« Le Sahel, une région d’espoir qui doit désormais se réveiller du cauchemar actuel »

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Hindou Oumarou Ibrahim, à l’initiative de l’Association des femmes peules et peuples autochtones du Tchad (Afpat) et militante pour la protection de l’environnement et la promotion des droits humains.

Tribune. Le Sahel est en train de vivre un cauchemar éveillé. Depuis dix ans, nos pays font face à toutes les crises. Celle de l’insécurité d’abord, qui est la mère de toutes les batailles. Or le Sahel est une région de paix et de collaboration. La dureté de son climat a longtemps obligé les communautés si différentes du Sahel à vivre ensemble, à collaborer, à partager les ressources naturelles et à échanger leurs produits agricoles.

Mais depuis une dizaine d’années, les trafiquants, les terroristes et les fondamentalistes s’emploient à monter les communautés les unes contre les autres. Du Mali au Niger, du Tchad au Burkina Faso, des groupes venus d’ailleurs imposent une idéologie de haine et de conflit et s’attachent à diviser les communautés qui vivaient en harmonie.

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Pour cela, ils s’appuient sur le deuxième fléau qui, depuis une dizaine d’années, s’impose comme un tueur en série dans toute la région : le changement climatique. Ce phénomène ne concerne pas que la fonte de la banquise au Groenland ou la montée des mers qui menacent les petites îles. Il est en train de détruire nos écosystèmes, nos ressources naturelles, faisant craindre le retour des grandes famines dans la région.

Le changement climatique provoque aussi la migration des hommes qui quittent les campagnes, puis les grandes villes d’Afrique, pour aller risquer leur vie sur la Méditerranée. Les communautés, fragilisées par la désertification, les grandes sécheresses suivies d’inondations destructrices, sont alors manipulées par les groupes terroristes et fondamentalistes qui veulent transformer la pénurie des ressources en conflits communautaires.

Les peuples sont en colère

Au Burkina Faso, au Mali et partout dans la région, la situation est en train de se durcir entre éleveurs, cultivateurs et parfois même pêcheurs, au point que des villages entiers sont parfois massacrés. Et cela, c’était avant la grande crise du Covid-19 qui frappe la santé des peuples d’Afrique, à cause du virus d’abord, mais aussi parce que la crise sociale et économique engendrée par la pandémie accentue encore l’insécurité alimentaire.

Nos pays font de plus face depuis des années à une forte instabilité politique, avec des changements multiples de gouvernements, des processus démocratiques affaiblis, des reports d’élections… Rien qu’en 2020, cinq élections présidentielles doivent ou devraient se tenir. Ailleurs, ce sont des élections législatives qui doivent avoir lieu. Mais dans de nombreux pays, les peuples sont en colère contre leurs dirigeants, incapables de répondre aux crises qu’ils traversent, de leur apporter la paix, la sécurité et le développement.

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Ils sont en colère, car ce n’est pas le monde que nous voulons, mais bien celui dans lequel nous vivons. Le Sahel est considéré comme l’une des régions les plus pauvres du monde. C’est vrai quand on regarde les indicateurs des grandes institutions internationales. Mais, dans notre cœur, nous les Sahéliens, nous savons que nous disposons d’une autre richesse.

Les peuples du Sahel sont riches de leurs écosystèmes et de leur agriculture, que certains qualifient de « traditionnels » voire « d’arriérés », mais qui pour nous est l’une des plus performantes. Depuis des siècles, cultivateurs et éleveurs collaborent. Les troupeaux des uns fertilisent les champs des autres. Certains creusent des puits pour l’irrigation qui servent aussi à abreuver le bétail.

Nos communautés ne se résignent pas

Cette agriculture est non seulement productive, elle est aussi extrêmement performante d’un point de vue environnemental. Elle permet d’enrichir les sols, de protéger les écosystèmes, et les systèmes transhumants laissent le temps à la nature de se régénérer, n’utilise ni produits chimiques ni engrais industriels qui polluent les terres et les eaux. Cette agriculture est un modèle qui fait toute la richesse de nos peuples. Elle n’a rien à envier à celles des pays riches qui se sont construites sur la destruction de l’environnement.

Les peuples du Sahel sont aussi riches de leurs savoirs et de leurs connaissances traditionnelles, qui leur permettent chaque jour d’innover pour faire face aux conséquences du changement climatique. Au Tchad, mon pays, nous subissons déjà +1,5 °C de réchauffement, soit plus que ce qui est prévu dans l’accord de Paris.

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Mais nos communautés ne se résignent pas face à cette fatalité. Les femmes surtout, elles qui sont en première ligne. Elles se battent chaque jour pour planter des cultures résistantes à la sécheresse, transformer les produits de base pour gagner de petites sommes permettant de nourrir la famille et, s’il reste un peu d’argent, d’envoyer les enfants à l’école. Ce sont elles qui vont puiser dans la nature les plantes nécessaires à la médecine traditionnelles pour guérir les malades qui n’ont pas d’accès à l’hôpital ou aux centres de santé.

Les peuples du Sahel sont enfin riches de leur culture, de leur identité. Le Sahel est un carrefour entre le monde arabe, l’Afrique centrale et ses grandes forêts tropicales, et l’Afrique de l’Est et son ouverture sur l’Asie. C’est l’une des zones du monde où l’on parle le plus de langues et où se mêlent de multiples identités, de multiples cultures.

Lancer un « green deal » pour le Sahel

Le Sahel est sans doute l’une des régions les plus jeunes du monde. Sa force est cette jeunesse qui la compose. C’est donc une région d’espoir qui doit désormais se réveiller de ce cauchemar, où l’on massacre ses voisins pour un peu d’eau potable ou de terre arable, et même des humanitaires qui viennent pour aider les populations les plus pauvres.

En 2015, nous avons adopté les objectifs de développement durable, mais nous n’avons pas assez progressé dans leur mise en œuvre. Le développement du Sahel doit se reposer sur trois piliers regroupant ces objectifs, misant sur sa jeunesse, son environnement et son agriculture et sa longue histoire de coopération.

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Pour cela, nous devons saisir l’opportunité offerte par la crise sanitaire pour lancer un green deal pour le Sahel. Un green deal qui apporte, partout dans le monde rural du Sahel, des investissements pour l’agroécologie, des infrastructures vertes pour la santé, l’énergie et les transports, des moyens pour s’adapter au changement climatique. Les pays riches sont en train de consacrer des milliards de milliards de dollars pour se reconstruire. Et nous, que faisons-nous ?

La plupart de nos pays ont soixante ans d’indépendance cette année. Ils font face au plus grand défi qu’ils ont à affronter depuis la fin de la colonisation : celui de transmettre à la jeunesse un espoir d’un monde meilleur, fondé sur la gestion durable des ressources naturelles, sur la lutte contre la pauvreté, la paix et la sécurité, et sur un renouveau démocratique. Nos jeunes y sont prêts, ils l’attendent. C’est à nos vieux pays et à leurs dirigeants, maintenant, de leur tendre la main.

Hindou Oumarou Ibrahim est membre de la communauté mbororo du Tchad. Alors qu’elle n’a que 15 ans, elle crée l’Association des femmes peules et peuples autochtones du Tchad (Afpat). Depuis maintenant vingt ans, elle milite pour la protection de l’environnement et la promotion des droits humains et des peuples autochtones.

Le Monde

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