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Cela ne fait aucun doute, Segenet Kelemu aime les insectes. La directrice de l’Icipe (Centre international pour la physiologie des insectes et l’écologie) de Nairobi peut parler de longues heures, avec passion, de ces petits animaux. Au beau milieu de notre entretien, elle prend le temps d’une incise pour préciser « que 70 % de nos cultures sont pollinisées par les abeilles », qui sont pour elle des animaux de ferme très très travailleurs », et d’enchaîner sur l’extraordinaire potentiel nutritif des criquets – pour l’homme comme le bétail – ou encore sur la symbiose entre certaines plantes et ces petits animaux.
« Les insectes apportent tellement de choses différentes à l’humanité, à l’environnement. C’est ce que j’aime le plus avec cette institution et avec mon métier », poursuit-elle, en nous recevant dans son bureau de « Dudu ville » (« la ville des insectes »), le surnom donné au campus verdoyant de l’Icipe, seul centre de recherche au monde qui leur est entièrement dédié, où l’on étudie notamment leur impact sur l’agriculture.
Cette phytopathologiste éthiopienne âgée de 62 ans est une pointure dans son domaine. Une référence mondiale. Derrière la porte de son bureau pendent des dizaines de badges, témoins des multiples conférences et événements (elle rentre tout juste de Suède, après Israël et l’Ethiopie), auxquels elle participe pour sensibiliser l’opinion et lever des fonds pour les recherches du centre.
Ancien enfant pauvre
Aux murs, s’affichent les multiples prix qu’elle a reçus ces quinze dernières années, dont le prix L’Oréal-Unesco « Pour les femmes et la science », en 2014. « C’est une scientifique remarquable, qui fait bouger la science et incarne une nouvelle génération de femmes [scientifiques] de très haut niveau », dit d’elle Nelson Torto, le directeur de l’Académie africaine des sciences, dont elle est membre depuis 2013. En 2018, pour sa série de vidéos « Heroes in the Field », Bill Gates l’a choisie et rangée dans le top 5 des personnalités qui « l’inspirent » le plus à travers le monde.
Peu de choses prédestinaient pourtant Segenet Kelemu à cette carrière. En 1957, elle naît à Finote Selam, dans une région rurale de l’ouest de l’Ethiopie où les petites filles sont généralement destinées à un mariage précoce et aux travaux des champs. « Récolter le café, enlever les mauvaises herbes, collecter le bois, j’ai fait tout ça », rappelle-t-elle. A part un tempérament de fer et des résultats brillants à l’école, elle a alors bien peu d’atout pour faire mentir son destin.
Pourtant, elle y croit et sera la première femme de sa région à intégrer l’université d’Addis-Abeba. Elle, cet ancien enfant pauvre qui collectionne aujourd’hui obsessionnellement les stylos, ce bien si rare dans son enfance. A la médecine ou aux statistiques, auxquels la poussent alors parents et professeurs, elle préfère l’agriculture, pour faire « quelque chose que j’aimais et qui soit utile ».
Vingt-cinq ans à l’étranger
Ce qui ne plaît guère à son père qui avait d’autres ambitions pour elle et lui a tellement de fois répété : « Nous sommes tous des fermiers, certains ne savent même pas lire et écrire, et toi tu vas à l’université pour devenir fermière ? ». Ce qui aujourd’hui la fait rire doucement.
Rapidement, de son Ethiopie natale, elle s’envole poursuivre ses études au Mexique puis aux Etats-Unis, où elle débarque un mois de décembre, « choquée » par les journées courtes, le froid, l’absence de feuilles sur les arbres qui lui fait alors « l’effet d’une attaque nucléaire ». « Heureusement, que je n’avais pas de ticket retour… », se remémore volontiers celle sur qui la culture américaine, très compétitive, a eu une grande influence, d’autant, reconnaît-elle aujourd’hui, qu’elle devait un peu correspondre à son état d’esprit.
Depuis son retour en Afrique en 2007, après vingt-cinq ans à l’étranger (dix ans de master, thèse et postdoctorat aux Etats-Unis, et quinze ans au Centre international d’agriculture tropicale en Colombie), son but est « de changer la vie des gens en améliorant l’agriculture en Afrique », où ce secteur représente souvent le premier pilier de l’économie et de la sécurité alimentaire.
La promotion de la science auprès des jeunes est son autre combat. « Je ne fais plus de recherche moi-même, mais je guide de jeunes scientifiques. Et nous observons un grand déficit, à l’échelle mondiale. Les plus brillants veulent être médecin, avocat, ingénieur, car la société n’attribue pas suffisamment de valeur à la science. Or, elle est essentielle pour notre bien-être, l’avenir de notre planète. A moins que nous n’attirions plus de gens dans la science, nous sommes condamnés. » Sa fille unique, glisse-t-elle en passant, étudie actuellement aux Etats-Unis la biologie de l’évolution et l’écologie.
Sommaire de la série « L’Afrique apporte sa pierre à la science »
L’Afrique a besoin des sciences pour se développer… et la science des données africaines pour avancer. Qu’il s’agisse de la recherche d’un vaccin contre le Covid-19 ou de la lutte contre le réchauffement climatique, le continent multiplie les efforts pour s’inscrire dans la marche mondiale de la recherche. En une dizaine d’articles, de portraits et d’enquêtes, les correspondants du Monde Afrique racontent les dernières avancées scientifiques, de Casablanca au Cap.
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