« Le voyage de Macron ne pèse pas lourd face à la Chine et aux Emirats »

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Le chercheur Marc Lavergne décrypte les enjeux géopolitiques en Afrique de l’Est, où le président français se rend du 11 au 14 mars.

Publié aujourd’hui à 19h00 Temps de Lecture 3 min.

Des enfants brandissent les drapeaux chinois et djiboutien lors du lancement d’un projet de construction de logements financé par la Chine, à Djibouti, le 4 juillet 2018.
Des enfants brandissent les drapeaux chinois et djiboutien lors du lancement d’un projet de construction de logements financé par la Chine, à Djibouti, le 4 juillet 2018. YASUYOSHI CHIBA / AFP

Tribune. Le déplacement d’Emmanuel Macron en Afrique de l’Est [du lundi 11 au jeudi 14 mars] est l’expression d’une prise de conscience des bouleversements en cours dans cette région du monde.

Djibouti est une escale obligée. Mais la France, qui avait rebaptisé tardivement la Côte française des Somalis en « Territoire français des Afars et des Issas », en 1967, a livré les clés du pays à des dirigeants qui règnent jusqu’aujourd’hui par la division ethnique. Et la complaisance de Paris ne lui a pas permis de garder son monopole : l’armée française a dû se résoudre au voisinage d’autres puissances, en particulier des Etats-Unis et de la Chine.

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L’Ethiopie est la véritable cible du voyage du chef de l’Etat. Il s’agit d’y prendre la mesure des bouleversements en cours à la suite de la réconciliation générale des frères ennemis de la Corne de l’Afrique en 2018 : celle, cruciale, de l’Ethiopie et de l’Erythrée, mais aussi de l’Erythrée et de Djibouti, de l’Ethiopie et de la Somalie et de l’Erythrée et de la Somalie. Si le « réveil » de l’Ethiopie était patent depuis près d’une décennie avec son ouverture libérale et ses projets d’indépendance énergétique par l’hydroélectricité, c’est le soutien américain, relayé par les diplomaties et les finances de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis, qui ont permis cette accélération inattendue. La France en prend acte, mais on peut douter que l’exposition du savoir-faire français en matière de préservation du patrimoine appliquée aux églises de Lalibela suffise à lui conférer un rôle actif dans les changements à venir.

Quant au Kenya, qui fut un pôle de stabilité de l’Afrique des Grands Lacs, aujourd’hui bien menacé par les clivages internes et les menaces de déstabilisation externes, il ne sera l’occasion que d’un obscur « sommet » [le One Planet Summit] consacré à l’environnement…

Un chemin de fer flambant neuf

Même agrémenté de quelques contrats, ce voyage sera de peu de poids pour faire jeu égal avec les puissances qui développent des stratégies ambitieuses autour de la Corne de l’Afrique. La Chine d’abord, pour laquelle l’Ethiopie est à la fois un atelier pour ses industries de main-d’œuvre à délocaliser et un tremplin vers l’Afrique dans le cadre de ses nouvelles « routes de la soie ». Depuis son débouché de Gwadar, au Pakistan, la Chine a misé sur l’axe Djibouti – Addis-Abeba pour s’assurer le contrôle des échanges économiques de l’Ethiopie. Un chemin de fer électrique flambant neuf a rangé aux oubliettes l’antique chemin de fer franco-éthiopien et la puissance chinoise a même ouvert à Djibouti sa première base militaire à l’étranger. Mais les initiatives diplomatico-financières de l’été dernier ont brisé l’encerclement de l’Ethiopie.

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Les Emirats arabes unis seront sans doute les grands gagnants de ce tournant. La bataille juridique qui a opposé la puissante Dubaï Port World au gouvernement djiboutien [après l’annulation en février 2018 de la concession accordée pour cinquante ans sur le port de Djibouti] aboutit pour celui-ci et pour la Chine, qui le soutenait, à une victoire à la Pyrrhus : les Emirats, dépossédés de leur monopole, se sont rabattus sur les pays voisins, aux frontières mêmes de Djibouti. L’Erythrée, Etat paria, leur a concédé le port d’Assab, appelé à redevenir le poumon de l’Ethiopie ; et le Somaliland, Etat sécessionniste, leur a confié la réhabilitation de l’ancienne base soviétique de Berbera, autre voie d’accès aux plateaux éthiopiens. D’autres facilités portuaires s’y ajoutent, de Bosasso, au Puntland somalien [nord], jusqu’à Kismaayo, au Jubaland [sud]. Ce collier de points d’appui prolonge ceux du littoral yéménite sur le golfe d’Aden.

Intelligence stratégique et tactique

La vision à long terme des enjeux de l’après-pétrole se traduit là en intelligence stratégique et tactique. Il s’agit pour les Emirats de passer d’un rôle de rentiers du pétrole à celui de puissance régionale incontournable, assurant demain sa sécurité alimentaire et son économie diversifiée grâce aux ressources du continent africain.

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Pour autant, les Emirats ne sont pas une nouvelle Sparte. La stratégie déployée met la puissance au service de la paix et du développement et témoigne d’une grande habileté à se concilier avec celle de ses puissants voisins. Aussi, sa projection maritime lointaine, qui vise à lui permettre d’échapper à l’enfermement d’un Golfe source de tensions et condamné au déclin, s’opère de concert avec les projections chinoises – mais aussi indiennes – dans la Corne de l’Afrique et au-delà. On peut voir là à l’œuvre la sagesse d’un peuple de marins et de caravaniers qui, depuis la plus haute Antiquité, ont sillonné ces mers et ces rivages et appris à en maîtriser les atouts et les périls.

Marc Lavergne est directeur de recherche au CNRS, spécialiste du Moyen-Orient et de la Corne de l’Afrique.

Marc Lavergne

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