« Les armées ne participeront à l’effort national contre l’épidémie que marginalement »

0
103

[ad_1]

Le président de la République, Emmanuel Macron, en visite à l’hôpital militaire de campagne érigé devant l’hôpital de Mulhouse (Haut-Rhin), le 25 mars.
Le président de la République, Emmanuel Macron, en visite à l’hôpital militaire de campagne érigé devant l’hôpital de Mulhouse (Haut-Rhin), le 25 mars. Mathieu Cugnot / AP

Le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé lors de son allocution télévisée, mercredi 25 mars au soir, que l’armée allait participer à la lutte contre l’épidémie de Covid-19 dans le cadre d’une « opération militaire dédiée Résilience ». Nathalie Guibert, notre journaliste spécialiste des questions de défense, a répondu à vos questions lors d’un tchat, jeudi.

Laura : Pouvez-vous nous expliquer le rôle exact de l’armée ? On sait que les militaires vont être amenés à aider les populations, mais en pratique, ça veut dire quoi ?

Les trois armées ont déjà lancé trois contributions principales : un avion de l’armée de l’air médicalisé transporte des malades, un porte-hélicoptères de la marine a évacué des patients d’Ajaccio vers Marseille et l’armée de terre a monté les tentes du service de santé pour les trente lits de réanimation de Mulhouse.

Il y a eu des convoyages de cartons de masques vers des dépôts. Pour le reste, c’est encore flou : ce pourrait être du transport en soutien des hôpitaux, de la sécurisation de sites pour éviter des vols de matériel médical ou pourquoi pas de l’évacuation de morts dans des lieux où les personnels habituels font valoir leur droit de retrait…

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : les détails de l’opération militaire « Résilience » annoncée par Emmanuel Macron restent flous

Mme Z : Quand le président annonce que l’armée viendra en renfort des services publics, cela peut-il également inclure un renfort du travail de la police par des militaires ?

Ces renforts apportés éventuellement aux forces de sécurité intérieure sont strictement encadrés par la Constitution : les militaires ne peuvent faire de missions d’ordre public, ni de police. Ils peuvent agir en complément, pour des gardes devant des bâtiments par exemple. La règle est que, hors état de siège, ils agissent si l’action de la police et de la gendarmerie est « inexistante, insuffisante, inadaptée ou indisponible ».

Lire aussi Covid-19 : la priorité de l’armée reste les opérations militaires

Thibaud : Que peuvent concrètement les armées face à cette situation complexe et massive ? On aurait tendance à penser que l’armée est la réponse à tout, mais on sait que ce n’est pas ou plus vrai.

Effectivement, de nombreux Français, mais aussi de nombreux décideurs politiques, voient l’armée comme elle était jusqu’aux réformes des années 1990 et sa professionnalisation. Depuis, ses moyens et ses effectifs ont été réduits et, surtout, sa mission première est de faire la guerre, principalement hors de nos frontières.

Quand les documents officiels évoquent la mission de protection des Français et du territoire national, il s’agit d’abord d’empêcher un ennemi d’entrer dans notre ciel, nos approches maritimes ; de dissuader tout acteur de menacer la souveraineté des territoires ultramarins français ; de prévenir des attaques terroristes, y compris à l’étranger. Autrement dit, les armées ne peuvent pas ne pas participer à l’effort national contre l’épidémie due au coronavirus, mais elles ne le feront que marginalement, sauf si le président leur ordonne de lâcher leurs opérations de guerre.

Histoire mili : N’y a-t-il pas un risque qu’en mobilisant ici les forces armées le président Macron s’expose à des critiques sur un outil militaire surexploité ? La LPM initiée par Emmanuel Macron n’intervient-elle pas trop tard ?

Le sujet n’est pas tant celui des moyens dans l’absolu, mais des moyens rapportés aux ambitions : le budget des armées, après avoir été beaucoup réduit depuis la fin des années 1990, a commencé à remonter depuis les attentats terroristes de 2015, qui ont fait la démonstration que si l’on voulait mettre 10 000 soldats dans l’opération Sentinelle il fallait de nouveau recruter.

Les armées ont aujourd’hui de l’argent, 37,5 milliards d’euros pour 2020. Mais ce budget est engagé pour faire tout autre chose qu’une opération de secours aux sinistrés.

Marc : La présence de l’armée dans les rues est un facteur anxiogène. Doit-on s’attendre à des check-points au niveau des commerces de première nécessité ou des hôpitaux ? Si oui, ces militaires vont-ils réaliser les mêmes contrôles que les policiers ?

Les militaires pourront garder des sites, comme ils le font dans le cadre de Vigipirate. Mais ils ne feront pas de contrôle de police, car ils n’en ont pas les compétences légales et les policiers ne sont pas demandeurs de patrouilles mixtes.

NigrandeNimuette : Cette crise révèle-t-elle une absence de plan de gestion d’une attaque bactériologique de grande ampleur ?

L’Etat n’est pas plus préparé à une attaque bactériologique de très grande ampleur qu’au coronavirus. Il manquerait des lits, des stocks stratégiques de médicaments… Mais des unités militaires ont été spécialisées dans les opérations « NRBC » (nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique) et sont performantes.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : dans les hôpitaux militaires, « les patients déferlent »

Paix : J’ai souvenir d’une édition du Cadre noir, à Saumur, organisée par l’armée avec une remarquable efficacité. J’ai l’impression que cette armée de proximité, organisationnelle, n’existe plus et a laissé la place entièrement à la gestion des conflits à l’international.

Vous avez raison de noter que l’armée française a été réorganisée entièrement sur un modèle expéditionnaire, à l’extérieur du territoire national. En témoigne la réduction drastique du nombre de ses véhicules (900 porteurs polyvalents terrestres et 6 000 camions dans l’armée de terre), de ses dépôts de munitions, etc.

Emmanuel Macron à Mulhouse, le 25 mars.
Emmanuel Macron à Mulhouse, le 25 mars. MATHIEU CUGNOT / AFP

Mickaël : Avec les rues et les établissements vides, pourquoi n’avoir pas suspendu Sentinelle pour permettre aux militaires de se reposer ou d’aider à « Résilience » ?

Parce que le coronavirus n’a pas tué tous les terroristes de la planète d’un coup d’un seul !

Paix : La vie en communauté des soldats n’est-elle pas problématique ?

Bien sûr, dans ces circonstances, comme la nôtre au bureau, au supermarché ou dans le métro. Des mesures de télétravail ont été prises par le ministère, des procédures de « distanciation » aussi – par exemple, les horaires des repas au mess étalés.

Les écoles militaires avec leurs dortoirs ont été fermées. Mais pas toutes, et il reste des personnels militaires et civils sur les bases aériennes et dans les régiments. Les chefs doivent apprécier l’état de santé de leurs subordonnés et la possibilité de continuer les opérations (ce que le président de la République souhaite), ce qui provoque actuellement des questions, voire des critiques, dans les rangs.

Micheline : J’ai vu hier soir que les troupes françaises en Irak allaient être rapatriées sur le territoire national. Ces troupes vont-elles être mobilisées dans le cadre de l’opération « Résilience »  ?

Je ne le sais pas. Ce sont des instructeurs qui entraînaient l’armée irakienne et des spécialistes, dans la lutte contre les explosifs par exemple, et ils seront précieux sur d’autres zones d’opérations extérieures. Ce rapatriement intervient de façon coordonnée avec celui des Américains et celui des Britanniques, et n’est pas entièrement dû à la crise sanitaire. Le gouvernement irakien souhaite le départ des troupes étrangères, mais ces missions de formation devraient continuer.

Lire aussi Coronavirus : la France retire ses troupes d’Irak sur fond de crise sanitaire

Simon : L’opération « Résilience » est-elle quelque chose prévu de longue date ou bien tout a-t-il été mis en place ces derniers jours ?

Il se tient à l’Elysée des conseils de défense très fréquents et ces mesures ont été préparées, car le travail de l’état-major est de proposer des moyens au président de la République et de planifier leur mise en œuvre, ce qui prend du temps. Mais le gouvernement prend des décisions aussi au jour le jour, car la crise est exceptionnelle et rapide. Et, en l’occurrence, il n’y a guère de résilience, mais plutôt une psychose parmi la population – les ruées vers les produits de première nécessité – et une grande désorganisation de l’Etat pour trouver les moyens de faire face – au manque de masques, par exemple.

Créer une opération est une idée qui permet de rassembler sous un même chapeau les actions éparses qui se lançaient. Cela sert la communication de crise du pouvoir et c’est motivant pour ceux qui participent aux opérations.

Tif : Les militaires possèdent-ils un droit de grève ou de retrait ?

Non. Leur statut dit que « l’exercice du droit de grève est incompatible avec l’état militaire » et que « les militaires peuvent être appelés à servir en tout temps et en tout lieu ».

Dan : A part la sécurisation de certains lieux et le transport que vous évoquiez dans les missions dévolues à l’armée en raison du coronavirus, l’armée n’est-elle pas aussi utilisée par le président principalement comme image de la « guerre » qu’il a déclarée au virus ?

Le président de la République a choisi l’image de la guerre, et il s’est présenté en chef de guerre en effet, dans ses fonctions de chef des armées. Sa communication à Mulhouse, avec le choix de se placer devant les tentes militaires qui abritent trente lits de réanimation (et deux patients quand il a parlé) peut être jugée excessive sur ce registre, car c’est bien l’hôpital civil tout proche qui est, lui, sous le feu du coronavirus. Tous les services de l’Etat sont mobilisés, naturellement, mais certains militaires m’ont fait part de leur gêne devant cette communication et auraient préféré plus de modestie.

Elgordo : Une pensée pour nos sous-mariniers qui vont découvrir avec effarement l’état de notre monde en faisant surface. Au moins, ils sont certains de ne pas avoir le Covid-19. Je crois me souvenir que vous avez eu l’honneur d’embarquer dans un de nos sous-marins ?

Les sous-mariniers font le sacrifice de se couper du monde, mais c’est parfois aussi un privilège d’être préservé de ses tourments. Je l’ai expérimenté, merci de le rappeler.

Découvrir le reportage : Une femme à bord d’un sous-marin

Notre sélection d’articles sur le coronavirus

Le Monde

[ad_2]

Source link

Have something to say? Leave a comment: