« Le Liban fait face à une impasse quasi existentielle, il doit se réinventer de fond en comble »

0
71

[ad_1]

Au Proche-Orient, le Liban vit la pire crise économique de son histoire, aggravée par la pandémie mondiale de Covid-19. Mais aussi par un contexte politique délicat, exacerbé par les tensions entre le Hezbollah, un allié de l’Iran qui domine la vie politique libanaise, et les Etats-Unis. Notre correspondant à Beyrouth, Benjamin Barthe, a répondu jeudi 16 juillet à vos questions dans un tchat du Monde.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le coronavirus fragilise le Liban, déjà en faillite

@Elias : Où en sont les négociations entamées avec le FMI autour d’une aide financière ? Plus globalement, quelle est la position des Etats-Unis, qui semblent tirer profit de la crise pour appliquer une pression maximale sur le Hezbollah (et donc l’Iran et ses alliés) en le privant de dollars ?

Elles patinent. La délégation libanaise, qui est minée par les divisions, ne parvient même pas à s’accorder sur un diagnostic, c’est-à-dire le chiffrage des pertes, l’ampleur de la banqueroute. Le secteur bancaire, représenté dans les négociations par le gouverneur de la banque centrale, persiste à dire que le Liban n’est pas en faillite. Le gouvernement voudrait avancer en direction d’un accord avec le Fonds monétaire international (FMI), mais il est court-circuité de toutes parts.

Un exemple : le FMI demande une loi sur le contrôle des capitaux. Le gouvernement y est favorable, les banques aussi, mais le président du Parlement, Nabih Berri, chef du parti AMAL qui soutient théoriquement le gouvernement, s’y refuse, de même que la banque centrale. Donc, ça n’avance pas. Les Etats-Unis font pression, c’est exact, mais dans l’hypothèse où le Liban parviendrait à un accord avec le FMI, il est peu probable que Washington s’y opposerait.

Lire aussi Le Liban, une nation en perdition

Chb20 : Dans quelle mesure s’agit-il d’une politique délibérée des Etats-Unis dans leur confrontation avec l’Iran (en affaiblissant le Hezbollah) ?

Le désastre libanais est principalement « home made ». C’est le résultat de décennies de mauvaise gestion, de corruption menées par une élite oligarchique et prédatrice. La crise, qui couvait depuis longtemps, a éclaté à l’automne 2019 lorsque la pyramide de Ponzi mise en place par la banque centrale pour financer les besoins en dette de l’Etat s’est finalement écroulée.

Cela dit, le Liban ne vit évidemment pas en vase clos et la conjoncture internationale l’affecte. Les pressions américaines sur la Syrie et sur le Hezbollah ont un impact sur le pays du Cèdre. Tout comme le ralentissement de la croissance dans le Golfe, qui a obligé beaucoup d’expatriés libanais, sources de revenus pour leur patrie, à faire leurs valises. Mais la cause principale de la crise est endogène.

Didon : Qu’en est-il du Hezbollah durant cette crise ? Ne risque-t-on pas de le voir jouer un rôle social important, en assurant par exemple la distribution de produits de base, et voir par la même occasion son influence monter dans le pays ? Et qu’en pensent les pays voisins ?

Tous les partis tentent de profiter de la crise pour rapiécer le système communautaire mis à mal par le soulèvement populaire de l’automne 2019, et raffermir leur contrôle sur leur base politico-confessionnelle. Cela passe entre autres par des activités caritatives, des distributions de nourriture, etc. Le Hezbollah n’est pas une exception.

MichelT : Quelles sont les solutions envisagées sur le long terme, car à l’heure actuelle il n’existe quasiment aucune solution sur le court et moyen terme ?

Personne ne peut le dire, c’est peut-être l’aspect le plus désespérant de la crise. A court terme, la réinjection de devises, par la signature d’un accord avec le FMI, redonnera un peu d’oxygène au pays. Lors de la Conférence économique pour le développement par les réformes et avec les entreprises (Cedre), en 2018, les bailleurs de fonds au Liban avaient promis une aide de 11 milliards de dollars. Cette manne est suspendue au feu vert du FMI, qui tarde à venir.

Mais cet argent ne réglera pas les problèmes de fond du pays, qui fait face à une impasse quasi existentielle. Il doit se réinventer de fond en comble, développer une économie productive, instaurer un système fiscal plus redistributeur, rompre avec – ou apurer – un système politique confessionnel complètement vicié, etc. Les défis sont vertigineux.

Scoroconcolo : Le soulèvement populaire de l’automne 2019 a-t-il la moindre chance de recommencer dans les prochains mois, ou les différentes crises ont-elles balayé la capacité de manifestation des Libanais ?

On n’est jamais à l’abri d’une ruse de l’histoire. Mais à ce stade il semble que la révolution du 17 octobre 2019 ait échoué. Les manifestants n’étaient pas suffisamment préparés, l’épidémie de Covid-19 les a court-circuités, les difficultés du quotidien les ont étranglés, et puis, il y avait dans leurs rangs une très grande diversité d’opinions, qui rendait toute coordination très compliquée. C’est là-dessus que les partis et les mouvements d’opposition travaillent actuellement. Un rapprochement est en cours entre différentes tendances, dans l’idée de présenter une liste unie aux élections législatives de 2022.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi « La “Suisse du Proche-Orient” va devenir un nouvel Afghanistan » : au Liban, le naufrage économique de la classe moyenne

Alix : Je ne comprends pas l’intérêt de la classe politique actuelle de bloquer les réformes demandées par la communauté internationale.

La classe politique est composée de leaders communautaires qui n’ont jamais, ou bien rarement, eu le bien du pays à cœur. Ce sont, pour une grande partie d’entre eux, des chefs de milice, qui ont troqué, à la fin de la guerre civile, en 1990, le treillis pour le costume deux-pièces. Ils excellent à faire croire aux membres de leur communauté qu’ils les défendent, alors qu’ils ne défendent que leurs intérêts privés.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Dominique Eddé : « Le naufrage du Liban, c’est bien plus que celui d’un pays »

UnLibanaisExpatrié : Je comprends l’envie de décrire des situations de manière réaliste, mais pourquoi utiliser un ton aussi alarmiste, en particulier dans les titres des articles qui concernent le Liban ? Il s’agit d’un petit pays, qui en a vu des vertes et des pas mûres, et s’il faut retenir une chose, c’est que ses habitants s’en sont toujours sortis. Un grand journal peut facilement ternir l’image d’un petit pays en quelques titres malencontreux. Ce n’est pas l’aider. Quel est votre objectif avec cette ligne éditoriale ?

Notre couverture n’est pas alarmiste. C’est la situation qui l’est. La fameuse « résilience » à laquelle vous faites allusion a trop souvent servi de paravent à la poursuite de politiques vouées à aller dans le mur. Le pays s’est aujourd’hui fracassé sur ce mur. Il ne s’en sortira pas avec les expédients habituels.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le Liban, un pays en banqueroute

Franco LIETA : Le Liban a absorbé et toléré en son sein ou ses frontières de nombreux camps de réfugiés, venus notamment de Syrie pendant les années de guerre. Jusqu’à quel point cette situation a-t-elle affaibli l’économie libanaise déjà en crise ? Le Liban a-t-il bénéficié d’aides internationales pour l’accueil de ces réfugiés, et que sont devenus ces réfugiés ?

Vous avez raison. On considère que le pays héberge grosso modo 1,5 million de réfugiés (en grande majorité syriens, mais aussi palestiniens) pour une population totale de 6 millions de personnes environ. C’est un ratio énorme. Cette population a pesé sur les infrastructures du pays, déjà en piteux état. La communauté internationale, par les Nations unies principalement, a aidé le Liban à faire face à cet afflux.

Des dizaines, probablement des centaines de millions de dollars ont été versés depuis 2011, début de la crise syrienne. Cela dit, hormis quelques exceptions, les pays occidentaux se sont toujours refusés à ouvrir leurs frontières aux réfugiés installés au Liban. Les accueillir sur leur territoire, décharger le Liban d’une partie de ce fardeau, aurait été la meilleure façon de l’aider. Cela n’a pas été fait. L’aide internationale a pour objectif non dit de fixer les réfugiés au Liban.

UnFrancaisauLiban : Qu’en est-il de l’épidémie ? Si les mesures de confinement prises rapidement ont permis de contrôler initialement l’épidémie, on semble en être loin maintenant : hausse du nombre de contaminés, plus de confinement, plus de gestes barrières, plus de contrôle…

Effectivement, l’épidémie repart à la hausse au Liban, comme dans de nombreux pays de la planète. Pour l’instant, le reconfinement n’est pas à l’ordre du jour. Vu le niveau de désespoir économique – illustré par exemple par le fait que des pères de famille recourent au vol à main armée pour apporter du lait en poudre à leur bébé –, une telle mesure risquerait d’être très mal prise par la population.

Cat : Les écoles françaises (nombreuses au Liban) risquent-elles de disparaître ?

Elles sont en grande difficulté. Le Secrétariat des écoles catholiques a prévenu, dans une lettre au président, Michel Aoun, que 80 % d’entre elles pourraient fermer d’ici à 2021 si la situation économique continue à se dégrader. C’est pour cela que la France a récemment annoncé un plan d’aide d’urgence à ce secteur. Des millions d’euros vont notamment être alloués aux familles d’enfants inscrits dans une quarantaine d’écoles chrétiennes pour leur permettre de maintenir leur progéniture dans ces établissements à la rentrée de septembre.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi Riad Salamé, la faillite du « magicien » libanais

Le Monde

[ad_2]

Source link

Have something to say? Leave a comment: