« Les pompiers sont parfois au feu depuis trois mois, c’est une sollicitation énorme »

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Tout juste rentré de Canberra, Pierre Schaller, colonel des sapeurs-pompiers, membre de la mission de cinq experts délégués par la France a répondu à vos questions sur la situation en Australie et sur le travail des « soldats du feu » sur place. Celui qui a une expérience certaine du feu et dont l’une des missions était d’offrir une aide technique, avance que ce qu’il a vu là-bas dépasse largement ce qu’il pouvait imaginer.

Charlotte : La France avait proposé son aide ainsi que le groupe de pompiers qui partent d’habitude sur les gros problèmes à l’étranger. L’Australie a-t-elle accepté cette aide ? Où en est-on ?

Nous avons joui d’une situation privilégiée, le gouvernement australien a reçu 85 offres d’assistance de la part de gouvernements étrangers. Notre offre d’expertise a été acceptée, avec celle des Anglais, des Canadiens, des Américains et des Néo-Zélandais. Nous sommes très heureux d’avoir pu participer.

Ce qu’on constate, c’est qu’entre l’été austral et l’été boréal, il y a maintenant dans le temps et l’espace des incendies de forêts toute l’année, que ce soit dans l’hémisphère Nord ou l’hémisphère Sud. Cela devient un phénomène global, qui va demander une réponse globale. Les missions comme celles que nous avons menées ne peuvent qu’apporter des choses positives pour travailler ensemble.

Les pompiers volontaires du service d’incendie rural de la Nouvelle-Galles du Sud ont été victimes d’un incendie incontrôlable à l’extérieur de Bombala. Le feu a commencé par un coup de foudre à Victoria le 31 décembre 2019 et s’est propagé vers le nord.
Les pompiers volontaires du service d’incendie rural de la Nouvelle-Galles du Sud ont été victimes d’un incendie incontrôlable à l’extérieur de Bombala. Le feu a commencé par un coup de foudre à Victoria le 31 décembre 2019 et s’est propagé vers le nord. ANDREW QUILTY POUR « LE MONDE »

Loic : Quel a été votre apport auprès des pompiers australiens du point de vue technique pour ce feu ?

Notre mission était une mission d’expertise pour voir de près et sans déformation l’organisation du gouvernement fédéral et régional, voir les techniques opérationnelles et les aides techniques que nous pourrions éventuellement apporter.

La question d’un éventuel renfort est possible, mais il y a une double difficulté. D’abord, la distance : c’est compliqué d’envoyer des renforts humains et matériels aussi loin et il faut que ce soit vraiment pertinent. Ensuite, il faut étudier l’intérêt par rapport à l’immensité du territoire, auquel nous ne sommes pas habitués. Nous allons discuter des suites à donner à cette mission dans les minutes qui viennent avec le ministre de l’intérieur. Il y a un intérêt immense à faire un échange de bonnes pratiques pour apprendre mutuellement.

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Charlie : La plupart des pompiers australiens sont volontaires. Pensez-vous que cela ait limité l’action contre les feux (rapidité d’action, matériel…) ?

C’est une constante qui rapproche encore l’Australie de la France : on retrouve un engagement volontaire très important. Mais leur professionnalisme ne peut pas être remis en question. La grosse différence, c’est sur la question du temps : ils sont parfois au feu depuis trois mois, c’est une sollicitation énorme. Pour l’instant, la question statutaire n’a pas été évoquée avec nos camarades.

Loompa : Pouvez-vous nous raconter ce que vous avez vu sur place ?

Factuellement, ce sont des événements d’une dimension qu’aucun d’entre nous n’avait jamais connue. Entre la représentation qu’on se fait d’une situation, par rapport à ce qu’en disent les médias, et le constat de ce qu’est vraiment un feu d’un million d’hectares, c’est vertigineux. Je pense avoir une certaine expérience du feu, et ce que j’ai vu là-bas dépasse largement ce que je pouvais imaginer.

Ce qui m’a marqué, c’est qu’il y a un très bon état d’organisation du gouvernement fédéral et de chaque Etat, et ce malgré les conditions climatiques terribles, une vulnérabilité extrême des combustibles, des températures extrêmes atteignant parfois plus de 48 °C, et une sécheresse de la masse d’air impressionnante. Malgré toutes ces conditions techniques opérationnelles qui sont les plus sévères qu’on puisse imaginer, à aucun moment nous n’avons vu les structures de gestion dépassées. On a pu dire à nos collègues australiens qu’on leur tirait un immense coup de chapeau.

Pour Pierre Schaller, colonel français des sapeurs-pompiers : « Il y a un très bon état d’organisation, et ce malgré les conditions climatiques terribles, une vulnérabilité extrême des combustibles, des températures extrêmes atteignant parfois plus de 48 °C, et une sécheresse de la masse d’air impressionnante. »
Pour Pierre Schaller, colonel français des sapeurs-pompiers : « Il y a un très bon état d’organisation, et ce malgré les conditions climatiques terribles, une vulnérabilité extrême des combustibles, des températures extrêmes atteignant parfois plus de 48 °C, et une sécheresse de la masse d’air impressionnante. » ANDREW QUILTY POUR « LE MONDE »

Victor : Trouvez-vous des similarités d’expansions et de propagation entre les feux français et les feux australiens ?

La végétation, souvent faite d’eucalyptus, de pins, de pins maritimes et de broussailles, ressemble beaucoup au paysage méditerranéen. La différence, c’est l’échelle : tout est puissance mille. Un exemple : en termes de vitesse de déplacement, c’est compliqué pour nous d’intervenir sur le bassin méditerranéen quand le feu dépasse les 1 500 mètres ou 2 000 mètres de progression par heure. Nos collègues australiens nous ont rapporté que dans le Victoria, certains méga incendies avaient une progression de 12 km/h. C’est inouï, et extrêmement difficile de construire une réponse opérationnelle efficace.

Mif : Quels moyens aéronautiques sont utilisés pour lutter contre les incendies ?

Il y a une grande qualité des infrastructures aéronautiques en Australie, notamment du fait des distances immenses du pays. J’ai les chiffres sous les yeux, actuellement l’état du parc des appareils de lutte contre les incendies est de 145 aéronefs (avions et hélicoptères). A cela s’ajoutent de nombreuses locations, faites notamment auprès du Canada et des Etats-Unis, qui ont permis de renforcer la flotte avec des centaines d’appareils, notamment des Boeing 737 et des Avro 730.

En ce moment, quelque cinq cents de ces aéronefs sont mobilisés en Australie, pour une dizaine de missions différentes : bombardement d’eau, transport de passagers, feu tactique, etc.

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Narta : Quelles solutions sont mises en place là-bas et qui vous ont semblé intéressantes pour l’expérience française ?

Il y a une prise en compte de la diffusion de l’information très impressionnante, avec une grande transparence de la part des autorités et des cellules de coordination. Je pense que c’est grâce à ce travail, qui passe notamment par les téléphones portables, qu’on a pu éviter un grand nombre de victimes. C’est un progrès majeur par rapport à 2009, où plus de 230 personnes avaient été tuées dans l’Etat de Victoria. En termes de gestion de crise, on a vu des centres opérationnels incroyables. Il y a une réponse de la puissance publique qui est remarquable.

Pneu28 : Quelles mesures techniques peuvent-elles être mises en place sur le terrain pour, à terme, réduire la propagation des feux de forêts ?

Nous avons constaté que nous avons des pratiques largement similaires avec nos collègues australiens. Par exemple, nous travaillons tous avec la technique du feu contrôlé en hiver pour faire diminuer la biomasse, c’est ancestral dans nos deux pays. Ce sont des techniques qui intéressent aussi de plus en plus les Californiens, qui appellent cela le « fuel management ».

Un contre-feu a été allumé par des volontaires du service des incendies ruraux de la Nouvelle-Galles du Sud pour étouffer un feu de brousse à l’extérieur de Bombala.
Un contre-feu a été allumé par des volontaires du service des incendies ruraux de la Nouvelle-Galles du Sud pour étouffer un feu de brousse à l’extérieur de Bombala. ANDREW QUILTY/VU POUR « LE MONDE »

Par ailleurs, nous faisons aussi beaucoup appel au feu contre le feu, c’est-à-dire le « feu tactique » ou les « brûlages dirigés ». Il faut allumer un feu à l’avant d’un front, pour supprimer le combustible par le feu. Le feu ainsi créé se développe en direction de l’incendie et laisse derrière lui une zone brûlée sous contrôle des pompiers. Quand l’incendie rencontre le feu tactique, il s’éteint ou se réduit, faute de combustible.

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U. : Est-ce que quelques jours de pluie suffiront à éteindre les principaux feux ?

La pluie va donner un peu de répit. Cela va se compter en heures ou en jours, selon les zones concernées. Nous, quand on est au feu et qu’il y a un orage, on est contents parce que même s’il est de courte durée, cela nous permet de souffler un peu. Mais il ne faut pas se faire d’illusions, les pluies vont avoir un effet très relatif, d’autant que l’été dure encore au moins deux bons mois. Il y a aussi des aspects négatifs car des pluies violentes entraînent ruissellement et érosion des sols calcinés.

Makrout : Quel souvenir marquant gardez-vous de votre séjour ?

Ce n’est pas une scène avec de la fumée et du feu. C’est une salle opérationnelle avec une centaine de personnes de tous les services qui écoutent religieusement le briefing de leur chef, qui explique l’ensemble de la situation dans l’Etat du Victoria. Il n’y a pas un portable qui sonne, pas un bruit, pas une télévision allumée. C’est un engagement personnel d’une qualité irréprochable en termes de gestion de situation de crise.

Et puis je retiens aussi l’accueil que nous avons reçu. Les gens qui nous arrêtent dans la rue, et nous remercient d’être venus de si loin. Les Australiens ont besoin de se sentir soutenus internationalement, et la façon dont on a été accueillis a été incroyable, malgré la fatigue et le stress. Ce qu’on leur a dit, c’est qu’il y a des milliers de jeunes Australiens qui sont venus lors des conflits mondiaux mourir pour qu’on soit libres, et qu’on n’a pas l’intention de les abandonner maintenant. On va leur tendre la main, il faut qu’on trouve des situations tous ensemble pour faire face à ce qui frappe la planète entière.

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