Mohamed Ennaceur, la fin d’une génération

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Le président de l’Assemblée tunisienne, Mohamed Ennaceur, à Tunis, le 25 juillet 2019, alors qu’il s’apprête à assurer l’intérim à la tête du pays après la mort du président Béji Caïd Essebsi.
Le président de l’Assemblée tunisienne, Mohamed Ennaceur, à Tunis, le 25 juillet 2019, alors qu’il s’apprête à assurer l’intérim à la tête du pays après la mort du président Béji Caïd Essebsi. FETHI BELAID / AFP

Il est celui qui incarne désormais l’Etat tunisien. Son magistère sera certes de courte durée – il expirera au lendemain de l’élection présidentielle de l’automne –, mais cet intérim au palais présidentiel de Carthage est d’une grande importance symbolique pour la Tunisie. La nomination sans heurts de Mohamed Ennaceur, 85 ans, en remplacement de Béji Caïd Essebsi, décédé le 25 juillet à l’âge de 92 ans, illustre la solidité de la transition démocratique dans le berceau des « printemps arabes ». A cette occasion, les Tunisiens ont redécouvert un acteur politique de premier plan mais qui a toujours tâché de rester dans l’ombre.

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La scène se déroule le samedi 27 juillet. Ce jour-là, Mohamed Ennaceur est bouleversé, noué par l’émotion. L’homme vient de quitter son siège de président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour endosser, en vertu de la procédure prévue par la Constitution, l’habit de successeur intérimaire de Béji Caïd Essebsi. Debout sur l’estrade, il s’adresse au défunt lors d’une cérémonie solennelle. Il étouffe péniblement ses sanglots : « Voilà que la fatalité me dit : “Achève la mission de ton compagnon qui désormais est la tienne, une mission au service de la patrie et du peuple.” »

« Il n’a aucune ambition »

Au lendemain de l’élection présidentielle, dont le premier tour est prévu le 15 septembre, Mohamed Ennaceur s’effacera, et avec lui toute une génération politique, celle qui a partagé le combat militant dans les cellules du parti destourien contre la colonisation française ; celle, aussi, qui a occupé des postes dirigeants dans l’Etat indépendant sous la férule autoritaire de Habib Bourguiba et de Zine el-Abidine Ben Ali.

L’actuel chef de l’Etat par intérim a été ministre des affaires sociales entre 1974 et 1977, à une période où la Tunisie se libéralisait économiquement. Il a marqué son mandat en parrainant les négociations collectives signées au sein des entreprises. Selon sa biographie officielle, c’est l’échec du dialogue social entre le président d’alors, Habib Bourguiba, et la centrale syndicale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui le poussera à démissionner, avec d’autres ministres.

Peu après, en janvier 1978, la Tunisie fait face à sa première grève générale depuis son indépendance. Le mouvement est réprimé dans le sang. Après la mise au pas du syndicat, Ennaceur est chargé par le régime de renouer avec la nouvelle équipe à la tête de l’organisation. Puis, de 1985 à 1991, il est à la tête du Conseil économique et social en cette période clé où Ben Ali démet Bourguiba (le « coup d’Etat médical » de 1987). Il est nommé par la suite ambassadeur à Genève et occupera des postes dans plusieurs organisations internationales.

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« C’est parce qu’il n’a jamais couru derrière les postes qu’il s’est retrouvé, contre toute attente, président de la République », ironise Hamdi Guezguez, son ancien directeur de cabinet au Parlement. Le président par intérim « n’a aucune ambition et rassure tout le monde », explique Amin Allal, politiste au CNRS. Père de quatre enfants, Ennaceur n’a pas la fougue de son compagnon de route Essebsi. Selon ses collègues au palais du Bardo, siège du Parlement, le décès de son fils, le scénographe Slim Ennaceur, en 2013, l’a beaucoup affecté.

Au perchoir de l’Assemblée, il n’a jamais fait preuve de beaucoup de dynamisme dans la distribution de la parole en séance plénière. Ses cheveux blancs brossés à l’arrière, son sourire discret et ses yeux clairs lui donnent un air de grand-père qui attendrit certains mais inquiète ses opposants.

« Tout sauf Ennahda »

Le président Essebsi se plaisait à répéter qu’il n’avait pas participé à la révolution mais qu’il s’était engagé à la servir. Ennaceur est à son image. Son retour sur la scène politique, c’est à son « compagnon » qu’il le doit. En 2011, ce docteur en droit social, proche de l’UGTT, reprend le portefeuille des affaires sociales. Objectif du gouvernement : organiser les premières élections libres, celle d’une Assemblée constituante. Cette équipe s’engage à ne pas se présenter aux élections de 2011 et voit Ennahda, le parti islamiste, remporter le scrutin.

Deux ans plus tard, les travaux de l’Assemblée constituante s’enlisent. Les assassinats politiques de deux figures de la gauche, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, divisent le pays. La légitimité du pouvoir élu s’érode au profit de la mise en place d’un « dialogue national » qui vaudra plus tard à la Tunisie le prix Nobel de la paix (2015). Ennahda et ses partenaires – désignés sous l’appellation de « troïka » – acceptent de transmettre les rênes du pouvoir pacifiquement, mais encore faut-il trouver un successeur. C’est à ce moment que le nom d’Ennaceur circule dans les couloirs comme potentiel chef d’un gouvernement « technocrate » jusqu’aux élections de l’automne 2014. La troïka s’y oppose. Ennaceur ne lui semble alors pas assez « neutre » pour conduire le pays vers les élections.

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C’est qu’il n’est pas dénué d’attaches partisanes. Quelques semaines plus tard, il se retrouve parachuté au poste de vice-président de Nidaa Tounes, parti fondé en 2012 par Béji Caïd Essebsi et dont le moteur est « tout sauf Ennahda ». Aux législatives de 2014, il est propulsé tête de liste de Nidaa Tounes dans la région de Mahdia, où se trouve sa ville natale d’El Jem, dont il a été maire pendant trois décennies. Cette ville se targue d’abriter le plus grand amphithéâtre antique après celui de Rome, tout en dissimulant une autre performance moins flatteuse : c’est l’une des plateformes du commerce de contrebande en Tunisie.

Ennaceur n’a pas seulement succédé à Essebsi à la tête de l’Etat, mais aussi à la tête du parti, après l’élection de ce dernier à la présidentielle de décembre 2014. Et sur ce volet, le bilan est assez mitigé. Il n’a en effet pas réussi à transformer Nidaa Tounes « d’une machine électorale en un parti structuré », selon des caciques destouriens. Ennaceur « peinait à rassembler le bureau exécutif et à organiser le premier congrès », regrettent plusieurs élus qui ont quitté le parti depuis. Surtout, il n’a jamais pris une position publique contre Hafedh Caïd Essebsi, fils de l’ex-chef de l’Etat, installé aux commandes du parti grâce à l’onction paternelle. Alors que cette « succession dynastique » controversée fragmente le parti en scissions sans fin, Ennaceur demeure d’une loyauté sans faille à l’égard de Béji Caïd Essebsi.

Réhabilitation des « anciens »

Au bout du compte, le retour d’Essebsi et d’Ennaceur sur la scène politique a marqué une nouvelle séquence de la période post-2011 : l’élan révolutionnaire a perdu sa dynamique et la réhabilitation des « anciens » s’est normalisée. Le point d’orgue advient en mars 2018, quand le Parlement est appelé à voter sur la prolongation ou non de l’Instance Vérité et Dignité, chargée de la justice transitionnelle. Le ton monte à plusieurs reprises, frôlant les insultes. Ennaceur trahit parfois des accès de colère, lui qui est d’ordinaire plutôt impassible.

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« Il servait l’agenda de son parti et du président de la République », hostile à la reddition des comptes de l’ancien régime et adepte de la réconciliation avec ce dernier, observe Monia Brahim, une figure d’Ennahda, membre de la coalition au pouvoir. La loi a été votée sans quorum et n’a jamais été publiée au journal officiel. « Ce jour-là, le président de l’Assemblée est sorti de son rôle d’arbitre. Il a pris fait et cause pour son parti, Nidaa Tounes », déplore Samia Abbou, du Courant démocratique (opposition). « Il a dépassé les limites », dénonce Monia Brahim.

C’est que le tandem formé par Essebsi et Ennaceur était sans nuage. Alors que le premier, si décrié durant son mandat, connaît une popularité posthume, le second choisit aujourd’hui le silence durant les crises politiques et judiciaires que connaît le pays, notamment après l’arrestation, le 23 août, de Nabil Karoui, l’un des candidats à la présidentielle.

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