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Quelques jours avant sa mort, le 18 septembre, la juge à la Cour suprême américaine Ruth Bader Ginsburg avait dicté ses dernières volontés. « Mon vœu le plus cher est de ne pas être remplacée tant qu’un nouveau président n’aura pas prêté serment », avait confié « RBG » à sa petite-fille. Atteinte d’un cancer du pancréas, la juge de 87 ans savait que sa disparition allait déclencher une guerre de succession à même de bousculer l’élection présidentielle du 3 novembre, déjà électrisée par la crise liée au Covid-19 et le mouvement Black Lives Matter.
Cynisme ou hasard du calendrier, le président Donald Trump – qui s’est déjà vanté auprès du journaliste Bob Woodward d’avoir nommé un maximum de juges conservateurs à tous les échelons de l’appareil judiciaire – avait annoncé le 9 septembre qu’il avait complété la liste de juges conservateurs dans laquelle il choisirait le prochain juge de la Cour suprême.
Donald Trump, qui a déjà procédé à deux nominations – celles des conservateurs Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh –, a affirmé au lendemain du décès de « RBG » qu’il proposerait un nom, « probablement » celui d’une femme, pour la remplacer. Lundi 21 septembre, il a précisé sur Fox News qu’il désignerait ce successeur « vendredi ou samedi », après les funérailles de la juge la plus progressiste parmi les neuf magistrats de la plus haute juridiction américaine.
Le président américain a ajouté que le Sénat, à majorité républicaine, avait « largement le temps » de confirmer la nomination de ce nouveau juge avant le 3 novembre. Une attitude critiquée par le candidat démocrate, Joe Biden, qui a dénoncé dimanche « un exercice de pouvoir politique brutal » et « un abus de pouvoir ».
S’il y avait un espoir que la présidentielle de novembre puisse apaiser le pays, la mort de « RBG » rebat les cartes. Le choix de son remplaçant aura en effet un impact important sur la guerre culturelle qui divise républicains et démocrates autour des questions de société. Mais il pourrait aussi jouer un rôle critique dans le résultat des élections, si celui-ci venait à être contesté.
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Une institution-clé de plus en plus conservatrice
La Cour suprême, qui siège à Washington, dans le District of Columbia, à proximité du Capitole, est une institution essentielle dans la vie politique des Etats-Unis. Ses pouvoirs sont établis par l’article III, section 1 de la Constitution des Etats-Unis d’Amérique.
Ses neuf juges, désignés par le président américain, sont nommés à vie et veillent à la constitutionnalité des lois. Ils peuvent surtout transformer durablement le visage de la société américaine sur des sujets majeurs comme le droit à l’avortement, le mariage homosexuel, la santé, l’immigration ou le réchauffement climatique.
« La mort de “RBG” laisse la Cour avec une majorité de 5 juges conservateurs contre 3 progressistes. A 5 contre 4, il pouvait encore y avoir quelques compromis, d’autant que le président John Roberts, certes conservateur, est un garant du droit et des institutions, pas un idéologue. Avec 5 contre 3, et peut-être bientôt 6 contre 3, la balance pencherait sans nul doute très à droite, et pour longtemps », observe Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
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L’arbitre de la prochaine élection ?
En cette année électorale, la Cour suprême pourrait par ailleurs être amenée à arbitrer l’issue du scrutin en cas de litige, comme elle l’avait fait lors du dénouement de l’élection de 2000. Depuis le 4 septembre, le vote par correspondance a commencé en Caroline du Nord et les inquiétudes liées à la pandémie poussent des dizaines de millions d’Américains à voter par courrier.
Or Donald Trump n’a de cesse de semer le doute sur la validité de ce scrutin : il martèle, sans preuve, que le recours accru au vote par correspondance pourrait entraîner des fraudes massives et a ainsi suggéré à ses partisans de voter deux fois pour tester le système. Il répète à l’envi que « la seule manière dont il pourrait perdre l’élection serait qu’elle soit truquée », ce qui laisse la voie ouverte à de possibles contestations en cas de défaite des républicains.
Samedi, lors d’un meeting à Fayetteville, en Caroline du Nord, il a prévenu qu’il s’attendait à ce que les tribunaux jouent un rôle déterminant dans l’élection, en déclarant un vainqueur le soir de l’élection, bien avant que la plupart des votes par correspondance aient été comptés. De fait, le dépouillement des nombreux bulletins envoyés par courrier sera complexe et pourrait entraîner un retard dans l’annonce des résultats.
« La Cour suprême sera peut-être amenée à décider de l’issue de cette élection présidentielle, si elle est contestée devant les tribunaux en raison notamment de l’arrivée après le 3 novembre des bulletins par correspondance, confirme la chercheuse. Une Cour suprême majoritairement conservatrice pourrait signifier un “remake” de l’élection de 2000, à l’avantage de Trump. »
Lors de l’élection présidentielle du 7 novembre 2000, Al Gore avait contesté la victoire en Floride de George W. Bush avec 537 voix d’avance devant la Cour suprême de Floride et la Cour suprême des Etats-Unis. A l’issue de plusieurs semaines d’imbroglio, la plus haute juridiction américaine avait déclaré, dans l’arrêt Bush v. Gore du 12 décembre 2000, que le recompte ordonné par la Cour suprême de Floride était contraire à la Constitution et qu’il était impossible d’effectuer un recomptage dans les délais impartis, validant ainsi l’élection de George W. Bush.
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Calculs et tractations autour de la succession
Donald Trump parviendra-t-il à faire nommer un successeur à Ruth Bader Ginsburg avant l’élection du 3 novembre ?
Après la mort du juge Antonin Scalia en février 2016, Mitch McConnell, le chef de la majorité républicaine au Sénat, avait refusé de soumettre au vote de confirmation du Sénat la candidature du juge Merrick Garland, proposé par Barack Obama. Mitch McConnell estimait que le président démocrate était trop proche du terme de son mandat et contestait sa capacité d’user de ses pouvoirs constitutionnels. Cette fois, Mitch McConnell s’est dit prêt à hâter le processus : il a annoncé qu’il soumettrait au vote du Sénat le nom de tout candidat présenté par Donald Trump.
Le remplacement de « RBG » va nécessiter l’audition du candidat ou de la candidate de Donald Trump par le comité judiciaire du Sénat des Etats-Unis. Cette candidature sera ensuite soumise à un vote du Sénat, où les républicains disposent d’une majorité de 53 sièges sur 100.
Lisa Murkowski et Susan Collins, deux sénatrices républicaines, se sont d’ores et déjà publiquement opposées à un vote avant l’élection présidentielle. D’autres sénateurs républicains pourraient faire défaut, notamment ceux confrontés à des réélections difficiles dans des Etats modérés.
« Les tractations ont débuté, et il suffit d’une majorité simple à 51 voix pour confirmer la nomination du ou de la juge choisie par Trump. En cas d’égalité 50-50, le président du Sénat tranche. Et comme il s’agit de Mike Pence, qui est aussi le vice-président…, commente Marie-Cécile Naves. Mitch McConnell voudra marquer l’histoire, et c’est une occasion historique pour la droite américaine, qui n’est plus en phase avec l’évolution de la démographie américaine et des avancées sociétales, d’asseoir son influence au plus haut niveau de l’Etat. Ils ont jusqu’au 20 janvier pour le faire, c’est suffisant sur le papier. »
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Les candidates de Donald Trump
Si les sénateurs républicains Ted Cruz, Tom Cotton ou Joshua Hawley figurent dans la liste des 20 candidats de Donald Trump, ce sont les noms de deux femmes, Amy Coney Barrett et Barbara Lagoa, qui reviennent avec insistance dans la presse américaine.
De la première, le président aurait dit : « Je la garde en réserve pour [remplacer] Ginsburg », rapportait le site d’information Axios, en mai 2019. Si Donald Trump arrête son choix sur elle, Mme Barrett, 48 ans, catholique et mère de sept enfants, deviendrait la seule magistrate conservatrice de la Cour suprême, les deux autres femmes de la haute cour étant progressistes.
A 52 ans, l’Américano-Cubaine Barbara Lagoa est la première femme hispanique à avoir été nommée à la Cour suprême de Floride, l’un des Etats-clés pour le 3 novembre. « Ces deux femmes ne soutiendront pas les droits des femmes : la première parle d’établir le royaume de Dieu sur terre et la seconde a des liens étroits avec la très conservatrice Federalist Society », commente Marie-Cécile Naves.
La Federalist Society est l’une des organisations juridiques conservatrices les plus influentes du pays : elle préconise une interprétation originaliste de la Constitution des Etats-Unis, une lecture littérale qui écarte les accommodements liés aux évolutions de la société américaine.
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Les démocrates cherchent la parade
Pour contrer les agissements du président américain, le sénateur démocrate Ed Markey a évoqué, sur Twitter, un serpent de mer : l’élargissement de la Cour suprême, dont le nombre n’est pas limité par la Constitution. Il y a déjà eu un précédent, au XIXe siècle.
« Le Congrès peut adapter la taille de la Cour à ses désirs politiques », confirme le site Politico, qui cite le précédent de 1866, lorsque le Congrès, dans son bras de fer avec le président Andrew Johnson, avait ramené la taille de la Cour suprême de neuf à sept membres. Après l’élection d’Ulysses Grant à la présidence en 1868, le nombre des juges était repassé à neuf. En 1937, Frankin Roosevelt, confronté à une Cour suprême hostile à ses politiques, avait lui aussi envisagé d’augmenter le nombre de juges de la Cour, avant de renoncer.
Pour s’y risquer en 2020, il faudrait non seulement que les démocrates gagnent l’élection présidentielle et remportent le Sénat, mais aussi qu’ils se livrent à quelques acrobaties intellectuelles : en juillet 2019, au début des primaires démocrates, Joe Biden s’était opposé à une telle manœuvre. C’était avant la guerre de succession ouverte par la mort de « RBG ».
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