Pour ProPublica, l’investigation n’a pas de prix

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Le site ProPublica a été récompensé par le Pulitzer pour trois reportages d’Hannah Dreier (au centre). En 2018, près de soixante titres de presse ont relayé leurs enquêtes.
Le site ProPublica a été récompensé par le Pulitzer pour trois reportages d’Hannah Dreier (au centre). En 2018, près de soixante titres de presse ont relayé leurs enquêtes. Demetrius Freeman for ProPublica

Le 14 avril, une organisation de presse pas comme les autres a remporté son cinquième prix Pulitzer. Aux côtés du New York Times, du Wall Street Journal et du Washington Post, tous également récompensés, ProPublica a été distingué dans la section journalisme Feature Writing (« article de fond ») pour une série de reportages concernant les effets de la politique antigang de Donald Trump sur des adolescents sud-américains réfugiés aux Etats-Unis. Les trois longs articles signés Hannah Dreier ont été publiés en 2018 par le New York Magazine, Newsday et le New York Times Magazine, et sont disponibles gratuitement sur le site
de ProPublica.

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Depuis dix ans, cette organisation à but non lucratif produit du journalisme d’investigation « d’utilité publique », cédant les droits d’exploitation de sa production aux organes de presse traditionnels. En 2018, près de soixante publications anglo-saxonnes ont relayé leurs enquêtes. Des magazines (Time, Fortune, The Atlantic), des sites Internet (HuffPost, Vox, Politico), des quotidiens locaux et nationaux (le Chicago Tribune, le Houston Chronicle), et même des podcasts et la chaîne de radio publique NPR… Un peu partout, lecteurs et auditeurs se sont habitués à apercevoir cette mention en introduction de grandes enquêtes sur les violations des droits de l’homme et les abus de pouvoir : « réalisé en collaboration avec ProPublica ».

Journalisme philanthropique

Tout a commencé en 2008, avec trente millions de dollars investis sur trois ans par un couple de milliardaires. Soutiens historiques du Parti démocrate, Herbert et Marion Sandler ont fait fortune dans la finance, mais se sont réinventés en philanthropes à l’heure de la retraite.
Ils soutiennent ainsi la recherche médicale, l’environnement, un think tank progressiste… et la cause du journalisme d’investigation.

Pour monter leur organisation, ils embauchent deux pointures : Steven Engelberg, ancien chef du service d’investigation du New York Times, est nommé directeur de la rédaction, et Paul Steiger, ancien rédacteur en chef du Wall Street Journal, président. Leurs réseaux, des salaires alléchants et la promesse de reportages au long cours – dans une période où il devient de plus en plus difficile, pour les journaux et les magazines, de financer des enquêtes de terrain de plusieurs mois – leur permettent de constituer rapidement une équipe cinq étoiles d’une trentaine de journalistes, transfuges des plus grands titres de presse du pays.

En 2018, ProPublica a cumulé 30 millions de dollars de dons auprès de plus de 29 000 particuliers et fondations philanthropiques.

Le journalisme philanthropique n’est pas une nouveauté aux Etats-Unis. Depuis les années 1980, les organisations à but non lucratif se multiplient dans le secteur. En 2016, c’est l’une d’elles, le Consortium international des journalistes d’investigation, qui révèle l’affaire des « Paradise Papers ». La Fondation Pulitzer, elle, a cofinancé l’immense enquête de Nathaniel Rich sur le changement climatique, parue en août 2018 dans le New York Times Magazine.

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Mais le succès de ProPublica, qui se réclame d’un journalisme « d’utilité publique » et fonctionne comme une rédaction traditionnelle, marque un tournant. Alors que les journaux matraquent tant bien que mal le message selon lequel une information de qualité a un prix, ProPublica croit en sa gratuité totale. Et ça rapporte : en 2018, ils ont cumulé trente millions de dollars de dons auprès de plus de 29 000 particuliers et fondations philanthropiques. De quoi payer les cent vingt salariés qui travaillent aux quatre coins des Etats-Unis.

« L’élection de Trump a vraiment marqué une accélération. Ils ont reçu énormément de donations, et ne cessent de se développer », souligne Jill Abramson, ancienne rédactrice en chef du New York Times et membre du conseil consultatif de ProPublica. Mais l’organisation ne se démarque pas que par son modèle économique non conventionnel.

Onde de choc

Refusant de mesurer son succès par les chiffres de fréquentation du site, ProPublica a une obsession : « créer un impact ». Une section entière de son site répertorie les effets concrets de ses enquêtes sur la vie politique et judiciaire américaine. En juin, par exemple, elle a rendu public un enregistrement audio capté à l’intérieur d’un centre de détention à la frontière mexicaine. Comme la photo du petit Aylan avait fait prendre conscience à l’Europe du sort des réfugiés syriens, l’enregistrement d’enfants mexicains sanglotant et appelant leurs parents crée une onde de choc : les députés démocrates s’en servent pour condamner la politique gouvernementale, les manifestants le passent en boucle dans des rassemblements.

« Notre journalisme d’investigation fait plus qu’exposer l’injustice ; nous voulons qu’il génère des changements concrets. » ProPublica

Quarante-huit heures plus tard, le président Trump fait marche arrière, et un juge fédéral californien ordonne que les enfants soient rendus à leurs parents. « Notre journalisme d’investigation fait plus qu’exposer l’injustice ; nous voulons qu’il génère des changements concrets », claironne ProPublica. Ce mot d’ordre est un gage d’efficacité, mais prend aussi le risque de faire rimer journalisme avec militantisme.

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L’année dernière, une étude financée en partie par la Fondation Bill & Melinda Gates faisait le point sur cette question centrale de l’« impact », pointant une différence fondamentale entre les deux approches : « Les militants savent avant de commencer à travailler quel genre d’effet ils veulent générer, alors que les journalistes découvrent le problème en enquêtant. »

Ces derniers mois, ProPublica a contribué à faire démissionner plusieurs hommes puissants accusés de harcèlement, à faire libérer un homme injustement condamné dans le Nevada, à déclencher une enquête de Washington sur les publicités ciblées de Facebook utilisant des critères ethniques… Du journalisme de contre-pouvoir, disponible en un clic, et pour zéro centime.

Clémentine Goldszal

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