Le village de Chasselay rend hommage à ses tirailleurs africains morts pour la France

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Le « Tata » de Chasselay, dans les Monts d’or, au nord de Lyon, le 22 juin 2020.

C’est un petit coin d’Afrique au milieu des coteaux lyonnais. Dans le « Tata » de Chasselay, un terme qui signifie en wolof « enceinte de terre sacrée », 196 stèles de combattants sont alignées au cordeau autour du drapeau tricolore. Si une cinquantaine de sépultures sont anonymes, on peut lire sur les autres des patronymes aux consonances peules, soninké ou bambara, accompagnés d’une date de décès et de la mention « mort pour la France ». Dans ce cimetière militaire des Monts d’or reposent 194 tirailleurs coloniaux, génériquement appelés « sénégalais », dont six Maghrébins, et deux légionnaires – l’un russe, l’autre albanais.

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A chaque coin de l’enceinte, gardée par huit masques traditionnels, ont été érigées des tourelles en pisé hérissées de pieux. Les murs rouge vif contrastent avec le bleu du ciel, en ce dimanche 21 juin. Un rouge qui rappelle la latérite, terre typique d’Afrique de l’Ouest, mais aussi le rouge du sang versé ici il y a quatre-vingts ans.

« Cette nécropole symbolise une part de l’histoire militaire de notre pays et rappelle constamment le sacrifice des combattants africains, déclare Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’Etat aux anciens combattants lors d’un hommage officiel. Le Tata de Chasselay est une sentinelle de la mémoire partagée entre la France et l’Afrique, un dépositaire de nos histoires entremêlées ; un gardien des liens indéfectibles entre les rives de la Méditerranée… Les combattants africains ont payé un lourd tribut pour défendre une terre lointaine. » A Chasselay, ils ont laissé leur vie.

« Sans esprit de recul »

Le 17 juin 1940, après l’appel radio du maréchal Pétain à « cesser le combat », les soldats français se retirent un peu partout sur le territoire. Après la Bourgogne, que la Wehrmacht traverse sans rencontrer d’opposition, les troupes allemandes descendent vers le sud et espèrent entrer rapidement dans Lyon, « ville ouverte » le 18 juin. Pour les 20 000 soldats du régiment d’infanterie Gross Deutschland (« grande Allemagne ») et de la division SS Totenkopf (« tête de mort »), les Monts d’or ne doivent être qu’une formalité.

Pourtant, à une quinzaine de kilomètres au nord de Lyon, le 25e régiment de tirailleurs coloniaux, composé de 2 200 hommes déployés sur une ligne de défense entre Caluire et Tarare, reçoit l’ordre de résister en cas d’attaque et « sans esprit de recul ». Les combattants venus du Sénégal, du Mali, de Guinée, du Gabon et du Maghreb engagent là une farouche résistance. L’une des dernières batailles avant l’armistice, signée le 22 juin, se déroule autour du couvent de Montluzin, où les soldats des colonies prennent position. Face à un ennemi supérieur en nombre et en armement, les tirailleurs utilisent le couvent comme place forte pour résister. Il faudra l’appui des blindés pour que la Wehrmacht s’empare du lieu et que les SS abattent les derniers hommes noirs ainsi qu’une poignée d’officiers blancs accusés d’avoir combattu au côté de ces soldats qualifiés d’« affen », « singes » en allemand.

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Un autre groupe de tirailleurs reste retranché non loin de là, dans le château du Plantin, à Chasselay toujours. « Nous étions environ une vingtaine de Blancs d’encadrement et un grand nombre de tirailleurs sénégalais, a témoigné le caporal Gaspard Scandariato en 1975. Le capitaine [Gouzy] nous demanda quels étaient les volontaires pour le dernier baroud d’honneur, la coloniale ne se rendant pas sans un dernier combat. Tous répondirent présents et nous prîmes nos dispositions tout autour du parc. » Là encore, les soldats des colonies se battent jusqu’à leurs dernières forces, leurs ultimes cartouches. A court de munitions, ils doivent se rendre.

Quarante-huit d’entre eux sont conduits, avec des officiers français, dans un champ au lieu-dit « Vide-Sac », à l’endroit où est érigé le Tata. Les soldats blancs sont contraints de s’allonger dans l’herbe, face contre terre. Les Allemands ordonnent alors aux Africains de courir pour les faucher de dos, en plein élan, avec des mitraillettes installées sur des chars. « Tout à coup, un crépitement d’armes automatiques retentit, se renouvelant à trois ou quatre reprises, auquel se succédèrent des hurlements et des grands cris de douleur, a raconté le même Gaspard Scandariato. L’ordre nous fut donné de nous remettre debout et nous passâmes horrifiés devant ceux qui quelques heures auparavant avaient combattu côte à côte avec nous, et qui maintenant gisaient, morts pour notre patrie. » Les derniers survivants sont achevés d’une balle dans la tête, d’autres écrasés sous les chenilles des chars. Le capitaine Gouzy s’insurge, mais reçoit une balle dans le genou en guise de réponse.

Brûlés vifs ou exhibés en trophées

Deux jours durant, les Allemands recherchent les soldats des colonies que les habitants cachent et soignent. Ils sont brûlés vifs ou exhibés en trophées sur les chars de combat. Jean Vapillon, 7 ans à l’époque, se souvient que « les Allemands ont fouillé les caves du village pendant deux jours pour trouver des Africains. Au lendemain du massacre, mon père s’est rendu sur les lieux où les corps des Sénégalais étaient enchevêtrés. Il a vu un homme noir, le bras arraché mais encore vivant. Il s’était probablement caché sous les corps. Je sais qu’il a été sauvé et qu’il est même rentré chez lui. » Parmi ces cadavres, il y a ceux du Sénégalais Doffène Diouf, des Guinéens Famoussa Kamara et Kamba Samoura, et de tellement d’autres… Agés d’une vingtaine d’années pour la plupart, ils sont enterrés dans une fosse commune du cimetière par les habitants de Chasselay, un village qui compte aujourd’hui 2 700 habitants.

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En 1942, Jean Marchiani, responsable local des anciens combattants, achète un terrain pour offrir une sépulture décente à ces soldats. Récemment, huit photos, prises avant le massacre du 20 juin 1940 par un soldat de la Wehrmacht, ont été retrouvées par un collectionneur français. Elles permettent de mettre un visage sur ces tirailleurs, de saisir leur regard. « A l’heure où certains demandent de déboulonner des statues, je pense qu’il serait mieux d’en ériger d’autres en hommage à ces soldats venus d’Afrique, estime Sira Sylla, députée de Seine-Maritime, qui milite pour la reconnaissance des diasporas africaines, présente à cette journée d’hommages. Je lance un appel aux maires de France pour qu’ils donnent le nom d’une rue, d’un square ou d’un jardin à ces combattants qui ont donné leur vie pour notre pays. La France et l’Afrique ont une histoire et des valeurs communes. »

De la terre, apportée de Dakar par avion, a été mélangée à celle du Tata de Chasselay lors de son inauguration. « Recevez ce sol rouge, sous le soleil d’été ce sol rougi du sang des blanches hosties. Recevez le salut de vos camarades noirs, tirailleurs Sénégalais morts pour la République ! », écrivit en 1948 Léopold Sédar Senghor dans son recueil de poèmes Hosties noires.

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