sont pas à sens unique. Les Ukrainiens contrôlent en effet l’approvisionnement en eau et en électricité de la Crimée. Ainsi la fermeture du robinet par Kiev a conduit à la disparition de 90% des surfaces cultivées sur la péninsule.
Que cherche Poutine ?
Pour Moscou, il s’agit de continuer à faire pression sur l’Ukraine tout en exploitant cet incident politiquement en appuyant sur la corde sensible du nationalisme russe. Moscou est allé jusqu’à publier la vidéo de l’éperonnage d’un des navires ukrainiens, ce qui démontre sa volonté de faire la publicité de cet épisode.
La situation peut-elle dégénérer?
Je réserve ma réponse. Mais j’observe que, pour l’instant, Donald Trump s’est abstenu de condamner cet incident, ce qui aurait eu l’utilité de canaliser la crise. Quoi qu’il en soit, soumis aux sanctions internationales depuis l’annexion de la Crimée en 2014, les Russes savent jusqu’où ne pas aller trop loin…