Mort de Mahmoud Jibril, figure de la rébellion anti-Kadhafi

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Mahmoud Jibril lors d’une conférence de presse à Tripoli, en Libye, le 11 septembre 2011.
Mahmoud Jibril lors d’une conférence de presse à Tripoli, en Libye, le 11 septembre 2011. LEON NEAL / AFP

La photo l’avait propulsé sur le devant de la scène. Courte taille, cheveu rare et cravate jaune pâle, Mahmoud Jibril serrait la main d’un Nicolas Sarkozy tout sourire sur le perron de l’Elysée. Ce 10 mars 2011, il apparaissait aux yeux du monde comme le visage de la révolution libyenne, alors que Paris devenait la première capitale à reconnaître comme « représentant légitime » du peuple libyen le Conseil national de transition (CNT), l’organe naissant de la révolution anti-Kadhafi, dont il était le chef du « comité exécutif » et l’émissaire à l’étranger.

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Mahmoud Jibril est décédé, dimanche 5 avril dans un hôpital du Caire, des suites du Covid-19. Il était âgé de 67 ans. Avant d’être emporté par le coronavirus, celui qu’on a présenté durant les huit mois de l’insurrection (février-octobre 2011) comme le premier ministre provisoire de la Libye rebelle avait fini – comme tant d’autres acteurs – par être broyé par la mécanique infernale de la fragmentation post-Kadhafi. Après avoir frôlé les sommets, il sera écarté de la scène, notamment par ses adversaires islamistes. Il finira dépité par le jeu des Occidentaux en Libye, auxquels il reprochera leur manque de vigilance face au danger posé par des milices surarmées.

Courte lune de miel

Né le 28 mai 1952 en Cyrénaïque (est) dans une famille issue de la grande tribu des Warfalli, Mahmoud Jibril a étudié au Caire puis à Pittsburgh (Etats-Unis), où il décroche un doctorat de sciences politiques en 1985. Au milieu des années 2000, son expertise en matière de planification stratégique finit par attirer l’attention de Saïf al-Islam Kadhafi en cette période critique où le fils du « Guide » Mouammar Kadhafi incarne l’aile réformatrice de la Jamahiriya (« Etat des masses »).

En 2007, Mahmoud Jibril accepte la proposition de prendre la tête du Bureau national du développement économique, le cercle de réflexion rattaché à Saïf al-Islam Kadhafi, dont il devient un collaborateur. Il est chargé de proposer des politiques d’ouverture vers le secteur privé et vers l’Ouest. Dans un des télégrammes divulgués par WikiLeaks, l’ambassadeur américain alors en poste à Tripoli le présente comme sensible à la « perspective américaine », bien que critique des interventions militaires de Washington au Moyen-Orient.

La lune de miel avec le régime Kadhafi est de courte durée. Découragé par la résistance des durs de la Jamahiriya, Mahmoud Jibril jette l’éponge début 2010. Un an plus tard, il annonce son ralliement à la révolution tout juste amorcée en février dans le sillage des « printemps arabes ».

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Au sein du CNT, Mahmoud Jibril travaille sous l’autorité du président en titre de cette direction autoproclamée de la rébellion, Moustapha Abdel Jalil, lui aussi un transfuge du régime de Kadhafi. Formellement chef du « comité exécutif » du CNT, sorte de gouvernement officieux, Mahmoud Jibril est en outre chargé des relations extérieures, ce qui le conduit à sillonner les capitales arabes et occidentales en quête de soutiens à la cause de la rébellion. A ce titre, il doit gérer les tensions entre les pays de l’OTAN, qui s’impatientent devant les faibles progrès de l’insurrection face à un régime de Kadhafi résilient, et les groupes combattant sur le terrain, qui se plaignent d’un soutien insuffisant des Occidentaux.

Mais surtout, il se heurte à l’émergence du pôle islamiste au sein du camp rebelle. Soucieux d’« éviter le chaos » de la « phase de transition », il inspire un document du CNT – dite « feuille de route du 5 mai 2011 » – proposant une accélération de la séquence d’installation du nouveau régime, quitte à reporter le recours aux urnes à une phase ultérieure. Il souhaite en outre négocier le départ de Kadhafi avec des éléments de son régime disposés au dialogue. Ses adversaires au sein du CNT chercheront à l’embarrasser en exhumant le passé de sa collaboration avec Saïf al-Islam Kadhafi.

Hostile à l’islam politique

Dans le débat qui fait alors rage sur les modalités de la prise de Tripoli, il met en garde sur le danger de la prolifération des armes, qui compromet à ses yeux la stabilité de l’après-révolution. Il interpelle notamment les pays de l’OTAN, estimant que leur décision de « mettre fin » à leur mission en Libye fin octobre est prématurée au regard des armes toujours en circulation. « Il a estimé que la Libye avait été trahie et abandonnée par l’OTAN », rapporte l’analyste libyen Mohamed Eljahr, qui l’avait souvent rencontré avant sa mort : « Il a plaidé en vain pour que l’OTAN demeure en Libye une année supplémentaire, afin de retirer toutes ces armes de la circulation. Or les Qataris et d’autres figures du CNT s’y sont opposés. »

Comme il l’avait annoncé, Mahmoud Jibril démissionne de ses fonctions à la tête du CNT le jour même de la proclamation de la victoire de la révolution, le 23 octobre 2011, dans la foulée de l’assassinat de Mouammar Kadhafi, lynché dans un canal de drainage à Syrte. Il fonde alors un parti, l’Alliance des forces nationales (AFN), hostile à l’islam politique prêché par les Frères musulmans du Parti de la justice et de la construction (PJC). A rebours des élections en Egypte et en Tunisie, où l’exercice électoral profite aux islamistes, le scrutin législatif en Libye voit la victoire, en juillet 2012, des anti-islamistes de l’AFN. Mais sa majorité n’est que relative au sein de la nouvelle assemblée, le Congrès général national (CGN), et le jeu des élus indépendants finira par lui coûter le poste de premier ministre qu’il convoitait.

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C’en est fini de ses ambitions politiques. D’autant que le CGN décide, sous la pression des islamistes, d’interdire tout ancien cadre du régime de Kadhafi d’activité politique. Mahmoud Jibril vit dès lors de plus en plus en Egypte, le pays de son épouse. Alors que la guerre civile éclate, à l’été 2014, entre factions rivales de l’ex-rébellion, il voit avec sympathie la campagne militaire déclenchée par un « homme fort » en pleine ascension, Khalifa Haftar, au nom de la nécessité de faire barrage aux islamistes.

Mais quand le même Haftar, en pleine dérive militariste, partira cinq ans plus tard (avril 2019) à l’assaut de Tripoli, où siège un gouvernement reconnu par la communauté internationale, il conservera un silence circonspect. Il semble désavouer cette logique de guerre sans toutefois le proclamer ouvertement, « afin de maintenir les contacts avec toutes les parties », précise Mohamed Eljahr. Il s’efforce en effet d’initier une médiation en coulisse. Mais ses tentatives ne pèsent plus guère. Après sa retraite des années 2012-2013, Mahmoud Jibril n’aura pas réussi à revenir dans le jeu alors que la Libye post-Kadhafi n’en finit pas de se désagréger.

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