Le jour où une certaine idée de l’Inde s’en est allée

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Pour sa dernière Lettre d’Inde, notre correspondant raconte l’évolution politique du pays sur une décennie, au cours de laquelle le populisme a triomphé sur la justice, et l’identité religieuse l’a emporté sur le pluralisme.

Par Publié aujourd’hui à 02h16

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LETTRE DE NEW DELHI

J’ai perdu l’Inde, ou plutôt elle m’a quitté, par un beau jour ensoleillé de printemps. Ce jeudi 9 avril 2019, Pragya Singh Thakur, une candidate extrémiste hindoue, sainte autoproclamée, sillonnait les ruelles d’un quartier pauvre de Bhopal, une ville du centre de l’Inde au riche passé moghol, pour le dernier jour de sa campagne électorale.

Elle s’était installée à l’arrière d’une moto pour circuler facilement dans les ruelles étroites, drapée d’une tunique safran, un collier de perles de Rudrakshas autour du cou. Des centaines de familles hindoues l’attendaient sur le seuil de leur maison pour offrir à l’ancienne détenue des guirlandes de fleurs.

Pragya Singh Thakur, élue au Parlement indien en mai, doit sa renommée à son arrestation puis à son incarcération préventive pour son rôle présumé dans l’attaque terroriste contre une mosquée à Malegaon qui avait fait six morts et cent blessés en 2008. Une distinction qui lui a valu l’investiture du parti nationaliste hindou du BJP au pouvoir, sans attendre l’issue de son procès. La formation du premier ministre Narendra Modi voulait en faire le symbole d’une majorité hindoue soi-disant persécutée et victime d’injustices.

En cette journée de campagne électorale triomphante, la sainte hindoue ne portait plus des menottes aux poignets mais des guirlandes de fleurs autour du cou. Onze ans plus tôt, en octobre 2008, les journaux et les chaînes de télévision ne l’appelaient pas encore une sainte mais une terroriste hindoue présumée.

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Réécrire l’histoire

Avec l’élection de Pragya Singh Thakur, le populisme a triomphé sur la justice, l’identité religieuse l’a emporté sur le pluralisme. Et une certaine idée de l’Inde est morte pour moi ce jour-là. Une page de l’histoire commencée après l’indépendance en 1947 s’est tournée.

La victoire de Narendra Modi aux élections de 2014 pouvait encore être interprétée comme la défaite du Congrès, le vieux parti de l’indépendance usé par dix ans de pouvoir et par les scandales de corruption. Mais le large succès de 2019 ne laisse plus de doute : il marque l’avènement d’une nouvelle identité indienne.

Les idéologues nationalistes hindous refaçonnent le pays en réécrivant l’histoire, en transformant l’hindouisme en une pâle copie des monothéismes avec un dieu dominant, Ram, et un livre sacré, la Gita. Leur vision d’une Inde éternelle se rapproche finalement de celle imaginée par les Européens du XIXe siècle : une Inde védique débarrassée de son passé moghol et colonial. Ce n’est plus le pluralisme qui est célébré dans le deuxième pays musulman du monde mais l’« hindouité ». L’Inde a changé de visage.

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