« On ne critique la justice que lorsqu’elle vise des candidats à la présidentielle » – JeuneAfrique.com

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« Traque aux biens mal acquis », condamnations de Karim Wade et Khalifa Sall… Ismaïla Madior Fall, ministre de la Justice, revient sur les accusations portées en la matière contre le régime de Macky Sall, candidat à sa propre succession le 24 février.

Dès son accession à la présidence de la République, en mars 2012, Macky Sall annonçait son intention de faire de la bonne gouvernance une priorité. S’ouvrait aussitôt une version sénégalaise de la « traque aux biens mal acquis », laquelle aura essentiellement visé les fidèles de son prédécesseur, Abdoulaye Wade.

En sept ans, des instances de lutte contre la corruption ont été créées ou réactivées, et diverses procédures judiciaires ont été ouvertes. Mais selon l’opposition, toutes tendances confondues, Macky Sall aurait instrumentalisé la justice afin de museler ses principaux détracteurs.


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Les condamnations de Karim Wade et Khalifa Sall, en particulier, tous deux empêchés de ce fait de concourir à la présidentielle, n’ont cessé d’alimenter les conjectures autour d’une justice aux ordres de l’exécutif. Le constitutionnaliste Ismaïla Madior Fall, ministre de la Justice depuis septembre 2017 après avoir été conseiller juridique à la présidence, revient pour Jeune Afrique sur les accusations portées en la matière contre le régime de Macky Sall, qui briguera sa réélection le 24 février.

Jeune Afrique : Nombre d’opposants ont été traduits en justice – et souvent incarcérés d’office – au cours du septennat, faisant naître des soupçons d’instrumentalisation de la justice à des fins politiques. Que répondez-vous à ceux qui s’en émeuvent ?

Ismaïla Madior Fall : Au Sénégal, on ne critique la justice que lorsqu’elle vise des candidats à la  présidentielle. Il n’y a pas eu beaucoup d’affaires concernant des opposants, mais c’est de celles-là qu’on parle le plus. Il y a malheureusement beaucoup de cas de détention abusive dans les prisons sénégalaises : certains détenus attendent parfois quatre ou cinq ans avant d’être jugés. Or personne ne parle d’eux.

Quant aux opposants arrêtés dans le cadre de manifestations interdites, il faut savoir qu’il y a des itinéraires définis par les autorités compétentes pour que la liberté de ceux qui défilent ne compromette pas celle des autres citoyens. S’ils ne les respectent pas, ils font face à la loi mais sont libérés le soir même.

Des membres du parti au pouvoir ont aussi été condamnés, et d’autres épinglés par la Cour des comptes

La justice n’est donc pas focalisée sur l’opposition ?

Évidemment ! Des membres du parti au pouvoir ont aussi été condamnés, et d’autres épinglés par la Cour des comptes – ils remboursent aujourd’hui les sommes en cause. Personne ne parle d’eux car ils ne sont pas candidats à la présidentielle.

Qui sont-ils ?

Je ne révélerai pas leur nom, inutile de les vilipender.

Ne serait-il pas souhaitable, dans un souci de transparence, de rendre publics tous les rapports de l’Inspection générale d’État (IGE), qui ne le sont qu’à la discrétion du président, contrairement à ceux de la Cour des comptes ?

Tout dépend de la vocation de chaque organe. La Cour des comptes est une institution indépendante de l’exécutif et du Parlement, qui publie son travail sans demander l’avis du président. L’IGE, qui rend compte directement à la présidence, a pour mission de contrôler, monitorer, voire sanctionner, les ministres ou les fonctionnaires. C’est donc au chef de l’État de décider si ses rapports doivent être rendus publics ou non. Quand il les reçoit, il peut les transmettre à la justice si certains faits sont qualifiés de délits ou de crimes. Rien d’anormal à cela.

Dans l’affaire Khalifa Sall, dire que le processus judiciaire aurait été volontairement accéléré ne tient pas la route

Dans l’affaire Khalifa Sall, entre la transmission du rapport de l’IGE à Macky Sall et la décision de la Cour suprême en cassation, tout est allé très vite. Certains estiment que ce calendrier était politique, afin d’invalider la candidature de l’ex-maire de Dakar avant la présidentielle

L’affaire Khalifa Sall a duré presque deux ans, les autorités judiciaires l’ont donc jugée dans un délai raisonnable. À chaque fois qu’il a été question d’un délibéré, les juges ont pris un mois, alors que dans certains dossiers ce délai n’excède pas une semaine, voire deux jours. Dire que le processus judiciaire aurait été volontairement accéléré ne tient pas la route.

D’ailleurs je ne comprends pas cette revendication de lenteur judiciaire. Dans un cas comme celui de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, une fois l’affaire instruite il vaut mieux la juger afin de ne pas prolonger l’incertitude. Cette polémique émane de la défense, dont la seule option était de jouer la montre car elle ne pouvait pas blanchir Khalifa Sall sur le fond. L’infraction était constatée, et les preuves accablantes. Le rapport de l’IGE avait déjà établi tous les éléments portant sur l’accusation d’escroquerie aux deniers publics. On était à la limite du flagrant délit, et l’affaire aurait pu se régler en six mois.


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La Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), qui a condamné Karim Wade, a été réactivée après être restée en sommeil pendant plus de trente ans. N’aurait-il pas fallu la réformer, en y intégrant par exemple la possibilité d’interjeter appel ?

Le président de la République est disposé à étudier des possibilités de réformes, notamment en ce qui concerne la CREI. Dans le cadre d’une réforme plus globale de la justice, un comité composé de magistrats, d’universitaires, de représentants de la société civile, d’huissiers ou de notaires a formulé des propositions, notamment sur cette possibilité de faire appel. Il appartient au chef de l’État d’en décider.

En tant que ministre de la Justice, y êtes-vous favorable ?

Je ne veux préjuger d’aucune décision, il nous appartient d’y réfléchir de manière inclusive.

Dans l’affaire Karim Wade, l’État a subi une série de désaveux hors des frontières sénégalaises, notamment de la part du comité de l’ONU sur la détention arbitraire. N’est-ce pas problématique pour un État de droit souvent cité en exemple sur le continent ?

Ce ne sont pas des désaveux. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a effectivement estimé que le droit de Karim Wade à un recours effectif n’avait pas été respecté. Mais au Sénégal, quand une juridiction est dénommée Cour, il n’y a pas d’appel mais seulement la possibilité d’un pourvoi en cassation. Notre droit est ainsi fait. Nous avons jusqu’en mai 2019 pour répondre aux Nations unies sur ce point, et nous le ferons.

Si la Cour de justice de la Cedeao avait considéré que Khalifa Sall devait être candidat, elle aurait ordonné les mesures provisoires suspensives que lui-même avaient invoquées

Le 20 février, la Cour de justice de la Cedeao examinera deux requêtes déposées par Karim Wade et Khalifa Sall, qui contestent l’invalidation de leur candidature…

Si la Cour de justice de la Cedeao avait considéré que Khalifa Sall devait être candidat, elle aurait ordonné les mesures provisoires suspensives que lui-même avaient invoquées, lorsqu’elle s’est prononcée en février. Elle n’est ni une cour d’appel ni une cour de cassation et ne peut invalider ou annuler les décisions rendues par la juridiction suprême au Sénégal qu’est le Conseil constitutionnel.

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) est présidé par le président de la République. Une séparation plus claire du judiciaire et de l’exécutif n’est-elle pas souhaitable ?

C’est une présidence symbolique. En réalité, le chef de l’État n’a aucun pouvoir sur le CSM, mais il constitue un recours en cas de blocage. En Afrique, certains pays ont fait le choix d’exclure le président de la République de leur Conseil supérieur de la magistrature. Mais dans certains cas, le CSM ne s’est jamais réuni ; dans d’autres, les règlements de comptes ont mené au blocage de l’institution.

Sur notre continent, je ne connais pas de pays où l’autorégulation du Conseil supérieur de la magistrature fonctionne. Le pouvoir judiciaire est le garant des libertés et de l’État de droit. Mais qui est le garant du garant ? Eh bien, c’est le chef de l’État, qui rend lui-même des comptes au peuple sénégalais ! Pour faire plaisir à une part de la société civile qui souhaite le départ du président, devrait-on prendre le risque d’un gouvernement des juges ?

J’ai un respect scrupuleux pour les décisions de la CPI, mais j’estime que le principe même des réformes doit être inhérent à toute institution

Partagez-vous le sentiment que le triple acquittement du Congolais Jean-Pierre Bemba et des Ivoiriens Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé est un fiasco pour la CPI ? Faut-il, selon vous, réformer cette juridiction très controversée en Afrique ?

J’ai un respect scrupuleux pour les décisions de la CPI, mais j’estime que le principe même des réformes doit être inhérent à toute institution. Il faut régulièrement se poser des questions sur la pertinence de son fonctionnement.


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Je serais personnellement favorable à la création d’une juridiction similaire en Afrique pour juger les criminels aujourd’hui déférés devant la CPI mais dont les actes ont été commis sur le territoire africain. Cela mettrait fin aux critiques de ceux qui considèrent que la CPI rend une justice de Blancs contre les Noirs.

Nous disposons des ressources humaines, des instruments juridiques et de l’expérience pour le faire. Le procès de l’ancien président tchadien Hissène Habré, à Dakar, en est la preuve. Ce fut un bon procès, équitable et rapide, qui a abouti à la condamnation à perpétuité de Hissène Habré.



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JeuneAfrique

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