Laurent Musango: «Le danger c’est la confusion, de croire que le cannabis sera légalisé»

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Laurent Musango, représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Maurice.

Laurent Musango, représentant de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à Maurice.

La reclassification du cannabis médical fait flamber l’opinion. Qu’implique une telle mesure dans la pratique ? Quelles en sont les limites et risques parallèles ? Laurent Musango, représentant de l’OMS, explique la nuance entre cannabis médical et récréatif et les implications de l’un et de l’autre.

La recommandation sur la déclassification du cannabis de la liste de drogues dangereuses fait débat. Où en sont les choses actuellement ?

Nous avons un comité d’experts sur la dépendance aux médicaments qui fonctionne de manière permanente et fait des recommandations au directeur régional de notre organisation. Ceci ne concerne pas uniquement le cannabis mais également d’autres médicaments. Revenant au cannabis, l’OMS a recommandé sa reclassification. Par exemple, les plantes médicinales, les médicaments ou toute substance ayant trait au facteur médicamenteux sont classifiés en catégories 1, 2, 3 et 4. Cela va du moins nocif (pour le 1) au plus nocif (pour le 4). Depuis longtemps, le cannabis était classé à la catégorie 4. Puisqu’on y a vu quelques principes actifs utiles au traitement de certaines maladies, le comité d’experts a soumis la recommandation au directeur régional pour sa reclassification à la catégorie 1. Celle-ci date du 24 janvier.

Que se passe-t-il après une telle recommandation ?

L’OMS est le chef de file des Nations unies pour la santé. Quand ce comité technique donne une recommandation au directeur, celui-ci en discute avec son équipe administrative. S’il trouve la validité de prendre en considération cette recommandation, il envoie cela au secrétaire général des Nations unies. Ensuite, il y a l’Assemblée générale des États membres en mars, à Vienne. Le secrétaire général soumettra, entre autres, cette proposition. Maurice sera représenté par son gouvernement. Les États membres peuvent approuver ou rejeter la recommandation lors du vote. S’il y a une majorité, la mesure peut être adoptée. Au cas contraire, ce sera refusé. La légalisation du cannabis médical dépendra d’un pays à l’autre.

Quel est votre avis personnel sur cette mesure ?

C’est une bonne mesure. Car tout ce qui peut guérir doit être apprécié. Selon les scientifiques, le cannabis peut notamment aider au traitement de l’épilepsie chez les enfants, la sclérose en plaques, les douleurs chroniques chez les adultes, les nausées et vomissements résultant de la chimiothérapie entre autres.

Comment fait le panel d’experts face à ces opinions ?

Toute l’organisation travaille avec des instances techniques qui donnent des conseils. Ce sont des personnes dotées d’une certaine expertise. Elles doivent faire abstraction de leurs propres sentiments car il s’agit de toute une équipe. À titre d’exemple, à l’OMS, nous avons besoin de financement. Mais nous ne pouvons en accepter de l’industrie du tabac, de l’alcool et de Nestlé. On ne peut être juge et partie. Ce comité lui aussi doit être neutre. Ses membres ne doivent pas avoir d’intérêts.

Mais l’OMS passe d’un extrême de 4 à 1 en termes de nocivité du produit…

Effectivement, il n’y a pas de milieu, vers les catégories 2 ou 3. Cela passe du très dangereux au moins dangereux. Mais les explications se basent sur l’extraction du principe actif médicamenteux. L’OMS ne recommande, en aucun cas, que le cannabis soit utilisé sous forme de feuilles ou en le fumant pour des besoins récréatifs. Nous sommes très clairs dessus. Le danger maintenant est la confusion des gens qui croient que le cannabis sera légalisé et qu’ils pourront le cultiver et le consommer à leur guise.

Que rapportera la reclassification du cannabis à Maurice ?

À Maurice, je constate que cette confusion perdure. Le sujet du cannabis enflamme toujours les débats partout, avec les politiciens, la presse etc. Si le pays adopte cette mesure, cela rapportera des médicaments additionnels qui soulageront les patients.

Et développera des marchés parallèles au noir ?

En tant que médecin, je ne regarde pas ces aspects économiques et commerciaux. Je ne suis pas commerçant. Mais cela dépendra des besoins, de combien d’épileptiques sont concernés etc. Pour les ventes parallèles, il y a toujours eu des tentatives de fraude. Comparé à d’autres pays, Maurice pourrait être moins à risque car il semble qu’un certain contrôle soit en place.

Pourra-t-on vraiment contrôler une telle pratique à Maurice ?

La plupart des pays disposent d’agences de contrôle de la qualité des médicaments. En principe, après l’achat, il doit y avoir l’assurance-qualité et le respect de la dose précise. Je ne veux pas juger la fonctionnalité de cette agence à Maurice mais il faudrait qu’elle agisse et exerce le contrôle nécessaire.

Et si on adopte la mesure, faut-il fabriquer ces médicaments ou les importer ?

Les deux options sont possibles. S’il y a des agences accréditées pour en fabriquer, Maurice peut le faire en respectant les exigences techniques de l’OMS. De l’autre côté, le pays peut en importer tout en gardant un œil sur le contrôle de la qualité des produits avec l’agence accréditée dont nous parlions précédemment…

Selon les rapports de l’Audit, beaucoup de nos médicaments réguliers importés demeurent contrefaits, de qualité douteuse ou expirés parfois avant terme. Serait-ce le sort de ceux au cannabis ?

Effectivement, là on parle de médicaments contrefaits. C’est pour cela que l’agence susmentionnée doit s’occuper de la qualité pour éviter de tels risques. Si c’est importé et que les normes ne sont pas respectées, l’institution devrait les trouver et les détruire sur le marché.

La polémique enfle et divise plusieurs pays sur la libre commercialisation du cannabis récréatif. Et vous, êtes-vous divisé ?

Je ne sais même pas pourquoi ce débat continue à Maurice. L’OMS a clairement dit que l’on déclassifie le produit pour usage médical à des doses précises. Mais on ne le recommande pas pour des pratiques récréatives. Je suis contre la libéralisation du cannabis pour usage récréatif. On commence avec des petites pratiques qui nous semblent négligeables. On croit que cela ne donne pas d’addiction mais au contraire, on peut être tenté par des drogues plus dures. Cela ouvre la voie à toutes sortes de risques dont des rapports sexuels non protégés, des maladies comme le VIH et l’hépatite C etc. Je préfère carrément dire que je suis contre.

Pourtant, plusieurs voix s’appuient sur les ravages de la drogue synthétique pour défendre la légalisation…

Ça, c’est leurs arguments mais je ne suis pas d’accord. Pour moi, cela ne tient pas la route. Je ne peux pas dire que les pays l’ayant légalisé pour usage récréatif ont eu des effets positifs. Mais pour Maurice, il faut lutter contre ce fléau. Le combat contre la drogue doit être une priorité du gouvernement.

Comment différenciez-vous légalisation et dépénalisation du cannabis ?

Ce sont des termes juridiques. Dans le cas de la légalisation, le pays accepte la vente du produit. La dépénalisation implique la commercialisation sous un contrôle précis. Pour Maurice, je suis les orientations de l’OMS et suis contre les pratiques pour usage récréatif.

Quels sont les risques de la libéralisation du cannabis thérapeutique ?

Le patient doit respecter la dose prescrite. Au cas contraire, cela peut engendrer des effets secondaires néfastes. C’est clair. Même si vous prenez une surdose d’aspirine, vous pouvez saigner.

Et l’addiction au cannabis médical ?

Ça, je ne saurais vous le dire. Je ne suis pas technicien pour dire si cela peut devenir addictif.

Quels contrôles devraient être instaurés pour que la recommandation soit efficace ?

Il faudrait un contrôle multidisciplinaire et multisectoriel. Cela implique la collaboration de plusieurs institutions comme la police, le ministère du Commerce, celui de la Santé, les hôtels, les débits de boisson, les points de vente, le port, l’aéroport, l’Immigration, etc. La Santé vient souvent en dernière position car c’est surtout après un accident ou après une overdose qu’on agit, ce qui ne devrait pas être le cas. Il faut aussi faire de la dénonciation.

Bio express

Originaire du Rwanda, Laurent Musango est médecin de profession depuis 1992. De septembre 2007 à août 2016, il a été conseiller régional pour le financement de la santé et de la protection sociale de l’OMS au Gabon, entre autres. Depuis octobre 2016, il est le représentant de l’OMS à Maurice.


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