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La polémique autour de Facebook prend une tournure politique d’une ampleur inattendue en Inde. Après l’article du Wall Street Journal paru le 14 août, faisant état de l’attitude complaisante du réseau social américain à l’endroit du gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi, les dirigeants locaux de l’entreprise ont été convoqués au Parlement, à New Delhi, le 2 septembre. Devant une commission ad hoc dirigée par le député du Kerala Shashi Tharoor, grande figure du Parti du Congrès – principale formation d’opposition –, le PDG de Facebook India, Ajit Mohan, a eu la surprise de se retrouver pris entre deux feux.
D’un côté, des élus de gauche, qui lui ont reproché de ne pas censurer des publications insultantes envers la communauté musulmane indienne, certaines émanant de personnes affiliées au parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), d’autres de salariés indiens de Facebook. De l’autre, des élus de droite qui, après trois semaines de polémiques, n’ont trouvé d’autre parade que d’accuser Facebook d’être, au contraire, à la solde des « gauchistes » en général, et du Parti du Congrès en particulier.
La veille de l’audition à la Lok Sabha, la Chambre basse du Parlement, le ministre de la justice et des technologies de l’information avait d’ailleurs donné le ton en adressant une lettre virulente à Mark Zuckerberg, le patron de Facebook. D’après Ravi Shankar Prasad, poids lourd du gouvernement Modi, « l’équipe de Facebook India est dominée par des personnes ayant des convictions politiques particulières. Les personnes issues de cette prédisposition politique ont été massivement vaincues lors d’élections libres et régulières successives. Après avoir perdu toute légitimité démocratique, ils tentent de discréditer le système politique indien en contrôlant les chaînes de décision des réseaux sociaux ».
Facebook « neutre » et « apolitique »
Le ministre ajoutait dans sa lettre être « sérieusement inquiet » que Facebook ait pu jouer un rôle dans les élections législatives du printemps 2019. Selon lui, la direction de la filiale indienne aurait à l’époque « supprimé » des pages et « réduit » la visibilité des partisans de « l’idéologie du centre-droit ». Une affirmation surprenante, puisqu’au bout du compte, ce sont les nationalistes hindous qui ont réalisé un raz-de-marée historique dans les urnes, pas la gauche. Du reste, le Parti du Congrès estime lui aussi que le réseau social a influencé les électeurs, mais en sens inverse, en se retenant de supprimer des fausses informations destinées à dénigrer la gauche.
Ajit Mohan est resté de marbre lors de son passage devant la commission parlementaire. Se gardant bien de répondre aux accusations des deux camps, il a répété à plusieurs reprises que Facebook était « neutre » et « apolitique », précisant que la firme californienne respectait les opinions de ses employés et que ceci n’avait « aucun effet » sur leur travail de régulation.
Selon plusieurs députés ayant participé à la réunion, le dirigeant a également indiqué que Facebook avait supprimé 22,5 millions de propos haineux dans le monde, rien qu’au deuxième trimestre 2020. Mais il n’a pas donné de chiffre pour l’Inde et n’a pas non plus rebondi sur la demande des députés d’établir des règles particulières en Inde en la matière.
Le sous-continent représente le plus grand marché de Facebook, devant les Etats-Unis, avec une pénétration qui oscille actuellement, selon les sources, entre 251 et 269 millions d’utilisateurs. La firme publie des données sur l’Asie dans son ensemble – continent où elle revendiquait 832 millions d’utilisateurs au 31 mars 2020 – mais ne communique pas spécifiquement sur ses positions en Inde. En tout état de cause, le potentiel de développement reste énorme, puisque l’Inde compte 560 millions d’internautes et que ces derniers ne représentent que 40,6 % de la population totale.
« L’important est de faire de l’audience »
C’est ce qui a incité Mark Zuckerberg à investir en avril 5,7 milliards de dollars (4,8 milliards d’euros) dans le pays, pour être partie prenante d’une gigantesque plate-forme de e-commerce mise en place par le milliardaire Mukesh Ambani, un proche du premier ministre Modi. Début juillet, Facebook a en outre lancé en Inde la nouvelle fonction de partage de vidéos Reels d’Instagram (application qui lui appartient), qui imite l’application chinoise à succès TikTok… L’entreprise profite que cette dernière soit bloquée par les autorités de New Delhi dans le cadre du conflit frontalier dans l’Himalaya depuis le mois de mai.
Autant de raisons de considérer Facebook comptable de ses agissements, estime l’Hindustan Times. Dans une chronique publiée le 6 septembre, le quotidien anglophone, sous le nom de plume de Chanakya, juge cette affaire beaucoup plus grave qu’on ne croit :
« Tant que les sociétés comme Facebook ne seront pas assimilées à des médias comme les autres, et obligées de remplir les mêmes obligations éthiques, commerciales et légales, la démocratie court le risque d’être sévèrement compromise, peut-être même de manière irréversible. »
Bien sûr, reconnaît Chanakya, Facebook a donné à beaucoup de citoyens, qui ne pouvaient pas se faire entendre autrefois, « la possibilité d’exprimer publiquement leurs opinions ». Cependant, contrairement à ce que prétend Mark Zuckerberg, le réseau n’est pas qu’une simple plate-forme d’échanges. « Sa stratégie de contenu est basée sur la viralité. Les publications peuvent être fausses ou répandre la haine, l’important est de faire de l’audience pour attirer les annonceurs, y compris les annonceurs politiques. »
Pour Mishi Choudhary, directrice juridique du Software Freedom Law Center, une association américaine de défense des logiciels libres, Facebook fait ainsi partie de ces firmes ayant « le privilège d’infliger sans responsabilité légale un préjudice à des particuliers », le cas échéant avec des arrière-pensées politiques.
C’est précisément pour cela que le réseau américain est amené à « constamment négocier avec le pouvoir », ajoute l’experte d’origine indienne. En clair, Facebook est soupçonné d’être particulièrement conciliant avec le BJP et le gouvernement Modi, dans le but de ne pas être inquiété par la justice indienne à propos des contenus que ses abonnés publient.
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