Sur Twitter, l’humour sans limite de « The Irish Border »

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Les Monty Python n’auraient pas renié le compte @BorderIrish qui s’exprime sur le Brexit au nom de la ligne, presque invisible, qui sépare les deux Irlandes.

Publié aujourd’hui à 12h15

Temps de Lecture 4 min.

« Là, c’est moi aux négociations sur le Brexit. » Le compte @BorderIrish représente la frontière entre les deux Irlandes comme « l’éléphant dans la pièce », un sujet évident que les gens refusent de voir.
« Là, c’est moi aux négociations sur le Brexit. » Le compte @BorderIrish représente la frontière entre les deux Irlandes comme « l’éléphant dans la pièce », un sujet évident que les gens refusent de voir. Capture d’écran du compte @BorderIrish sur Twitter

« C’est une sorte de catharsis. » Comme des milliers d’autres internautes, Katy Hayward, professeure de sociologie à la Queen’s University de Belfast, se délecte chaque jour des saillies du compte Twitter @BorderIrish. Créé en février 2018, celui-ci donne une voix humaine aux 499 kilomètres qui forment la frontière irlandaise : une infrastructure géographique invisible, source d’effroyables maux de tête à Westminster comme à Bruxelles. Car c’est évidemment en réaction au casse-tête du Brexit que ce compte, désormais suivi par plus de 100 000 personnes dont le premier ministre irlandais, Leo Varadkar, a été créé en février 2018.

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À chaque péripétie, la frontière y va de son Tweet moqueur. Le 19 octobre, alors que le premier ministre britannique semble réticent à demander un délai supplémentaire à l’Union européenne : « Tu veux que je te l’écrive, ta petite lettre, Boris ? » Ou lors de l’annonce récente d’une possible frontière en mer d’Irlande, @BorderIrish de poster un montage d’une étendue d’herbe accompagnée de… brassards au bord d’une piscine. Symbolisant par l’absurde la complexité à mettre en œuvre une telle décision. Le compte satirique vient même de voir sa prose rassemblée sous la forme d’un livre, I Am the Border, So I Am (aux éditions HarperCollins), paru ce 31 octobre, jour supposé de la mise en œuvre du Brexit, désormais reportée au 31 janvier 2020.

Jeux de mots et métaphores

Depuis l’accord de paix de 1998, ni soldat ni poste de douane pour surveiller la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Chacun la traverse désormais comme bon lui semble, pour se rendre au travail ou aller faire ses courses. Mais la menace d’un Brexit dur ou d’un « no deal » a tout bouleversé, ravivant les souvenirs de la guerre civile. Bon nombre d’habitants de l’île d’Émeraude, notamment ceux vivant près de la frontière, se sont sentis jusqu’ici ignorés, voire méprisés, par le pouvoir britannique. Comme s’il était possible de trouver une solution magique du jour au lendemain ou, tout simplement, de faire l’impasse sur le problème. C’est de cette manière qu’a longtemps été perçue la frontière irlandaise : « an elephant in the room » (« un éléphant dans la pièce »). Une métaphore anglaise pour décrire quelque chose d’évident, mais que l’on refuse de voir.

Le créateur anonyme du compte @BorderIrish a donc décidé de lui donner une âme, s’inspirant de comptes Twitter comme celui de la rivière néo-zélandaise Whanganui, qui s’est vue accorder, en mars 2017, le statut légal de personnalité juridique. Tour à tour, la frontière irlandaise prend la forme d’un pachyderme ou d’une étendue d’herbe à la personnalité bien trempée et au discours teinté d’expressions typiquement irlandaises.

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Très vite, @BorderIrish a réussi à maîtriser les codes et le rythme de Twitter : créant d’ingénieux jeux de mots, dialogues et métaphores en 280 caractères, souvent ponctués de délicieuses allitérations. Comme lorsqu’il répondait (encore) à un Tweet de Boris Johnson insistant sur une sortie le 31 octobre : « Yer bum’s a plum ! » (« Ton cul est une prune ! », expression nord-irlandaise pour signifier que son interlocuteur raconte n’importe quoi). The Guardian a d’ailleurs comparé sa plume à un mélange de références de la culture anglaise que sont Father Ted, les Monty Python ou Oscar Wilde. Malgré le succès de sa création, l’homme, qui a répondu à nos questions par mail, souhaite rester dans l’ombre, par timidité mais aussi par souci artistique : « Si tout le monde savait qui j’étais, la fiction serait brisée. »

L’humour pour ridiculiser et pour éduquer

Sans cesse, @BorderIrish rappelle avec sarcasme les politiques à la raison, et notamment les brexiters, souvent prompts à déformer la réalité. Son créateur voit ainsi dans l’humour un moyen d’apaiser la colère, de ridiculiser les idées de ses opposants mais aussi de créer de la solidarité, d’éduquer et d’informer : « Je ne sais pas si j’y parviens, mais c’est ce que je peux espérer de mieux. Et même si cela ne touche réellement qu’une personne de temps en temps. » @BorderIrish permet aussi à certains journalistes et diplomates de sortir du cadre des sempiternelles explications, négociations et suppositions géopolitiques. « J’interagis avec eux et discute même parfois avec certains en privé. Ils apprécient le fait de pouvoir rire de leur travail, car ça doit être très éprouvant d’être impliqué dans le Brexit au quotidien. »

« Boris Johnson est à Belfast aujourd’hui, mais il ne me rendra pas visite, parce que je le mangerais. » Autre manière dont le compte @BorderIrish représente la frontière : une étendue d’herbe en apparence inoffensive, mais dangereuse dans les faits.
« Boris Johnson est à Belfast aujourd’hui, mais il ne me rendra pas visite, parce que je le mangerais. » Autre manière dont le compte @BorderIrish représente la frontière : une étendue d’herbe en apparence inoffensive, mais dangereuse dans les faits. Capture d’écran du compte @BorderIrish sur Twitter

« @BorderIrish réagit toujours rapidement à l’actualité, avec intelligence et humour. C’est une contribution bienvenue, estime Katy Hayward, qui fait partie de ces intellectuels bien décidés à offrir un regard juste et éclairé sur les conséquences du Brexit. C’est aussi une manière très irlandaise de répondre à quelque chose qui nous touche profondément. »

Si @BorderIrish est aussi intarissable sur le sujet, c’est surtout parce que l’homme sait de quoi il parle. Comme celui-ci le dévoilait dans un entretien accordé au magazine Usbek & Rica en 2018, « la seule chose que je peux dire c’est ce que je vis sur l’île et que je suis irlandais. J’ai vécu les « Troubles » [la période de guerre civile qui s’est terminée avec l’accord de paix de 1998] et c’est quelque chose d’important pour moi. » Un état d’esprit partagé par des dizaines de milliers d’autres citoyens de l’île, encore incertains de l’avenir qui leur sera réservé à l’issue des prochaines élections législatives britanniques du 12 décembre.

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Julien Marsault



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