les « Sahéliens » espèrent retrouver leur influence perdue

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Le ministre de la défense, Abdelkrim Zbidi, candidat à l’élection présidentielle (ici à Tunis, le 7 août 2019), est perçu comme le champion des Sahéliens.
Le ministre de la défense, Abdelkrim Zbidi, candidat à l’élection présidentielle (ici à Tunis, le 7 août 2019), est perçu comme le champion des Sahéliens. HASNA / AFP

La terrasse du palais offre une vue imprenable sur la palmeraie, au-delà laquelle s’étale le bleu profond de la Méditerranée. Inévitablement, le regard se porte aussi sur des villas alentour, décaties et ébréchées, spectacle désolé digne d’après-ouragan. Amer contraste : à l’intérieur du musée, c’est la gloire qui exsude, certes fanée, mais à l’orgueil intact. Au bord du littoral de Monastir, cité du Sahel tunisien (une région qui s’étend de Hammamet à Mahdia, en passant par Sousse), l’ancienne demeure présidentielle de Habib Bourguiba, « père de l’indépendance » tunisienne, offre aux visiteurs ses étages peuplés d’augustes souvenirs.

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Mobilier très années 1960, galeries de photos du héros fêté par le peuple, bibliothèque emplie de ses œuvres complètes et d’ouvrages sur la décolonisation, robe de chambre étalée sur son lit : Habib Bourguiba avait établi ici, en sa ville natale, ses quartiers d’été, oubliant pour la saison la majesté plus froide du palais de Carthage, au nord de Tunis. Après sa disgrâce de 1987, son successeur Zine el-Abidine Ben Ali, qui l’avait déposé lors d’un « coup d’Etat médical », a ordonné la fermeture du palais. Le complexe est quasiment tombé en friche : d’où les villas – pavillons des invités construits par l’architecte Olivier-Clément Cacoub – abandonnées à la corrosion du vent marin.

La fierté d’avoir enfanté ce fils prodige n’en finit pourtant pas d’habiter les Monastiriens. Et elle pèse lourdement sur les esprits à la veille du scrutin présidentiel du 15 septembre. « Ici, on votera Zbidi, lâche benoîtement le gardien du musée. C’est un Sahélien. Et le Sahel a été oublié après la révolution. » Abdelkrim Zbidi, ministre de la défense – en congé durant la campagne – et natif de Mahdia, à une quarantaine de kilomètres au sud de Monastir, est assurément le champion des Sahéliens.

Favoritisme d’Etat

« C’est un non-dit, car la question est sensible », chuchote un militant de gauche de Monastir. Ce qu’il ne faut pas clamer trop haut, c’est la prégnance du régionalisme en Tunisie. Si les zones du nord-ouest (Le Kef, Jendouba…), du centre (Sidi Bouzid, Kasserine…) et du sud (Tozeur, Gafsa, Médénine, Tataouine…) affichent souvent leurs particularismes régionaux pour dénoncer leur statut de laissés-pour-compte des politiques de développement de Tunis, le Sahel s’est toujours montré plus discret sur le sujet.

Et pour cause : cette région littorale, pépinière de l’élite nationaliste qui a dirigé autour du parti Néo-Destour le combat contre la France, a été gâtée par les régimes post-indépendance (1956). Qu’il s’agisse des présidents de la République (Bourguiba puis Ben Ali) ou des premiers ministres (Hédi Nouira, Mohamed Mzali, Rachid Sfar, Hédi Baccouche…), la Tunisie a pour l’essentiel été dirigée par les Sahéliens. « Les Sahéliens ont prouvé leur capacité à gouverner et à fédérer le pays », dit Zohra Driss, députée sortante et femme d’affaires de Sousse, qui se garde toutefois de cultiver un quelconque régionalisme.

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Fort de ce levier politique, les Sahéliens, historiquement petits propriétaires ruraux, ont progressivement conquis des positions au détriment de Sfax, jusqu’alors poumon économique du pays. Dans les années 1980 et 1990, le tourisme de masse et l’implantation d’entreprises vouées à l’exportation (notamment dans le textile), autant de secteurs encouragés par l’Etat, ont facilité la formation d’une classe d’affaires sahélienne.

« La force des Sahéliens, c’est l’éducation, relève Mme Driss. Les familles qui en avaient les moyens ont toujours envoyé leurs enfants se former à Tunis puis à l’étranger. Ces jeunes diplômés sont ensuite revenus créer des activités dans leur région natale. » La puissance publique les a toutefois généreusement accompagnés dans cet essor, en dotant le Sahel d’un solide réseau d’infrastructures. La création de deux facultés de médecine à quelques kilomètres de distance (Sousse et Monastir) illustre ce qu’il faut bien appeler un favoritisme d’Etat.

La « revanche du sud »

Après la révolution de 2011, née d’une grogne sociale de la Tunisie intérieure marginalisée, la donne change, en tout cas politiquement. C’est un peu la « revanche du sud », que symbolise l’accession à la présidence de Moncef Marzouki, dont la famille est originaire de Douz, et l’installation d’un gouvernement de coalition (fin 2011-début 2014) dominé par le parti islamiste Ennahda. L’élite sahélienne, souvent associée à l’ancien régime, fait le dos rond et attend des jours meilleurs. « Il faut avouer que les Sahéliens ont vécu avec amertume la perte des postes clés du pouvoir après 2011 », reconnaît Raouf Eltaïef, entrepreneur de Sousse, co-actionnaire d’un plus grands groupes de construction de Tunisie.

L’élection à la tête de l’Etat de Béji Caïd Essebsi, fin 2014, a toutefois permis aux Sahéliens de respirer un peu. Figure du camp anti-islamiste et disciple proclamé de Bourguiba, M. Essebsi tenait un discours sur la « restauration de la grandeur de l’Etat » qui leur est familier et les a rassurés. Mais dans la géopolitique tunisienne, M. Essebsi vient d’un autre horizon : il est Tunisois, issu d’une ces familles de la capitale historiquement associées à l’ancienne monarchie du bey (représentant de l’Empire ottoman), que Bourguiba avait dissoute au lendemain de l’indépendance.

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Lorsqu’à l’été 2016 M. Essebsi nomme à la tête du gouvernement Youssef Chahed, lui aussi issu de la capitale, il se produit en Tunisie une grande première depuis l’indépendance : les « Tunisois », évincés par les Sahéliens en 1956, reviennent au plus haut niveau de l’Etat en cumulant la présidence de la République et la tête du gouvernement. Le malaise sourd, jamais ouvertement formulé. Il est pourtant réel, car la défiance a souvent prévalu entre les deux branches de l’élite tunisienne.

« Les Sahéliens ont toujours considéré les Tunisois comme légers et inconstants, décrypte un fonctionnaire fréquentant les allées du pouvoir. Quand les Tunisois ont pris le pouvoir en 2015-2016, les Sahéliens ont commencé à distiller un discours chauvin, laissant entendre qu’eux seuls étaient de vrais hommes d’Etat aptes à diriger le pays. » Dans cette rivalité en coulisses, les Tunisois souffrent d’un handicap majeur : « Il n’y a pas vraiment de solidarité tunisoise comme il existe une solidarité sahélienne », souligne un fin connaisseur du sérail. Le divorce retentissant entre MM. Essebsi et Chahed a bien illustré cette fragilité des Tunisois.

Zbidi contre Chahed

Est-ce à dire que le scrutin présidentiel du 15 septembre est sur le point de consacrer le grand retour politique des Sahéliens ? Le fait est qu’Abdelkrim Zbidi bénéficie d’une évidente mobilisation des réseaux sahéliens, à la fois politiques et économiques. Youssef Chahed, le chef de gouvernement candidat à la présidentielle, pensait les attirer vers lui, mais la déclaration de candidature de Zbidi a malmené ses calculs. « Si Chahed perd les hommes d’affaires sahéliens au profit de Zbidi, il y a un réel danger pour lui », glisse un député sfaxien.

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Bien sûr, les circonstances de la candidature du ministre de la défense démentent a priori une lecture régionaliste de cette campagne. Car le « Sahélien » Zbidi a été apparemment encouragé à se présenter par le « Tunisois » Essebsi avant le décès de celui-ci, fin juillet. Les deux hommes étaient très proches. En mettant Zbidi sur orbite, Essebsi comptait visiblement contrarier les ambitions de Chahed, le dauphin qui avait « trahi » son mentor.

L’épisode confirme au mieux l’absence de « solidarité » au sein du clan tunisois. Mais il n’invalide pas l’impression, assez partagée, d’un réveil en coulisse des Sahéliens à l’occasion de ce scrutin présidentiel. Ces derniers misent à l’évidence sur Zbidi ou sur d’autres – « ils ne mettent pas leurs œufs dans le même panier », selon un observateur – pour reprendre des positions perdues en 2011.

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