Pascal Lissouba, un intellectuel usé par l’exercice du pouvoir

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L’ancien président congolais Pascal Lissouba, à Paris, en mars 1994.

Tel un personnage tiré d’une œuvre littéraire du XVIIe siècle français, Pascal Lissouba, qui dirigea le Congo-Brazzaville de 1992 à 1997, s’exprimait avec préciosité et affectionnait les métaphores recherchées. Il avait le regard perçant, la démarche « pédagogique », le ton docte et ses colères étaient homériques. Normal pour un homme ayant passé l’essentiel de sa vie entre l’enseignement universitaire, les laboratoires de recherche en biologie cellulaire et en génétique, et la politique. « Dans l’attente de son retour au Congo », indique un communiqué de sa famille, l’ancien président sera inhumé « de manière provisoire » lundi 31 août à Perpignan, dans le sud de la France, où il est décédé le 24 août à l’âge de 88 ans.

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Par ce compromis, sa veuve antillaise, Jocelyne, et les enfants du défunt entendent mettre un terme à une polémique devenue virale sur les réseaux sociaux, entre ceux qui souhaitaient des funérailles officielles en grande pompe à Brazzaville et les adeptes d’une conservation de la dépouille en France « jusqu’au départ définitif » du pouvoir de leur ennemi juré, le président Denis Sassou-Nguesso, tombeur de Lissouba en octobre 1997 au terme d’une guerre civile meurtrière de cinq mois. Même autour de son lit de mort, « le professeur » suscite, on le voit, beaucoup de passions.

Plusieurs passages par la case prison

Né le 15 novembre 1931 à Tsinguidi, petite localité du département du Niari dont la dénomination – « territoire interdit », en langue nzebi – sonne comme un programme, Pascal Lissouba a grandi dans un environnement nationaliste et dans l’admiration d’un grand-père farouche résistant à la conquête coloniale française. Le jeune lycéen s’envole malgré tout pour la France, passe son bac en 1952 au lycée Félix-Faure de Nice, entame des études scientifiques à Tunis puis à Paris, où il soutient brillamment une thèse d’Etat en 1961, tout en donnant des cours de biologie végétale.

Rentré au Congo deux ans après l’indépendance de l’ancienne colonie française, il est rapidement nommé ministre de l’agriculture, des eaux et forêts par le président Alphonse Massamba-Débat, avant d’être propulsé en décembre 1963 au poste de premier ministre. A ce titre, Pascal Lissouba détient, à ce jour, le record du plus jeune chef de gouvernement de l’histoire du Congo indépendant. Il avait juste 32 ans.

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L’enseignant-chercheur entame alors une longue carrière politique qui le conduira trente ans plus tard au plus haut sommet de l’Etat, avec plusieurs passages par la case prison. Il est ainsi embastillé une première fois en octobre 1968, sous l’accusation de complicité dans un triple assassinat politique. Acquitté, il est interdit pendant deux ans de toute activité politique et de sortie du territoire. Il est de nouveau arrêté en février 1972, après un putsch avorté. Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, il est contre toute attente remis en liberté. Il renouera avec les geôles de son pays en février 1973 puis en mars 1976.

Pascal Lissouba sera arrêté une ultime fois le 18 mars 1977, puis condamné à mort une semaine plus tard pour complicité dans l’assassinat du président de la République, Marien Ngouabi. Il échappe de peu au peloton d’exécution grâce à la mobilisation de chercheurs français et africains et l’intervention du président gabonais, à l’époque Omar Bongo, avec qui Lissouba revendique des liens de parentés. Sa peine est commuée en détention perpétuelle mais il est élargi en mars 1979. Il quitte les feux de la rampe, travaille à l’Unesco, à Paris, pour se faire oublier.

L’expérience démocratique tourne court

Son destin connaît un coup d’accélérateur le 16 août 1992 lorsque, profitant du vent de liberté et de pluralisme qui balaie l’Afrique francophone, il est porté à la tête de l’Etat au second tour du scrutin présidentiel, après s’être débarrassé tour à tour du président en fonction, Denis Sassou-Nguesso, et de Bernard Kolelas. Il devient le sixième président du Congo indépendant, le premier élu au suffrage universel direct dans un scrutin ouvert.

Mais son quinquennat ne sera pas de tout repos. Entouré de son égérie et toute-puissante directrice de cabinet, Claudine Munari, et de son conseiller en matière de renseignement, Pierre-Yves Gilleron, ancien commissaire de police affecté à la fameuse cellule élyséenne sous François Mitterrand, le nouveau président doit faire face au mécontentement grandissant des fonctionnaires (qui accusent plusieurs mois de retard dans leurs traitements), à la prolifération de milices à base ethnique et aux blocages du pétrolier français Elf, qui lui refuse des avances sur la manne pétrolière, indispensable au paiement des salaires, tout en lui reprochant de brader le brent congolais, notamment à la firme américaine Occidental Petroleum (Oxy).

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Devant la multiplication des périls, l’expérience démocratique tourne court après une première guerre civile, baptisée « guerre du pétrole » par les partisans de Lissouba, en 1993, puis une seconde, particulièrement meurtrière (plusieurs milliers de morts), à partir de juin 1997, dont elle ne se relèvera pas.

Lissouba et ses principaux partisans sont exfiltrés vers le Gabon voisin grâce à l’expertise de Gilleron, en contact à la fois avec l’état-major français, à Paris, et avec les miliciens et mercenaires de l’ancien président Denis Sassou-Nguesso, qui retrouvera son fauteuil, les armes à la main, cinq ans après avoir été défait par les urnes. « J’ai effectivement organisé la sécurisation et le départ du président avant de quitter moi-même Brazzaville », nous a confirmé l’ancien policier français, aujourd’hui dans le privé en Suisse, lors d’une rencontre fortuite il y a deux ans à l’aéroport de Bamako.

« Un patriote sincère, un démocrate convaincu »

Arrivé en France, via Ouagadougou et Amsterdam, après sa fuite précipitée de Brazzaville, Lissouba a du jour au lendemain quitté son hôtel particulier, rue de Prony, dans le XVIIe arrondissement de Paris, à l’expiration de son visa. Bénéficiant de la double nationalité, congolaise et française, il aurait pu, certes, y rester ; mais dans la mesure où il se considérait toujours comme « le seul chef d’Etat légitime » du Congo, Paris, qui avait acté le coup de force intervenu à Brazzaville, ne le retint pas. Amer, épuisé par la guerre, il s’est installé dans un appartement cossu de Knightsbridge, dans le centre de Londres, à un jet de pierre de Kensington Palace, l’ancienne résidence officielle de Lady Di.

Revenu en France en 2004, il séjournera un moment dans la capitale avant de rejoindre un beau pavillon dans le pays catalan, qu’il appréciait particulièrement. Ces dernières années, son état de santé s’était dégradé. Souffrant de la maladie d’Alzheimer, il vivait entouré de son épouse et d’une de ses nièces à Perpignan. « Petit-fils de résistant anticolonialiste, Pascal Lissouba était un homme de sciences distingué, un patriote sincère, un démocrate convaincu et un panafricaniste visionnaire », témoigne l’économiste Noël Magloire Ndoba, ancien doyen de la faculté des sciences économiques de l’Université de Brazzaville : « Mais comme nous tous, il avait aussi ses défauts. Ainsi, l’intellectuel confronté à l’exercice du pouvoir a échoué. »

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