Les boulistes d’Addis-Abeba, héritage d’un passé franco-éthiopien en péril

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Mohamed Chemsu Mohamed au Club des cheminots, à Addis-Abeba, le 19 mars 2020.
Mohamed Chemsu Mohamed au Club des cheminots, à Addis-Abeba, le 19 mars 2020. Nathalie Tissot

« Si je ne viens pas une journée, je me sens malade. » Quand il ne travaille pas, Moges Tsegaye passe la plupart de son temps ici, à quelques centaines de mètres de l’ancienne gare d’Addis-Abeba. Ce terrain de pétanque, couvert d’un toit en tôles et entouré de tables et de chaises en plastique, abrite le Club des cheminots. Ceux qui travaillaient pour la ligne de chemin de fer construite par les Français, au début du XXe siècle, entre leur colonie de Djibouti et la capitale de l’Ethiopie. Elle a en partie cessé de fonctionner en 2008.

A l’entrée du club, une pancarte « Bienvenue » accueille les visiteurs. Des nostalgiques, pour certains francophones, se retrouvent ici quotidiennement pour discuter, jouer aux dominos ou viser le cochonnet. Parfois avec un peu de rancœur contre la France, qui ne soutiendrait pas assez la sauvegarde du patrimoine ferroviaire dont ils sont les derniers représentants.

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Moges Tsegaye a travaillé pendant quinze ans dans les bureaux de la compagnie de chemin de fer djibouto-éthiopienne. Il a appris la langue de Molière grâce à une bourse qui lui a permis de prendre des cours à l’Alliance éthio-française d’Addis-Abeba, dont l’existence remonte à 1907. La connaissance du français était nécessaire pour comprendre la plupart des documents sur lesquels l’homme de 49 ans travaillait à l’époque.

Du sable blanc de Dire Dawa

Sous ses sourcils broussailleux, l’agent de sécurité parle avec émotion du Club des cheminots, né peu de temps avant la visite du général De Gaulle en Ethiopie, en 1966. « Il y a un lien entre ce lieu et la culture française. On garde ce goût pour la France. Ici je me sens francophone, pas à l’extérieur. » Il a lui-même participé au réaménagement du terrain de pétanque, il y a huit ans. « Tous les six mois, on le refait avec du sable blanc de Dire Dawa », précise ce membre méticuleux du comité technique et d’arbitrage. Un espace similaire existe d’ailleurs dans cette ville de l’est née avec l’ancien train et qui compte aussi une Alliance française depuis 1908.

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C’est là que Mohamed Chemsu Mohamed a commencé à jouer aux boules, il y a plus de cinquante ans. Malgré l’annulation du tournoi annuel prévu dimanche 22 mars en raison de l’épidémie de coronavirus, le septuagénaire dispute une partie avec trois autres joueurs. Cette figure du club a étudié au lycée français Guébré-Mariam d’Addis-Abeba, avant de faire carrière dans la compagnie ferroviaire historique. « C’était une école de riches. Tout le monde me regardait de haut, moi le fils de jardinier, pieds nus avec mes vêtements déchirés. J’ai franchi cette frontière », dit-il, se retournant avec fierté sur son parcours.

Ses boules, rangées dans un casier cadenassé au bord du terrain, ont plus de 30 ans d’âge. Il les soulève toujours avec agilité. L’ancien électro-mécanicien, qui garde de très bons souvenirs de la « famille française » avec laquelle il travaillait quand le train était encore en fonctionnement, continue de pratiquer la langue. « Quand je rencontre un francophone, surtout quand on picole, tous les mots sont en français ! », assure-t-il en rigolant. Mais ces francophones sont de moins en moins nombreux dans ce club qui ne compte plus qu’une centaine de membres.

« Abandonnés » par la France

Aujourd’hui, le patrimoine de la ligne de chemin de fer d’antan est menacé par un grand projet immobilier émirati. Le Buffet de la gare, un hôtel-restaurant qui datait de 1924, a été détruit il y a moins d’un an et les wagons historiques offerts par les gouvernements français et britannique à l’époque de l’empereur Haïlé Sélassié ont été déplacés. « Demain ou après-demain, on peut perdre cet endroit, s’inquiète Moges Tsegaye. Ça me fait mal de dire ça, mais dans cinq ans il n’y aura peut-être plus de francophonie ici. »

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Sous sa casquette noire qu’il dit avoir subtilisée à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle lors de son unique voyage dans l’Hexagone, Mohamed Chemsu Mohamed en veut au gouvernement français. « Ils nous ont abandonnés. » Sur son visage et celui de ses compagnons, où se dessinent de plus en plus de rides, se lit la détermination à préserver l’héritage de ce passé franco-éthiopien. Jusqu’à la fin de la partie.

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