Les femmes, moteur de la métamorphose de la ville de Medellin en Colombie

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Medellin (Colombie), le 9 avril 2014. Les femmes du quartier de la Moravia ont créé une coopérative et cultivent des plantes sur ce qui était auparavant une montagne de déchets.
Medellin (Colombie), le 9 avril 2014. Les femmes du quartier de la Moravia ont créé une coopérative et cultivent des plantes sur ce qui était auparavant une montagne de déchets. AFP/Raul Arboleda

Sur les flancs de la butte de Moravia, les plates-bandes carrées dessinent un ravissant patchwork. Le métro aérien qui traverse la ville de Medellin passe juste au pied du monticule de verdure. Côté ouest, le paysage se fait parpaings et tôles. « Quand je suis arrivée, tout était poubelle », se souvient Elsy Torreglosa en désignant d’un geste le quartier de Moravia, devenu symbole du processus de rénovation de Medellin. Berceau de l’industrialisation du pays au XIXe siècle, la deuxième ville de Colombie se veut aujourd’hui modèle d’innovation urbaine.

Elsy est une des fondatrices de Cojardicom. La coopérative réunit aujourd’hui une douzaine de femmes. Elles s’occupent, en bénévoles, de la superbe pépinière qui, en haut de la butte, abrite orchidées et anthuriums. « Nous voudrions cultiver un potager bio, raconte Elsy. Mais il nous faut des fonds pour investir et faire de la culture hydroponique. Le sol, ici, est trop toxique pour une culture vivrière. » La verdure ne doit pas tromper. Sous le jardin de Moravia, la terre regorge de métaux lourd et de gaz toxiques.

« Dans les années 1960, les gens venaient ici jeter leurs poubelles, sans que personne ne s’en soucie »

Sourire éclatant et ongles impeccablement vernis, Angela Holguien, 42 ans, a grandi ici au milieu des ordures. Elle raconte l’histoire du quartier aux touristes qui viennent en admirer la métamorphose. « Dans les années 1960, les gens venaient ici jeter leurs poubelles, sans que personne ne s’en soucie, explique Angela. De 1972 à 1984, Moravia est devenu officiellement décharge municipale. Les paysans qui fuient la violence et la misère des campagnes arrivent par milliers. La gare routière est juste de l’autre côté de la voie, alors les nouveaux arrivants n’ont qu’à la traverser pour s’installer sur les ordures. » Le quartier grossit, la butte grandit dans la puanteur. Elle atteindra 40 mètres de hauteur.

Le chemin qui y grimpe est aujourd’hui bordé de photos. Enfants en haillons et masures perchées dans les déchets rappellent le passé miséreux de l’endroit. Angela se souvient du plaisir de voir arriver les bennes à ordures : « Elles apportaient des poupées cassées et des saucisses périmées, c’était notre Père Noël à nous. » Mais les logements étaient insalubres, et les incendies fréquents. « Il a fallu se battre pour faire bouger les choses, se souvient Luz Mila Hernandez. Les femmes ont pris les choses en main. » Charismatique et déterminée, Luz Mila est la fondatrice d’un collectif de quartier, « Moravia résiste ». Elle refuse de dire son âge. Sa fille violoncelliste est sa fierté.

Medellin (Colombie), le 9 avril 2014. Aujourd’hui jardin partagé, la butte de Moravia était auparavant une montagne de déchets.
Medellin (Colombie), le 9 avril 2014. Aujourd’hui jardin partagé, la butte de Moravia était auparavant une montagne de déchets. AFP/Raul Arboleda

« Deux hommes pour dix femmes »

Professeure en sciences sociales à l’université de Medellin, Paula Andrea Vargas confirme que les femmes ont joué un rôle essentiel dans la transformation urbaine. « Nombre de femmes sont arrivées veuves à Moravia, en provenance des zones rurales en conflit, raconte Mme Vargas. La guerre avait assassiné ou pris leurs hommes. Les femmes chefs de famille ont dû s’impliquer dans la vie du quartier. » Pendant que les maris – s’ils existent – font de longues journées, les femmes s’organisent pour garder tour à tour les enfants, monter une coopérative, obtenir des autorités municipales une école ou un centre de santé. L’entraide a été une condition de la survie. « C’est incroyable d’entendre dire que les femmes se crêpent le chignon, alors que nous sommes tellement plus solidaires que les hommes », soupire Luz Mila. En Amérique latine, les préjugés sexistes ont la vie dure.

« Déracinés, arrachés à leurs terres, les paysans se sentent déclassés quand ils arrivent à la ville. Ils ont souvent plus de mal à se reconstruire que leurs épouses », explique la psychologue Sonia Perez. « Les femmes ici sont des battantes », confirme Antonio Aguilar, recycleur comme tous les premiers habitants de Moravia. Avec son épouse, Marina, il s’est battu pour faire exister le terrain de foot et son superbe gazon synthétique, qui trône au cœur des ruelles bruyantes du quartier. « On s’est bagarré pour que personne n’envahisse ce bout de territoire et que toute la collectivité en bénéficie », explique Marina qui, elle, a créé une coopérative de recyclage et fournit du travail à des dizaines de femmes. Les premiers projecteurs qui entourent le terrain ont été offerts par le narcotrafiquant Pablo Escobar en 1982. « On ne savait pas qui c’était à l’époque », prend soin de rappeler Antonio.

Comme la violence rurale, la violence urbaine touche d’abord la population masculine

C’était juste avant que n’explose le trafic de cocaïne. A Moravia, comme dans tous les bidonvilles qui tapissent les montagnes autour de Medellin, la drogue dope alors les rêves d’ascension sociale. « El Patron » fait régner la terreur, avant d’être assassiné par la police nationale en 1993. Arrivé en 1987, le vieux Gregorio se souvient : « Tous les matins, dans cette rue, on ramassait un ou plusieurs corps criblés de balles. » Comme la violence rurale, la violence urbaine touche d’abord la population masculine. Les mères perdent leurs fils. « Pablo reste très admiré ici », soupire Marina.

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« Je sais qu’il y a des femmes qui sont des tueuses. Mais, franchement, elles sont peu nombreuses. Ici à Medellin, où il y a tellement de mafias, je n’ai jamais entendu parler d’une organisation criminelle de femmes », fait remarquer Elsy, en contemplant la ville qui s’étale dans la vallée. Elle s’interroge sur les raisons de cette différence : « Est-ce parce que nous donnons la vie que nous sommes moins prêtes à tuer ? Ou parce que nous sommes moins courageuses ? Ou parce que nous n’avons pas été élevées pour prendre des risques ? » Pourtant, ce sont majoritairement des femmes qui prennent la tête des conseils de quartier, des crèches et des cantines populaires et, à l’occasion, des mobilisations sociales. « Je dirais que la proportion est aujourd’hui de 1 pour 5, affirme Luz Mila. C’est-à-dire que si, dans une réunion ou un conseil de quartier il y a deux hommes, il y a dix femmes. » Après un temps, elle ajoute : « Mais il y a aussi des femmes ombres à Moravia, des femmes dont on ne tire pas un mot. »

Culture métro

En 1991, Medellin arrive en tête du classement mondial des villes les plus dangereuses, avec 381 homicides pour 100 000 habitants. Le taux est descendu, en dents de scie, à 24/100 000 en 2018 – à titre de comparaison, le taux est inférieur à 1/100 000 à Paris. Rien n’est gagné : la logique de la lutte entre les gangs criminels reste puissante. La criminalité diminue lorsqu’un gang réussit à s’imposer aux autres, et repart à la hausse quand la rivalité entre bandes reprend ses droits.

« Dans les années 1990, Medellin a connu l’horreur et touché le fond. C’est paradoxalement ce qui nous a permis de rebondir. La situation est devenue tellement grave qu’un consensus s’est peu à peu dégagé entre tous les acteurs de la ville. L’administration municipale, les organisations sociales, les élites économiques et universitaires ont alors accepté de travailler ensemble », explique l’architecte Felipe Jaramillo. Cette association a été la clé du succès de la transformation de Medellin et du quartier de Moravia, qui a fait l’objet d’un programme d’intervention urbaine concertée. Luz Mila abonde. « Toutes seules, sans moyens, les femmes ne peuvent pas changer les choses, évidemment. Mais sans nous, la mairie ne peut rien faire. » Elsy complète le diagnostic : « On a mis du temps à comprendre que les fonctionnaires n’étaient pas nos ennemis. » La mairie finance aujourd’hui l’entretien du jardin.

Sécurité, éducation, transport, la politique de la ville mise en place depuis quinze ans s’est voulue intégrale. Medellin a appris à se vendre. Stratégie de communication aidant, elle accumule les prix d’urbanisme. « A écouter les fonctionnaires de la mairie et les experts internationaux, on pourrait croire que Medellin est née en 2004, s’agace Luz Mila. C’est oublier le rôle des organisations sociales qui, tout au long des années noires, ont maintenu en vie le tissu social. »

Alors que la capitale Bogota attend toujours le sien, le métro de Medellin, désormais doublé de téléphériques qui desservent les hauteurs surpeuplées, est devenu symbole du dynamisme de la ville. Les campagnes éducatives mises en place par les autorités ont porté leurs fruits : la « culture métro » est devenue synonyme de civisme, de respect et de convivialité.

Lire aussi Prix de l’innovation urbaine 2019 : les nominés dans la catégorie « urbanisme »

A l’entrée du quartier de Moravia, les installations du Centre culturel sont, comme le métro, impeccablement entretenues. Construit par le Colombien Rogelio Salmona, l’un des architectes latino-américains les plus connus, le lieu est ouvert à tous. Les enfants viennent y apprendre la musique. « Moravia résiste » y tient ce soir-là réunion.

Pour des raisons sanitaires, seize pâtés de maisons doivent encore être rasés, et des dizaines de foyers relogés. Luz Mila craint que les bulldozers ne s’arrêtent pas là. « Moravia, qui a été rattrapée par la ville, est devenu un lieu très appétissant pour les promoteurs immobiliers. Si nous ne nous mobilisons pas, ils vont tous nous déloger », explique-t-elle. Les recycleurs venus l’écouter sont inquiets : les réglementations sanitaires se font de plus en plus strictes et compliquent l’exercice de leur activité. Elsy craint, elle, de voir disparaître la butte et ses carrés de verdure. Les deux femmes proposent de définir un plan d’action. Les hommes approuvent.

Femmes et « villes monde »

A l’occasion de la quatrième édition du « Monde Cities », Le Monde publie une série d’articles dédiée à l’implication croissante des femmes dans la ville, partout dans le monde.

  • Quand les femmes investissent la ville
  • Les femmes, moteur de la métamorphose de la ville de Medellin en Colombie
  • « Miss Sze », porte-parole des sans toit ni voix de Hongkong
  • Hansa Vaghela, l’Indienne qui réhabilite son quartier pour et avec les femmes
  • « Les femmes apportent un regard neuf sur les problèmes urbains »

« Le Monde Cities » décernera ses prix de l’innovation urbaine, vendredi 28 juin 2019 de 9 heures, à 12 h 30, à Ground Control (Paris 12e). L’entrée est libre, sur inscription en cliquant ici. Cette matinée sera, par ailleurs, l’occasion de débattre des grands enjeux de la « ville monde » avec des acteurs et experts internationaux.

Les prix récompenseront des innovations développées à l’initiative de municipalités, d’entreprises, de start-up comme d’associations, d’ONG, de fondations, de citoyens ou groupes de citoyens, dans cinq catégories :

Le prix mobilité récompensera un projet favorisant une mobilité à dimension plus humaine, plus économe et respectant l’environnement.

Le prix énergie récompensera un projet visant à réduire l’empreinte carbone des villes par une moindre consommation et une plus grande efficacité énergétique.

Le prix habitat récompensera un projet innovant en matière d’espace urbain de vie (résidentiel, bureaux, matériaux nouveaux…).

Le prix urbanisme récompensera une innovation conceptuelle et/ou technologique et/ou sociale, en matière d’aménagement de l’espace public.

Le prix participation citoyenne récompensera un processus démocratique et horizontal dans lequel les citoyens assument un rôle dans l’élaboration et la gestion des espaces et services urbains physiques et virtuels.

Un Grand Prix sera attribué par le jury au projet se distinguant particulièrement par son approche innovante, l’ampleur de son impact potentiel et sa possibilité de reproduction. Il est doté de 20 000 euros.

Ces prix sont organisés par Le Monde avec le soutien de ses partenaires La Poste, Saint-Gobain, Enedis, Citeo et Linkcity.

« Libertés, égalité, pérennité : la ville-monde face aux défis du siècle » : tel est le thème de la conférence que Le Monde Cities organise vendredi 28 juin, de 9 h à 12 h 30, à Ground Control, Paris 12e. La ville connectée est-elle compatible avec la protection des données personnelles ? Les ségrégations socio-spatiales sont-elles la rançon à acquitter pour être une ville-monde ? Que peut la ville-monde face au réchauffement climatique ? Ces questions seront au cœur des débats auxquels prendront part Carlo Ratti (MIT), Cécile Maisonneuve (Fabrique de la Cité), Ross Douglas (Autonomy), Dominique Alba (APUR), entre autres. Inscription en ligne (gratuit)

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