Niamey, une ville qui se croyait sûre

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A Niamey, en 2016.

Ils s’étaient retrouvés, mi-juillet, pour un verre et une partie de foot au bord du fleuve Niger. C’était un dimanche, entre deux orages, dans un de ces « jardins » où Nigériens et expatriés viennent se délasser pendant le week-end. « Un endroit calme et paisible sur la route de Torodi », décrit un des participants. Plusieurs employés de l’ONG Acted avaient fait le déplacement. Parmi eux, Antonin G., 26 ans, amateur de mathématiques et de bons mots.

Il y a encore une semaine, l’escapade n’avait rien d’exceptionnel. A Niamey, les humanitaires, qui vivent pour la plupart dans le quartier résidentiel du Plateau, circulent à peu près librement. La capitale est réputée sûre, protégées par ses « ficelles », des check-points où les entrées et sorties sont contrôlées. Elle n’a pas connu les drames traversés par d’autres capitales sahéliennes, comme Bamako lors de la prise d’otages qui a fait 20 morts à l’hôtel Radisson Blu, en novembre 2015, et Ouagadougou, où 30 personnes ont été tuées dans l’attaque du restaurant Le Capuccino, en janvier 2016.

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Entre étrangers, on se croise le soir au bar du Club Mooky, au Bravia Hotel ou au Radisson Blu. Le samedi, les plus en forme se donnent rendez-vous pour le « Hash », une randonnée sur les hauteurs de Niamey, ou s’embarquent dans des pirogues à Kanazi pour photographier les hippopotames. « Avec Antonin, confie un ami, on s’est connu en décembre 2019 au Café, un bar qui a fermé en février parce que les voisins se plaignaient du tapage. On y venait pour écouter de la musique live, jouer aux fléchettes, danser et boire. »

Lors de ces soirées, les employés d’Acted « arrivent tous ensemble dans leur mini-van et c’est le même véhicule qui vient les chercher ; ils n’ont pas le droit de monter sur une moto ou de prendre un taxi », précise la même source. C’est un petit monde. Souvent, la fête se poursuit dans les « guests » du Plateau ou du quartier Recasement 3e Latérite, ces villas où les ONG logent leur personnel étranger.

« Le niveau de risque était très faible »

Le parc naturel de Kouré, à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Niamey, fait aussi partie de ces lieux de détente. Située dans une zone peu peuplée, la réserve abrite environ 660 girafes en liberté. « Le niveau de risque y était le même que dans la capitale : très faible, souligne le responsable sécurité d’une grosse ONG. Contrairement à des zones comme Tillabéri dans l’ouest ou Diffa dans l’est, on n’avait pas besoin d’escorte armée pour accompagner les expatriés. Il est recommandé de prendre deux véhicules pour être certain que tout le monde puisse rentrer en cas de panne. »

C’est pourtant là, un mois jour pour jour après sa sortie au « jardin », qu’Antonin G. a été tué par des hommes armés à moto avec six de ses collègues et leur guide. Une attaque « terroriste », « préméditée pour cibler a priori plutôt des Occidentaux », selon un enquêteur français dépêché sur place. Un drame provoqué par « la même haine, la même lâcheté, la même inhumanité qui était à l’œuvre […] au Bataclan », a déclaré le premier ministre français, Jean Castex, lors de la cérémonie d’hommage aux victimes de cet attentat.

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Les corps des six Français ont été rapatriés vendredi 14 août et les restes du guide Kadri Abdou inhumés le même jour à Kouré. La dépouille calcinée du chauffeur Garba Souley, elle, a été enterrée à Goudel, un quartier périphérique de Niamey. Plusieurs proches de l’employé nigérien d’Acted interrogés par Le Monde Afrique avaient tenu, quelques jours plus tôt, à saluer la mémoire de Léo R., une des victimes françaises du massacre. L’étudiant de 25 ans, engagé comme volontaire de solidarité internationale, était venu à plusieurs reprises à Goudel fêter la fin du service avec son collègue et sa famille.

« Un pays qui craint mais pas trop »

Au Niger, Acted emploie un peu moins de 200 personnes, dont une vingtaine d’internationaux âgés de 25 à 35 ans. Leurs contrats durent le plus souvent de quatre à six mois, deux ans pour les plus longs. Pour ceux qui souhaitent poursuivre dans l’aide internationale, « le Niger peut être vu comme un début de carrière, une première ou une deuxième mission avant un pays plus dur comme la Syrie ; c’est le Sahara pur, un pays qui craint mais pas trop », estime Jeanne*, une Française qui a travaillé pendant dix-huit mois dans le pays pour une petite ONG.

Depuis Niamey, les personnels d’Acted coordonnent des missions pour l’accès à l’eau potable, l’aide alimentaire d’urgence et la distribution d’abris pour les populations déplacées à cause des troubles dans la zone des « trois frontières », entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali. « On ne cible pas des spécialistes du développement, mais des jeunes bons en gestion, avec des compétences pointues sur le management, les finances, tout ce qui est technique », explique Frédéric Roussel, directeur délégué et cofondateur d’Acted.

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Des jeunes comme Charline F., 30 ans, docteure en sciences de gestion de l’université Aix-Marseille, passée par l’ambassade de France au Nigeria. Comme Stella G., 28 ans, arrivée au Niger après une première mission au sein de l’ONG Oxfam en Centrafrique. Comme Nadifa L., 30 ans, déployée six mois à Bangui auprès d’une mission européenne militaire. Comme Myriam D., 25 ans, diplômée d’un master en gestion de crise et conflits à l’université Paris-Dauphine. Toutes les quatre appartenaient à la « nouvelle vague » d’Acted, arrivées depuis quelques mois ou quelques semaines seulement.

Pour certains, Kouré était la première sortie hors de Niamey. Le dimanche du drame, assure un responsable sécurité dans le pays, « il n’y avait ni rumeurs ni signaux faibles et on avait fait toutes les vérifications nécessaires avant de valider l’excursion ». Depuis, toutes les grandes organisations ont revu leurs protocoles sécuritaires.

« On vit sur un volcan de malheurs »

Le président Emmanuel Macron a promis de « renforcer les mesures de sécurité » pour les ressortissants français et Paris a placé l’ensemble du Niger en zone rouge, à l’exception de la capitale. Une décision qui a provoqué la colère de nombreux Nigériens parce qu’elle « décourage tous les efforts fournis depuis plus de cinq ans par les autorités et les forces de défense et de sécurité pour préserver l’intégrité du territoire, entouré de nombreux foyers de tension », s’est insurgée dans un éditorial Télé Sahel, la télévision d’Etat nigérienne.

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« Ce qui s’est passé à Kouré a été un choc insupportable pour les expatriés et les personnels des chancelleries. Mais dans les villages, c’est le quotidien de beaucoup de gens. On vit sur un volcan de malheurs », se désole Diassibo Tchiombano, un artiste qui dirige l’espace culturel Taweydo, dans le quartier Dar es-Salam de Niamey. La galerie de ce lieu prisé des Nigériens et des expatriés est fermée depuis le Covid-19. « Dias », comme l’appellent ses proches, s’apprête également à boucler la terrasse pour travaux. La pluie a endommagé certaines parties du bâtiment.

La mousson a été particulièrement meurtrière cette année dans le pays : plus de 30 personnes ont péri, emportées par les remous du fleuve ou l’effondrement de leur maison. Mais pas question de céder aux larmes et à l’effroi : Taweydo rouvrira. Et pour écoper, le pays aura besoin de l’aide des ONG.

* Le prénom a été changé.

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