Le président du Parlement européen accusé de « révisionnisme historique »

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Antonio Tajani au Parlement européen, à Strasbourg, le 16 janvier.
Antonio Tajani au Parlement européen, à Strasbourg, le 16 janvier. Jean-Francois Badias / AP

Bras droit de Silvio Berlusconi à Rome et président du Parlement européen à Strasbourg, l’italien Antonio Tajani est coutumier des contorsions. D’ordinaire, il veille à ce que ses déclarations sur le terrain politique italien restent fidèles à la ligne de son parti (Forza Italia, droite), tout en étant suffisamment vagues pour ne pas être mal interprétées au niveau européen. Mais dimanche 10 février, à Basovizza, un quartier périphérique de Trieste tout proche de la frontière slovène, lors du « Jour du souvenir », cet équilibre a volé en éclats.

Lors d’une cérémonie organisée pour cette journée de la mémoire aux victimes des « massacres des Foibe », le président du Parlement européen a en effet conclu son allocution par un « Vive Trieste, vive l’Istrie italienne, vive la Dalmatie italienne, vive les exilés et vive les enfants de ces exilés » qui a aussitôt provoqué la colère de ses voisins croates et slovènes, réveillant le souvenir d’un épisode de la seconde guerre mondiale qui reste d’autant plus vif qu’il a longtemps été passé sous silence.

Un épisode occulté

Devenues italiennes au sortir de la première guerre mondiale, après l’éclatement de l’empire austro-hongrois, la région de Trieste, l’Istrie et la Dalmatie étaient peuplées d’Italiens (surtout dans les villes), mais aussi de Slaves, principalement des Croates et des Slovènes. A partir des années 1920, durant le fascisme, celles-ci ont été victimes d’une politique d’italianisation forcée, particulièrement violente, dont Croates et Slovènes gardent un souvenir très vif.

Puis avec l’avancée des partisans yougoslaves dans la région, à partir de l’automne 1943, les grottes naturelles (« foibe ») du secteur ont commencé à devenir le théâtre de représailles, dont le bilan réel reste l’objet de vives controverses. Après avoir été dans un premier temps purement politiques, visant des militaires ou des membres du Parti fasciste, les exécutions sommaires ont pris, en 1945, un caractère d’épuration ethnique.

Par la suite, le souvenir de ce drame a été refoulé pendant un demi-siècle, en raison de l’importance du Parti communiste italien, pour qui les victimes étaient toutes des fascistes, et de la volonté italienne de ne pas contrarier la Yougoslavie communiste voisine. Jusqu’aux années 1990, seuls les nostalgiques du ventennio fasciste évoquaient le drame des « foibe ». Et ce n’est qu’en 2004, sur décision du gouvernement Berlusconi (auquel participaient d’ailleurs les post-fascistes d’Alliance nationale), que le « Jour du souvenir » a été instauré.

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Ainsi donc, en célébrant « l’Istrie italienne » et la « Dalmatie italienne », le président du Parlement européen reprenait un des chevaux de bataille de la droite berlusconienne : la lutte contre l’hégémonie culturelle des communistes dans l’Italie de l’après-guerre, dont l’occultation du drame des « foibe » est, selon lui, l’une des preuves les plus criantes.

Problème : de l’autre côté de la frontière, ces déclarations ne peuvent être ressenties autrement que comme des provocations. Ainsi, les gouvernements croate et slovène ont exprimé leur colère lundi. Le premier ministre conservateur croate, Andrej Plenkovic, pourtant allié de M. Tajani au Parlement européen, s’est ainsi dit « extrêmement mécontent » de ses propos et a immédiatement demandé des éclaircissements. Son homologue slovène a lui parlé « d’un révisionnisme historique sans précédent ».

Pas de « revendication territoriale »

« De telles déclarations ne facilitent pas la réconciliation, la coexistence et les valeurs de civilisation sur lesquelles l’Union européenne a été construite », a abondé la présidente croate, Kolinda Grabar-Kitarovic, elle aussi membre du Parti populaire européen comme M. Tajani.

De retour lundi à Strasbourg pour la session plénière du Parlement, M. Tajani a été forcé de s’expliquer. Sans s’excuser, l’allié de Silvio Berlusconi a dit être « désolé si [ses] paroles ont été mal comprises ». « J’ai fait référence à l’histoire et à la Dalmatie italienne mais cette référence n’est pas du tout une revendication territoriale. J’ai voulu rappeler les milliers de victimes italiennes qui ont été jetées dans les fosses communes », a-t-il affirmé.

Pas de quoi éteindre vraiment la colère des eurodéputés croates et des Slovènes présents dans l’hémicycle. « Vous savez que la Dalmatie et l’Istrie sont des régions croates qui ont beaucoup souffert de l’occupation italienne et du régime impérialiste. Il est scandaleux que le président du Parlement européen tienne des propos impérialistes », a notamment fustigé l’eurodéputée nationaliste Ruza Tomasic.

Jérôme Gautheret (Rome, correspondant) et Jean-Baptiste Chastand

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