« L’entêtement du pouvoir algérien ne pouvait que déboucher sur la tension actuelle »

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Soufiane Djilali, le président du parti Jil Jadid, à Alger, en avril 2014.
Soufiane Djilali, le président du parti Jil Jadid, à Alger, en avril 2014. FAROUK BATICHE / AFP

Président du parti d’opposition Jil Jadid (« nouvelle génération »), Soufiane Djilali n’a cessé, ces dernières années, de dénoncer l’opacité du système politique en Algérie. Il a participé aux différentes tentatives de structuration de l’opposition. Alors que l’élection présidentielle se tient ce jeudi 12 décembre dans un contexte de grande tension entre les protestataires du Hirak et le régime, M. Djilali estime que la sortie de crise ne viendra que d’une négociation entre le pouvoir et ses opposants. Une voie qu’il admet ténue mais qu’il estime nécessaire.

A moins de 24 heures du vote, les manifestations ne faiblissent pas. Comment analysez-vous la situation ?

Cela fait des mois que nous disons qu’il y a deux volontés opposées qui s’affrontent. Il y a une volonté populaire d’un côté, qui a réclamé un certain nombre de droits, dont celui de construire un véritable Etat de droit et celui de choisir en toute liberté les dirigeants du pays. En face, il y a une autre volonté, celle du pouvoir actuel – autrement dit l’institution militaire –, qui part du postulat qu’il faut contrôler le changement. Il accepte le principe du changement, mais il veut un changement maîtrisé et contrôlé.

Cet entêtement ne pouvait que déboucher sur la tension actuelle. On l’a vu depuis le début de la semaine, avec par exemple la communauté algérienne à l’étranger qui non seulement ne vote pas, mais manifeste activement en face des consulats et empêche au moins moralement les quelques citoyens qui étaient tentés par le vote. Nous sommes là devant une forme de désobéissance civile qui se propage. Il y a cet appel, sur les réseaux sociaux, à la grève générale, qui est certes partiellement suivie mais qui a quand même un certain retentissement.

« Il n’est pas exclu que les gens sortent massivement le 12 décembre pour signifier leur refus de l’élection. »

Nous sommes dans une phase d’interrogations sur ce qui va se passer d’ici à jeudi. On ne peut rien exclure, notamment des manifestations massives ce mercredi [des rassemblements ont débuté le matin à Alger]. D’autant que cette journée marque l’anniversaire des manifestations du 11 décembre 1960 [qui avaient eu lieu dans différentes villes du pays en faveur de l’indépendance]. Et puis il n’est pas exclu que les gens sortent massivement demain, le 12 décembre, pour signifier leur refus de l’élection.

A partir de là, il y a deux possibilités. La première est que le pouvoir refuse d’écouter la population et installe un président avec une légitimité très affaiblie, qui ne pourra pas agir en toute liberté. On entrerait alors dans une autre phase de décomposition du régime, très compliquée. D’où notre position réitérée : cette élection va compliquer la situation dans le pays. L’autre possibilité est que cette élection soit annulée à la fin du cycle et, à ce moment-là, j’imagine qu’on sera obligé d’aller vers une nouvelle transition, peut-être même avec des décisions plus importantes, comme un changement du personnel le plus haut placé, pour permettre un retour à un minimum de confiance et préparer une véritable sortie de crise.

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N’y a-t-il pas une différence de perception de la réalité entre le pouvoir et la société ?

Le pouvoir sait ce qui se passe. Il y a suffisamment d’informations et de renseignements qui remontent, même au niveau du plus petit patelin. Mais ce que traduit son discours politique, c’est autre chose. Le pouvoir veut imposer sa solution. Va-t-il réussir ? On le verra dans les prochains jours.

Pour négocier, on dit qu’il faut être deux, si tant est que le pouvoir veuille à un moment ouvrir un dialogue. Vous dites pourtant que structurer le Hirak est une fausse bonne idée…

Oui. L’idée de faire représenter le mouvement populaire par une direction peut être séduisante a priori. Mais en réalité, ce n’est pas faisable et cela va à l’encontre du bon sens. Le mouvement populaire est tellement large qu’il a englobé tous les courants politiques, toutes les tendances idéologiques. Nous sommes dans l’impossibilité de créer une direction qui soit cohérente et en même temps représentative.

Nous sommes un peuple qui réclame en commun quelque chose. Nous ne voulons plus du système actuel. Nous voulons un Etat de droit et une démocratie. Une fois qu’on a bien compris cela, il s’agit de passer à l’action pour mettre en forme ce que désire le peuple, c’est-à-dire une pluralité de propositions, des élections libres, un choix possible pour les électeurs. C’est à ce moment-là que le peuple se transformera en corps électoral. Et un corps électoral est traversé par des courants contradictoires. On ne peut pas penser, organiser un peuple dans des structures uniques pour ensuite négocier avec l’Etat, puisque l’Etat doit être l’émanation de la volonté du peuple et être composé dans ses fonctions souveraines par des citoyens qui sont élus après un vote.

« Il faut encourager les Algériens à s’inscrire dans des partis politiques qui existent ou à en créer de nouveaux. »

L’action politique a été déstructurée et salie par le pouvoir, mais depuis le 22 février, il souffle un vent nouveau. Une très grande partie de la population a pris conscience de l’importance de l’action politique. Cette perception nouvelle doit être mise au service de la construction d’une démocratie. Il faut donc encourager les Algériens à s’inscrire dans des partis politiques qui existent ou à en créer de nouveaux si les existants ne leur conviennent pas. Passer à l’action politique, syndicale ou associative, chacun selon sa volonté, sa disponibilité et sa compétence. Des projets de société doivent porter les courants de pensée qui animent la société. On doit sortir de la phase où des individus, par leur propre courage, audace et volonté, portent des discours, pour passer à une action collective qui soit organisée, réfléchie, avec l’objectif de rentrer dans les institutions de l’Etat, de construire un nouveau régime.

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Concrètement, comment voyez-vous une transition politique ?

On vit entre deux moments cruciaux. Il y a eu un effondrement du régime politique. On se retrouve désormais face à ce qui constitue le cœur du pouvoir algérien, à savoir l’institution militaire. Celle-ci va être obligée d’aider à reconstruire un régime politique. Et c’est là qu’il y a un aiguillage sensible. Il ne faudra pas se tromper de direction. Le risque est que l’institution militaire, n’ayant qu’un seul logiciel, puisse régénérer le même système politique mais avec de nouvelles figures. Or les conditions actuelles, qui sont historiques, nous offrent la possibilité de construire quelque chose de nouveau. C’est là qu’il faut agir avec intelligence.

« Refuser systématiquement ce qui viendra du pouvoir conduira l’institution militaire à se braquer. »

Refuser systématiquement ce qui viendra du pouvoir conduira l’institution militaire à se braquer et à reconduire par la force un système qu’elle considère être le seul qui la protège et protège le pays. On peut se mettre d’accord pour sécuriser des éléments de base, par exemple tout ce qui relève de la sécurité de l’Etat algérien, puis essayer de négocier ce qui est négociable. Sans surenchère. Sinon on risque de tout perdre. Je sais que cette voie est très ténue. Mais je pense que c’est la seule qui puisse amorcer une sortie de crise.

Que pensez-vous de l’attitude de la France ?

Si je devais résumer en un mot, je dirais que la France a été malhabile avec l’Algérie. Tout le monde sait qu’il y a des intérêts croisés très importants entre les deux pays. Mais pour des raisons historiques, la France a toujours accepté un double discours du régime algérien. C’est-à-dire un discours vis-à-vis de la population qui condamne le colonialisme, qui refuse l’ingérence, et à côté de ça, en dessous de la table, des accords pas toujours très clairs. Il faudra un jour clarifier cela. Nous avons tout à y gagner, des deux côtés. Mais à force d’accepter un discours qui dit une chose et des actes qui démontrent le contraire, nous sommes entrés dans une relation basée sur une forme d’hypocrisie. Cela n’apporte rien de bien. Il est préférable de se parler franchement. De mettre sur la table ce qui fâche et de dépasser cette problématique.

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Souhaitez-vous une position plus courageuse de Paris ou préférez-vous que les autorités françaises se taisent ?

Il y a un passif. Les Algériens ont été profondément heurtés par des déclarations de politiques français. Pour être clair, la formule de l’ancien président [François Hollande] sur « l’alacrité » d’Abdelaziz Bouteflika a été une catastrophe. Les Algériens ont pris cela comme du mépris pour leur intelligence. Ils ont compris que la France officielle soutenait contre vents et marées un régime dont la prédation n’a pas pu passer inaperçue. Je pense notamment aux transferts d’avoirs en France.

« Les Algériens ont compris que la France officielle soutenait contre vents et marées un régime prédateur. »

Je pense sincèrement que la France doit faire preuve de beaucoup de modestie. Je comprends très bien, par contre, que Paris s’inquiète de la suite des événements, au même titre que d’autres partenaires, comme l’Union européenne en général, la Chine, la Russie ou les Etats-Unis. C’est normal. Nous vivons dans le monde, pas sur une île. Il ne faut pas être dans un esprit d’ostracisme nationaliste, chauvin… Ces anciens discours ne fonctionnent plus, ce n’est pas réaliste. Il faut tendre vers une véritable ouverture, de véritables partenariats. Mais dans la transparence et avec l’accord des populations.

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