« Lève-toi, Samir mon frère, partons ensemble jusqu’à la place des Martyrs »

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S’adressant, dans une tribune au « Monde », à son ami l’historien et journaliste Samir Kassir, grande voix du monde arabe, assassiné dans un attentat à la voiture piégée en juin 2005, l’écrivain libanais célèbre la promesse longtemps attendue d’un peuple enfin uni contre le « communautarisme mafieux ».

Publié aujourd’hui à 11h07 Temps de Lecture 5 min.

« Le peuple libanais renaît, uni dans un gigantesque soubresaut qui représente l’avènement d’une révolution dont nous avions longtemps rêvé » (L'écrivain libanais Elias Khoury, en 2004).
« Le peuple libanais renaît, uni dans un gigantesque soubresaut qui représente l’avènement d’une révolution dont nous avions longtemps rêvé » (L’écrivain libanais Elias Khoury, en 2004). STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Tribune. Du cœur du soulèvement d’octobre, je t’écris. Je suis assis dans ton jardin et je vois ton image se refléter dans l’eau, embrassant les jeunes Libanais qui envahissent les rues de nouveau. Le peuple libanais renaît, uni dans un gigantesque soubresaut qui représente l’avènement d’une révolution dont nous avions longtemps rêvé.

De Tripoli à Tyr, de Zouq, de Jbeil jusqu’à Nabatiyé, Baalbek, Akkar et Batroun, jusqu’à Beyrouth, le peuple s’est rebellé contre les communautés religieuses et leurs leaders, il a brisé les auréoles factices du sacré et de la pudeur, il s’est dressé contre la caste des oligarques et des mafieux qui l’ont dépouillé, humilié, affamé et spolié.

L’image du ségrégationniste Gebran Bassil [ministre des affaires étrangères libanais, gendre du président de la république Michel Aoun], et de son maître muet s’est brisée, l’aura a volé en éclats lorsque le secrétaire général du Hezbollah [Hassan Nasrallah] a déclaré être le représentant du système et le garant du gouvernement des bandits. Nabih Berri [président de la Chambre des députés libanais] s’est démasqué en ordonnant à ses voyous de tirer sur les manifestants.

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Lève-toi, Samir mon frère, partons ensemble jusqu’à la place des Martyrs, accompagne-moi à la place Riyad al-Solh. C’est le festival de la liberté, allons vers la joie, l’amour, la beauté et la dignité. Du rap résonne sur la place Nour à Tripoli. Avec les cris de liberté, les gens ont créé leur festival à Baalbek. Sur le littoral doré de Tyr, les feux de joie ont resplendi partout.

Notre patrie vient de naître dans la rue, libre, indépendante et démocratique

C’est cela, notre Liban ! Des manifestants qui acclament la Palestine et la Syrie et se préparent à vivre les plus beaux moments du « printemps arabe ». Notre Damas est là ! Notre Palestine est là ! Nous avons longtemps attendu cet instant et, lorsqu’il est arrivé, nous sommes allés à sa rencontre sans appréhension aucune. Notre rêve, celui de voir le peuple uni balayer les faux slogans de l’union nationale et communautariste, se matérialise aujourd’hui dans les rues et sur les places.

Le système qui a fait régner la peur, le banditisme, le vol, le protectorat de l’étranger s’est effondré. Oui, camarade martyr, le système est tombé, les gens n’appellent pas à le faire tomber, ils le font tomber de leurs mains. A l’instant précis où nous avions radié la stupidité du fanatisme communautariste, où nous avions constaté que le clientélisme des chefs des communautés et des mafieux nous avait acculés à la faim et à l’humiliation, il s’est effondré sous les pieds des jeunes, qui sont les premiers ébahis par leur prodigieuse révolution.

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Nous n’avons plus besoin d’imaginer un Liban laïque, non communautariste, il est là, je le vois de mes propres yeux, je le vois sur les fronts des jeunes filles et des jeunes gens qui lèvent les yeux et qui aspirent à la conquête des horizons de liberté. Je vois l’amour renaître des cendres de nos âmes. Les jeunes ont redressé la tête pour acclamer l’amour et la joie. Cette grande bataille de classe dans laquelle se sont engagés les pauvres, les marginaux et les classes moyennes en voie de paupérisation est en fait un combat pour la vérité et pour la dignité. Les imbéciles qui nous avaient pris pour monture depuis l’Indépendance et qui avaient toujours été à la solde des puissances étrangères ont jeté le Liban dans le gouffre, et du fond du gouffre, nous avons surgi…

Il n’y a rien de plus insolent, de plus mesquin et de plus méprisable que ce système communautaire mafieux qui fait fi de la raison des gens et qui les écrase en croyant être capable de les maintenir dans les cohortes haïssables des communautés.

Les bandits qui gouvernent le Liban

Dans la lutte pour le pain, la liberté et la justice sociale, le Liban s’est soulevé pour renaître jeune, beau, éclatant d’amour. Ils t’ont assassiné pour la promesse que tu nous avais faite, toi mon frère, mon compagnon ! Aujourd’hui la promesse s’est muée en un véritable rendez-vous : que le système et son gouvernement aillent en enfer !

Le pacte du pouvoir instauré par le Guide suprême vacille et se dénonce lui-même, le pacte insensé et raciste doit prendre fin ! Vous rappelez-vous, mes camarades, comment les gens se sont gaussés de vous lorsque vous aviez appelé à la chute du système communautaire ? Vous rappelez-vous comment ils nous avaient terrorisés lorsque nous avions crié « Tous ! Tous ! sans exception ! » ? Aujourd’hui, la caste des oligarques communautaristes a réussi à les contrer en se maintenant face aux clameurs du peuple, ou en faisant taire les foules avec quelques privilèges.

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C’est trop tard ! Il ne s’agit plus de taxes, celles-ci n’ont fait que dévoiler la vérité des bandits qui gouvernent le Liban. L’affaire porte désormais un autre nom et ceux qui voudraient le connaître devraient lire les mots écrits en lettres de sang par Samir Kassir et par les autres martyrs de la liberté. Ils y trouveront la vérité qui triomphe de l’assassinat et du terrorisme.

Le système des communautés est tombé

Nous ne sommes qu’au tout début du combat, les pouvoirs maffieux font planer la menace du désordre et se préparent à nous noyer dans le sang. Nous en sommes conscients et nous décelons déjà les prémices de cette tactique, mais nous ne reculerons pas. Quoi qu’ils fassent, le système est tombé, le schéma de la guerre civile est tombé, et dans toutes les régions du pays, les gens en ont réclamé la fin. Le système des communautés est tombé, son idéologie et ses masques également.

Aussi, il devient urgent d’empêcher le pouvoir et ses sbires de faire couler le sang comme l’ont pratiqué les diverses dictatures arabes. Certes, il s’agit là d’une mission difficile et de longue haleine, mais elle n’est pas inaccessible. Face au soulèvement d’octobre, aucun recul n’est plus possible. Notre patrie vient de naître dans la rue, libre, indépendante et démocratique.

(Traduit de l’arabe par Rania Samara)

Elias Khoury est écrivain. Né à Beyrouth en 1948, journaliste, chroniqueur, cette grande figure de la littérature arabe est l’auteur d’une douzaine de romans parmi lesquels La Porte du soleil (Actes Sud, 2002) ou encore Les Enfants du ghetto. Je m’appelle Adam (Actes Sud, 2018).

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