Les milices chiites irakiennes proches de l’Iran défient Washington

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La foule a attaqué l’ambassade américaine à Bagdad, mardi 31 décembre.
La foule a attaqué l’ambassade américaine à Bagdad, mardi 31 décembre. AHMAD AL-RUBAYE / AFP

C’est une véritable démonstration de force contre Washington à laquelle se sont livrées les milices chiites irakiennes affiliées à l’Iran, mardi 31 décembre, devant l’ambassade des Etats-Unis, à Bagdad. En début de matinée, un cortège funéraire composé de milliers de partisans des Unités de la mobilisation populaire (MP), une force gouvernementale dominée par ces milices, s’est réuni pour protester contre les raids américains qui ont tué, dimanche, 25 combattants de la milice des Brigades Hezbollah. Les manifestants ont ensuite assiégé la représentation diplomatique américaine située dans la zone verte, un quartier pourtant ultrasécurisé de la capitale irakienne.

Criant « mort à l’Amérique » et brandissant des drapeaux du Hezbollah et de la MP, la foule a attaqué l’enceinte de l’ambassade, arraché les caméras de surveillance et brûlé des installations à l’intérieur de l’immense complexe. Les forces américaines ont répliqué en tirant en l’air à balles réelles avant d’utiliser des grenades lacrymogènes et assourdissantes pour disperser les manifestants, faisant 62 blessés, selon la MP. Après que des renforts ont été déployés par les Américains pour protéger l’ambassade et son personnel – l’ambassadeur américain était absent au moment des faits –, les partisans de la MP ont installé des tentes pour entamer un sit-in. Ils se disent déterminés à le maintenir jusqu’au départ des Américains d’Irak.

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Trump accuse Téhéran

Condamnés unanimement par la classe politique, les raids américains ont aussi fédéré contre Washington au sein de la population, relançant les ambitions des chefs de la MP et de leur soutien iranien de mettre en œuvre ce vieux dessein d’unité. En soutien aux émeutiers, le chef de la sécurité nationale Falah al-Fayyad et son adjoint au sein de la MP, Abu Mahdi al-Mohandes, ainsi que le chef du parti-milice Badr, Hadi al-Améri, et celui de la milice la Ligue des vertueux (« Asaïb Ahl Al-Haq »), Qaïs al-Ghazali, se sont ainsi affichés devant l’ambassade américaine.

Leur présence se voulait un pied de nez à l’administration américaine, qui a affirmé, lundi, par la voix de son représentant pour l’Iran, Brian Hook, avoir « restauré de façon significative les capacités de dissuasion américaines face à l’Iran » en ciblant cinq sites des Brigades Hezbollah, jugées responsables de l’attaque à la roquette, vendredi, contre une base américaine dans le nord de l’Irak, qui a tué un sous-traitant américain.

Mardi, le président Donald Trump a accusé l’Iran d’avoir « orchestré » l’« attaque » contre son ambassade, pour laquelle il sera tenu « pleinement responsable ». Si Téhéran a dénoncé en réponse « l’audace » de Washington de lui attribuer ces manifestations, des partisans de la MP arboraient des portraits du guide suprême iranien Ali al-Khamenei et ont signé sur les murs de l’ambassade : « Qassem Soleimani [le général iranien à la tête des forces Al-Qods] est notre chef. »

Mainmise iranienne

Depuis la fin de la guerre contre l’organisation Etat islamique (EI) en 2017, et surtout l’annonce du retrait unilatéral américain de l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des sanctions en mai 2018, la lutte d’influence que se livrent les deux parrains rivaux en Irak est émaillée de provocations des milices chiites pro-iraniennes contre les intérêts américains. Par le biais de ses alliés locaux et des partis chiites qui lui sont acquis, dominants au sein de l’Etat, Téhéran a renforcé son influence au détriment de Washington. La facilité avec laquelle les partisans de la MP sont entrés dans la zone verte, et leur refus d’obtempérer à l’injonction du premier ministre démissionnaire Adel Abdel Mahdi d’évacuer les lieux, a démontré leur mainmise sur les institutions politiques et sécuritaires.

A la tête de la coalition parlementaire Al-Fatih, qui dispose de 48 sièges au Parlement, Hadi al-Améri et Qaïs al-Ghazali ont relancé un projet de loi destiné à bouter les forces étrangères, dont les 5 200 soldats américains, hors d’Irak. Les troupes avaient pourtant été déployées à l’été 2014, à la demande du gouvernement, pour assister et former les forces irakiennes dans la lutte contre l’EI. Après trois tentatives infructueuses au Parlement depuis 2018, les deux parlementaires ont reçu le soutien de leur principal adversaire dans le camp chiite, le chef populiste Moqtada al-Sadr, dont l’Armée du Mahdi a combattu les forces américaines après l’invasion de 2003 et dont la coalition dispose de 52 sièges. D’autres formations chiites, dont le parti Dawa de l’ancien premier ministre Nouri al-Maliki, soutiennent l’initiative, qui a reçu plus de 100 signatures de députés, alors qu’une majorité de 165 voix est requise.

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« Ça va être difficile pour les forces américaines d’opérer »

Les jours sont-ils comptés pour la présence américaine en Irak ? Michael Knights, expert au Washington Institute for Near East Policy, en doute. « Je pense que ce vote n’aura peut-être pas lieu. La direction religieuse, le président de la République et le président du Parlement, les Kurdes et certaines formations chiites et sunnites ont déminé les précédentes tentatives », pointe-t-il. Toutefois, pour Abbas Kadhim, responsable du programme Irak au sein du think tank Atlantic Council, cette nouvelle tentative a toutes les chances de fédérer le camp chiite, majoritaire, tandis que le gouvernement est aux abonnés absents, déstabilisé par la contestation contre le pouvoir lancée le 1er octobre.

« C’est irrémédiable. Avec ces raids, les forces américaines sont passées du statut d’alliées à celui de forces qui ciblent des Irakiens et peuvent intimider leurs ennemis politiques », estime M. Kadhim. Et, même si le vote de la loi n’aboutissait pas, les partisans de la MP pourraient envisager de maintenir leur siège pour empêcher les diplomates américains de poursuivre leur mission et harceler leurs bases militaires. La présence diplomatique américaine a déjà été réduite à son minimum en mai, à la suite d’attaques. « Ça va être difficile pour les forces américaines d’opérer, ça l’est déjà. Elles sont interdites d’opérer depuis l’aéroport de Bagdad, dirigé par un membre des renseignements de Badr », pointe Michael Knights.

Le durcissement des relations entre les Etats-Unis et l’Irak pourrait être lourd de conséquences. « Cette loi va contre les intérêts américains et aussi irakiens, mais le symbolisme prime désormais sur le pragmatisme pour les responsables irakiens », estime M. Kadhim. « Tout le monde a vu ce qui s’est passé à la suite du retrait américain d’Irak fin 2011, avec la montée en puissance de l’Etat islamique. Et, si les Américains doivent partir, les autres forces au sein de la coalition partiront également », explicite M. Knights. Non seulement Bagdad se priverait d’une aide financière, économique et militaire incontournable pour la stabilisation du pays, mais il risque également de tomber sous le coup des sanctions américaines qui visent l’Iran.

La confrontation ouverte entre Washington et Téhéran sur le sol irakien suscite aussi le désarroi parmi les manifestants qui campent place Tahrir depuis octobre pour protester contre l’élite politique au pouvoir et le parrain iranien. Des coordinateurs du mouvement se sont dissociés des partisans de la MP qui ont mené l’attaque contre l’ambassade américaine. Ces derniers, pointe l’expert Abbas Kadhim, « vont mettre la pression sur les manifestants de Tahrir, qu’ils n’ont cessé de dénoncer comme des agents américains, pour qu’ils fassent montre de leur patriotisme. Le conflit avec Washington risque de s’imposer comme la cause qui pousse tout le monde à se rallier sous une même bannière ».

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