Sindika Dokolo, l’art brut de la finance offshore

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Sindika Dokolo, avec son épouse, la milliardaire Isabel dos Santos, en mars 2015 au Portugal.
Sindika Dokolo, avec son épouse, la milliardaire Isabel dos Santos, en mars 2015 au Portugal. Paulo Duarte / AP

Sindika Dokolo aimerait ne parler que des œuvres d’art qu’il collectionne. Une passion, certes, mais aussi une couverture idéale pour cacher d’autres activités : négoce de diamants à grande échelle, prise de participation dans des sociétés pétrolières, création de brasseries et de cimenteries… A 47 ans, cet homme d’affaires danois d’origine congolaise orchestre un empire et gère une fortune acquise en grande partie grâce à son épouse angolaise, Isabel dos Santos. Elle-même est devenue milliardaire grâce aux faveurs de son père, José Eduardo dos Santos, l’ancien président (1979-2017) de cette puissance régionale, deuxième pays producteur de pétrole d’Afrique subsaharienne. Toujours volubile pour vanter à l’étranger l’émergence du continent et la nouvelle génération d’oligarques africains, le couple d’héritiers est désormais soupçonné d’avoir largement profité de fonds publics angolais.

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Selon les « Luanda Leaks », la dernière enquête coordonnée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), dont Le Monde et Radio France Internationale sont partenaires, ils contrôlent intégralement ou en partie pas moins de 450 sociétés. Le plus souvent offshore, enregistrées dans des juridictions exotiques attachées au secret, pour garantir leur discrétion et faciliter une optimisation fiscale agressive. Et qu’importe si ces pratiques privent l’Afrique de plus de 50 milliards de dollars de recettes fiscales chaque année, M. Dokolo l’assume; « l’offshore, ce n’est pas un souci pour moi, car ce sont des outils légaux », répond-il, lorsqu’il est interrogé sur le sujet.

Entre la RDC et l’Angola

Depuis l’arrivée au pouvoir de Joao Lourenço en 2017, la longue lune de miel de M. Dokolo avec l’État angolais a pris fin. Le nouveau chef de l’Etat se méfie de cet étranger qui doit tant au clan dos Santos et qui se mêle maladroitement de la délicate relation entre l’Angola et la République démocratique du Congo (RDC). A l’époque, le président, Joseph Kabila, s’accroche au pouvoir, malgré la fin de son dernier mandat, ce que le régime angolais n’apprécie guère, soucieux de préserver une stabilité régionale.

Cette même année 2017, Sindika Dokolo qui sent le vent tourner se rapproche de la frange affairiste de l’opposition congolaise à M. Kabila. Il crée aussi un mouvement citoyen, Les Congolais debout, pour essayer, en vain, d’influer sur le champ politique tourmenté du pays où son défunt père, ancien grand banquier et entrepreneur visionnaire sous Mobutu Sese Seko avait fait fortune avant d’être dépossédé de ses actifs. « Mon père a été l’un des hommes les plus riches d’Afrique et a tout perdu. J’ai grandi avec cette idée qu’on peut tout perdre », dit celui qui essaye de récupérer des avoirs familiaux en RDC, ce qui lui vaut des démêlés judiciaires.

L’Angola du président Lourenço s’est aussi retourné contre M. Dokolo et, plus largement, contre le clan dos Santos, accusé par la justice de détournements massifs de fonds publics et d’avoir trompé des entreprises d’Etat. L’homme d’affaires a bien espéré le soutien de son « ami », le nouveau président congolais Félix Tshisekedi. En visite, début janvier, en Angola, le chef de l’Etat congolais a abordé le dossier avec son homologue. Sans succès. Les deux chefs d’Etat ont fini par appeler publiquement M. Dokolo et son épouse à une « coopération maximale avec les autorités compétentes de l’État et le tribunal angolais » qui a gelé tous leurs actifs et leurs comptes bancaires.

Diamants et jet-set

Pour la première fois, l’esthète agioteur se retrouve mis en cause pour s’être allié à des compagnies d’État angolaises aux ordres de son beau-père afin de bénéficier de fonds publics et privés ensuite aspirés dans ses circuits financiers offshore, comme le démontrent les « Luanda Leaks » qui s’appuient sur une fuite d’environ 750 000 documents.

L’un des cas emblématiques de cette stratégie est l’association de M. Dokolo avec la société publique angolaise de commercialisation de diamants, Sodiam, en 2012. Pour racheter 25 millions d’euros De Grisogono, un joaillier genevois miné par les dettes, les deux partenaires de circonstance créent une joint-venture établie à Malte, Victoria Holding Limited. Sodiam y injecte 120 millions d’euros empruntés à la banque BIC, dont Isabel dos Santos est actionnaire.

Selon les « Luanda Leaks » M. Dokolo se contente d’investir 4 millions de dollars pour rafler la moitié des parts dans Victoria Holding Limited, grâce à une société établie au Pays-Bas, Melbourne Investments BV, contrôlée par sa holding suisse. Et pour avoir facilité le rachat de ce joallier dont son épouse raffole des créations « punk-chic », il se rémunère 5 millions de dollars d’honoraires versés sur une autre de ses sociétés domiciliée aux îles Vierges britanniques.

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A l’arrivée, leur joint-venture détient 87 % du capital de De Grisogono dont 45 % sont entre les seules mains de M.Dokolo via sa nébuleuse de sociétés offshore. Il veut alors faire du joaillier suisse un acteur du luxe respecté et rentable. Avec son épouse, ils se montrent aux soirées fastueuses de la marque suisse organisées en marge du festival de Cannes, en compagnie de stars déclinantes de la jet-set et du cinéma. Derrière ce strass, la compagnie diamantifère publique, est sans cesse sollicitée pour éponger les dettes du joaillier. Selon les avocats américains de M. Dokolo, « [Entre 2012 et 2018] M. Dokolo a investi près de 115 millions de dollars dans le capital de De Grisogono (…) Sodiam et M. Dokolo ont investi le même montant ». Ce que ne permettent pas de confirmer les « Luanda Leaks ».

Milliards de diamants et millions de marges

Le fondateur italo-suisse de la marque genevoise, Fawaz Gruosi, préfère d’ailleurs ne pas poser de questions sur l’origine des fonds ou les montages financiers. Ni d’ailleurs sur les 2,3 milliards de dollars de diamants angolais dont De Grisogono et d’autres ont pu bénéficier entre 2012 et 2017, selon les autorités de Luanda. « Ce qui aurait généré des gains avec des marges bénéficiaires de 28 % à 45 %, soit entre 638 et 957 millions de dollars », précise une source officielle angolaise. Ce que M. Dokolo dément, précisant avoir « payé ces diamants à un prix supérieur à d’autres acteurs ».

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L’homme d’affaires assure que, de toute façon, les comptes de l’entreprise étaient validés par PricewaterHouseCooper (PwC), l’un des plus grands cabinets d’audit au monde, certes, mais aussi une société qui se plie aux exigences de son client. « Nous pensons que l’information selon laquelle Sodiam appartient en dernier ressort à l’État angolais et Melbourne appartient en dernier ressort à Sindika Dokolo ne devrait pas non plus être mentionnée », instruit un gestionnaire d’affaires de M. Dokolo dans un email daté du 10 mars 2014. Le comptable de PwC ne s’en offusque pas : « noté, nous discuterons en interne et reviendrons vers vous. »

Ces informations ne seront pas incluses dans le rapport de reddition des comptes de 2012 de PwC, plus préoccupé par le fait que « l’entreprise est surendettée ». Le PDG, Fawaz Gruosi, lui, reste en retrait et laisse Sindika Dokolo et Isabel dos Santos tenter de redresser la société, en vain. « Je suis un créateur et un confectionneur. Mais je n’ai pas de compétence pour être impliqué dans la structure de l’entreprise », répond-il aujourd’hui à Tamedia (groupe de presse suisse), partenaire d’ICIJ. Il a depuis quitté De Grisogono qui cherche un nouvel investisseur pour éviter la faillite.

Un rêve de « revanche coloniale »

A sa manière, M. Dokolo a rêvé d’incarner une sorte de « revanche coloniale » cornaquée par une élite africaine globalisée dont la force repose sur une connaissance fine à la fois des pouvoirs africains permettant un accès privilégié à de l’argent public et des subtilités du fonctionnement financier international. Elevé en Belgique avec d’autres fils de la grande bourgeoisie Mobutiste, M. Dokolo a fréquenté le prestigieux lycée Saint-Louis-de-Gonzague, à Paris, avant d’étudier l’économie et le commerce à l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI). De retour à Kinshasa, il ne brille pas vraiment dans les affaires, fuit la guerre pour partir à l’aventure à Luanda, de l’autre côté de la frontière, où un ami lui présente Isabel dos Santos, déjà richissime, qu’il va épouser lors d’une cérémonie fastueuse en 2002.

La milliardaire Isabel dos Santos, fille de l’ancien président angolais et épouse de Sindika Dokolo, à Londres, en janvier 2020.
La milliardaire Isabel dos Santos, fille de l’ancien président angolais et épouse de Sindika Dokolo, à Londres, en janvier 2020. Toby Melville / REUTERS

Ensemble, ils manient des milliards de dollars et partent à la conquête de groupes de l’ancienne puissance coloniale portugaise, dans lesquels ils prennent des participations significatives. Par conviction et par intérêt, M. Dokolo se met à défendre le régime brutal et kleptocrate de son beau-père; s’enrichit à millions et soigne sa réputation grâce à sa passion pour l’art africain « classique ».

D’un côté, le collectionneur se lance dans une traque agressive d’œuvres pillées du temps de la colonisation pour les rapatrier sur le continent, et multiplie les conférences. De l’autre, l’homme d’affaires multiplie les joint-ventures avec des entreprises publiques angolaises et se retrouve considéré comme une « personnalité exposée politiquement » par les banques européennes qui, comme la Deutsche Bank, finissent par rompre toute relation avec lui.

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« Depuis 2015, les sociétés ayant Isabel et Sindika comme uniques bénéficiaires font l’objet de contrôles plus fréquents de la part des autorités néerlandaises », met en garde l’un de ses gestionnaires de fortune dans un e-mail daté de 20 mai 2016. M. Dokolo vitupère contre ce qu’il qualifie de mépris de la part des établissements bancaires occidentaux à l’égard des nantis africains forcément suspects.

Pour ses affaires, M. Dokolo ne fait confiance qu’à son épouse et à un discret ami de lycée, besogneux et habile en matière de finance offshore : Konema Mwenenge. Partout ou presque où « Sindika » investit, « Konema » prend un poste de direction et prête son nom pour la tête des sociétés-écrans du couple, selon les « Luanda Leaks ». Ce citoyen français d’origine congolaise, lui aussi fils d’un aristocrate de la « deuxième république » de Mobutu Sese Seko, goûte peu les mondanités. « Sindika, c’est l’oligarque “show off”. Konema, lui, a un côté très rigoriste », raconte un proche des deux hommes.

La brasserie à millions de dollars

M. Mwenenge opère depuis une adresse dans le VIIIe arrondissement de Paris, mais aussi de Londres où il a établi l’une de ses sociétés de services financiers. Avec M. Dokolo, il a aussi créé à Dubaï une plateforme de négoce de diamants dénommée Nemesis International qui s’ennorgueillit de traiter des pierres précieuses d’Angola et d’ailleurs pour une valeur de 2 milliards de dollars par an.

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Konema Mwenenge est partout. Entre octobre 2015 et février 2017, il fournit pour près de 3 millions de dollars de factures à la brasserie angolaise, Sodiba, dont « l’Ingénieur Isabel dos Santos et le docteur Sindika Dokolo » sont les « actionnaires angolais de référence », selon une plaquette de présentation datée d’octobre 2016 contenue dans les « Luanda Leaks ».

Pour cela, M. Mwenenge utilise six sociétés offshore qu’il représente, sans que cela ne soulève la moindre question des cabinets d’avocats ou des comptables avec lesquels il échange. Il indique simplement que ce sont des « prêts des actionnaires ». Pas non plus de questions sur l’une des sociétés de M. Mwenenge enregistrée aux îles Vierges britanniques qui rafle des contrats de consultance pour un montant de plus de 5 millions de dollars.

Luanda, la capitale de l’Angola.
Luanda, la capitale de l’Angola. Nichole Sobecki / Getty

Selon les « Luanda Leaks », entre 2011 et 2016, ce sont au moins 16 sociétés liées à Sindika Dokolo et Isabel Dos Santos, la plupart basées dans des paradis fiscaux, qui entretiennent des relations d’affaires avec la Sodiba. Toutes ces transactions sont justifiées par la construction d’une nouvelle brasserie à Bom Jesus, dans la province angolaise de Bengo, non loin de Luanda.

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Le « chef de l’exécutif » a approuvé le « projet d’investissement privé » dans la Sodiba d’un montant de 149 millions en avril 2014, selon un document de l’agence angolaise de promotion d’investissement privé (ANIP). Est-ce encore l’équation magique : fonds publics + sociétés-écrans = millions de dollars de profit ? « L’État n’a pas versé un dollar, se défend M. Dokolo. L’ANIP ne finance pas de projets. C’est une institution d’appui à l’investissement privé qui coordonne les informations nécessaires entre les différents ministères. C’est nous qui avons levé ces fonds. C’est notre investissement ». Contacté, M. Mwenenge n’a pas souhaité réagir.

« Vérité des faits » et légalité

Il n’y a pas que les fonds publics angolais qui ont permis à Sindika Dokolo et à son épouse de constituer un empire économique. Les banques d’Angola et du Portugal ont aussi approuvé plus d’un milliard de dollars de prêts pour leurs sociétés opaques, selon des documents émanant de leur société de gestion financière établie à Lisbonne, Fidequity.

A lui seul, M. Dokolo aurait contracté des prêts en son nom ou en servant de garantie pour plus de 300 millions de dollars. « Nous n’avons pas de groupe avec ma femme, mais nos sociétés ont un chiffre d’affaires cumulé de deux milliards de dollars. Nos prêts sont toujours garantis », se justifie-t-il. Selon une « une analyse de l’exposition au risque » réalisée par Fidequity et contenue dans les « Luanda Leaks », quatre banques angolaises ont pourtant enfreint « les règles de concentration du risque » en ayant prêté l’équivalent de plus de 25 % de leurs fonds propres au couple d’oligarques.

Les sociétés, les comptes et les actifs de Sindika Dokolo et d’Isabel dos Santos s’entremêlent au point de ne plus savoir, eux-mêmes, qui détient quoi. Leurs gestionnaires d’affaires s’y perdent, de rapports en présentations, de transferts de fonds en gestion de sociétés mystérieuses. Parfois, ils se trompent et attribuent la propriété d’une entreprise de l’un à l’autre ou vice versa. Comme si leur toile financière offshore avait fini par devenir hors de contrôle et insaisissable.

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Sindika Dokolo n’a pas souhaité répondre à l’intégralité des questions soumises par ICIJ et ses partenaires. Visé par des enquêtes en Angola, au Portugal et à Monaco, il dénonce une « instrumentalisation politique » de la justice par le président angolais, Joao Lourenço, et préfère déplacer le débat sur le terrain du droit.

« Au-delà de la vérité des faits, certaines choses dont vous m’accusez, ne sont même pas illégales dans le droit angolais, rétorque M. Dokolo. C’est comme si je vous accusais d’être moche ou de mauvaise humeur… à quoi bon me répondre ? » Avec son épouse, il risque désormais des peines lourdes de prison en Angola.

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