« Tout le monde m’a dit de ne pas venir à cause de l’insécurité »

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Des employés d’un bureau de vote à Kaboul, samedi 28 septembre.
Des employés d’un bureau de vote à Kaboul, samedi 28 septembre. Ebrahim Noroozi / AP

Plus que jamais, voter en Afghanistan requiert du courage physique et une foi en la démocratie chevillée au corps. La quatrième élection présidentielle depuis 2004 s’est tenue samedi 28 septembre. Si elle a montré des progrès en termes d’organisation, l’incertitude sur l’avenir du pays, la défiance vis-à-vis des dirigeants et les fortes craintes sécuritaires liées à la violence talibane ont dissuadé un nombre record d’électeurs de se rendre aux urnes. Samedi soir, les deux favoris restaient l’actuel président afghan, Ashraf Ghani, et son chef de l’exécutif Abdullah Abdullah.

La première explication de cette abstention réside dans la peur suscitée par les menaces proférées par les talibans. Ces derniers ont redoublé de violence depuis l’échec, début septembre, de leurs pourparlers de paix avec les Américains. Samedi, des tirs de roquettes contre les bureaux de vote, notamment dans les provinces de la Kunar, de Faryab, du Logar, de Kunduz et de Takhar, ont fait au moins cinq morts et 76 blessés, selon les autorités. Dans Kaboul, la police a relevé trois explosions liées à l’élection.

Néanmoins, les services de renseignement afghan se félicitaient, samedi, d’avoir déjoué 68 attaques prévues par les talibans. Le ministère de l’intérieur a assuré que 102 000 forces de sécurité, dont 30 000 en réserve, ont été déployées dans le pays pour sécuriser cette journée d’élection.

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« Tout le monde m’a dit de ne pas venir »

Au centre de la capitale, le bureau de vote installé dans la mosquée du quartier de Wazir Abkar Khan, a ouvert à 7 heures. Jusqu’à 8 heures 30, une centaine de personnes s’est présentée, puis les électeurs se sont faits rares. L’un d’eux, Zahir, âgé de 29 ans, qui travaille dans une compagnie d’assurance toute proche, a tenu à venir alors qu’il était au fond de son lit, malade. « Bien sûr que j’ai peur, mais ça ne suffit pas à m’empêcher de voter. Je suis né au Pakistan où j’ai fait mes études, ainsi qu’en Inde, avant de m’installer, en 2014, dans mon pays d’origine, je n’ai jamais rien connu d’autre que le régime actuel et la démocratie. »

Dans le même bureau, le visage barré de lunettes sévères, un businessman kabouli, Baryalaï Wali, âgé de 48 ans, confie : « Tout le monde m’a dit de ne pas venir à cause de l’insécurité mais il faut bien élire quelqu’un qui nous débarrasse des chefs de guerre et des terroristes. Le jour où soi-disant un accord avait été trouvé entre Américains et talibans, ces derniers attaquaient à Kunduz et Baghlan, la priorité, c’est un cessez-le-feu, le reste, c’est du vent ».

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L’autre explication de cette abstention en forte hausse paraît liée à une défiance grandissante vis-à-vis d’un système politique incapable d’apporter des emplois et la paix. Au fil des mois, les doutes sur la transparence du scrutin ont germé dans les esprits. Jeudi, l’un des deux principaux candidats, actuel chef de l’exécutif, M. Abdullah, a d’ailleurs affirmé publiquement qu’il craignait de fortes fraudes le jour du scrutin.

Dans le bureau de vote du lycée Istiqlal, à Kaboul, Hamid Kamran, tout de blanc vêtu, qui travaille dans le textile, est déjà fataliste malgré ses 27 ans. « On nous donne le droit de choisir, il faut bien le prendre, le système est comme il est mais c’est déjà ça. Les gens m’ont dit, ce n’est pas transparent, mais les autres élections, il y avait déjà de la fraude ». Pour l’un des observateurs dépêché ici par l’équipe du candidat Ghani, Naseen Ahrar, « avant la crainte sécuritaire, il y a, en effet, le fait que les gens ne croient plus les politiciens et au processus électoral. Ici, on a perdu au moins 30 % [de participation] par rapport au dernier scrutin ».

Dans le seul bureau réservé aux femmes au lycée Istiqlal, avec une voix pleine d’autorité, Sidiqqa Abdullah, directrice d’une structure hospitalière pour enfants, se plaint d’avoir été refoulée alors qu’elle vient toujours voter ici. Mais les listes ont été réduites et les électeurs répartis dans d’autres bureaux. « C’est suspect, dit-elle, mais peu importe j’irais voter ailleurs, je le fais pour le futur de mes enfants et car je crois à la démocratie, c’est ce qui compte, le processus de paix avec les talibans n’était pas un plan de paix, où étaient les droits de l’homme ou ceux de la femme ? »

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« Notre pratique de la démocratie s’approfondit »

La faible participation a sans doute fluidifié les formalités de vote et vidé plus rapidement les bureaux. Mais le processus s’est néanmoins grandement amélioré depuis les législatives d’octobre 2018, qui avaient été chaotiques. Les listes d’inscrits par bureaux sont passées de 600 à 400 personnes, la procédure d’enregistrement par appareil biométrique fonctionne beaucoup mieux et des équipements supplémentaires ont été envoyés pour remplacer ceux qui étaient défectueux. Selon la Commission électorale indépendante (IEC), 468 bureaux, sur 4500, sont restés fermés à cause de l’insécurité, de problèmes techniques ou de l’absence de personnels.

La présidente de l’IEC, Hawa Alam Nuristani, n’a pas fait l’objet de critiques aussi virulentes que son prédécesseur et certains de ses adjoints, emprisonnés depuis. Des scènes de dizaines de soldats en uniformes arrivant, en rangs serrés, dans les bureaux pour voter, ont, un temps, inquiété. Dans le bureau de Wazir Akbar Khan, une vingtaine ont dû rebrousser chemin. « Ils étaient inscrits dans leur province d’origine, je leur ai dit qu’ils avaient des bureaux ouverts pour eux dans leur caserne », relate le jeune chef du bureau, Ahmed Bikzag.

De même, au lycée Amani, en début d’après-midi, des dizaines de soldats en uniformes ne cessaient d’arriver avec leur officier devant le gymnase faisant office de bureau de vote. L’un d’entre-eux, Khan Saïd, appartenant aux forces de sécurité du ministère de la défense, expliquait, le doigt marqué d’encre violette comme tous ceux ayant voté dans le pays, qu’ils étaient déjà venus le matin. « On n’était pas enregistré ici, ils nous ont dit de revenir après le déjeuner et qu’ils auraient trouvé la solution, le fait que l’on arrivé groupé ne veut pas dire qu’on vote tous pareil », sourit-il.

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Au même moment, un convoi de 4×4 blindé officiel arrive en trombe devant le lycée. Les ministres de la défense et de l’intérieur viennent accomplir leur devoir électoral. Interrogé, par Le Monde, Assadullah Khalid, dans son uniforme vert foncé tacheté de noir, se félicite d’avoir pu contrecarrer « les promesses de violence des talibans pour cette élection, ils ne sont pas aussi forts qu’ils le clament ». Son collègue de l’intérieur, dans son uniforme bleu clair, plus politique, ajoute : « Notre pratique de la démocratie s’approfondit, les gens ne veulent plus de la guerre, nous avons appris à régler les problèmes autrement que par le combat ».

Les résultats préliminaires sont attendus le 19 octobre et les définitifs le 7 novembre. Un deuxième tour se tiendrait dans un délai de quinze jours après cette dernière date, si aucun candidat n’a atteint 51 %.

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