« L’anticipation, notamment celle du coronavirus, est une affaire de mentalité »

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La pandémie de Covid-19 est avec nous pour longtemps. Mais il n’est pas trop tôt pour se préparer aux prochaines surprises stratégiques. Non pas tant parce que celles-ci se multiplieraient – c’est un jugement répandu, mais discutable, que de dire que les grandes crises, des attentats du 11 septembre 2001 à l’éclatement de la bulle des subprimes en 2008, seraient de plus en plus fréquentes – que pour des raisons qui tiennent à la nature du monde dans lequel nous vivons.

Vitesse de propagation des crises

La vitesse de propagation des crises accélère. Un virus peut arriver dans un village à l’autre bout du monde en trente-six heures. Les dépêches d’agence les plus urgentes sont répercutées par les médias du monde entier en moins de trois minutes. Une attaque informatique, une crise financière ont des effets quasi immédiats. Et nous sommes moins tolérants à ces crises : l’accroissement de la connectivité affaiblit notre capacité à absorber les développements inattendus.

En outre, il devient plus difficile de distinguer les événements les plus importants : le 20 janvier, lorsque la Chine confirma la transmission interhumaine du virus, cette information était masquée par la mise en accusation de Donald Trump, une flambée de manifestations au Liban, l’intervention de la Turquie en Libye… En d’autres termes, le bain d’informations dans lequel nous sommes désormais plongés en permanence nous rend moins aptes à voir l’essentiel, à distinguer le « signal » du « bruit » ambiant.

Mais surtout, les Etats risquent demain de se focaliser sur la prévention de la prochaine… pandémie, au détriment d’autres scénarios d’origine naturelle ou humaine. En d’autres termes, nous risquons encore une fois de nous préparer à la dernière guerre.

Evénements imprévisibles

Comment alors mieux anticiper la prochaine crise majeure ?

Les vrais « cygnes noirs » chers au statisticien et essayiste Nassim Taleb, des événements imprévisibles aux conséquences massives, sont extrêmement rares. Le risque d’une pandémie mondiale était décrit dans tous les rapports gouvernementaux. Les surprises stratégiques ne sont en général que des surprises tactiques. On connaît le scénario, mais pas ses modalités (où, quand, comment ?). C’est en cela que le 11-Septembre avait été qualifié a posteriori « d’échec de l’imagination » par la commission d’enquête sur les attentats.

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Faut-il alors rejeter la faute sur les responsables politiques, qui ne prendraient pas au sérieux les avertissements ? Il est vrai qu’il y a souvent un problème de passage de témoin entre la prospective et la politique. De plus, on ne dépense pas facilement pour se préparer à des scénarios à faible probabilité même si leurs conséquences peuvent être graves : l’urgent l’emporte toujours sur l’important.

Mais le problème est aussi psychologique. Michele Wucker, une spécialiste américaine de la gestion de crise, parle de « rhinocéros gris » : un scénario prévu de longue date mais… tellement difficile à gérer que l’on préfère le mettre sous le boisseau. Les pandémies massives font partie de cette catégorie.

Que faire alors ? Les solutions ne sont sans doute pas institutionnelles. Etablir des cellules de prospective directement auprès des présidents ou premiers ministres, par exemple, ne garantirait nullement un changement de mode de comportement des administrations.

Scénarios imaginatifs, concrets et crédibles

Les prospectivistes doivent produire des scénarios à la fois imaginatifs, concrets et crédibles. Et surtout des solutions accessibles à un coût raisonnable, sauf à ce que leurs rapports finissent au fond d’un tiroir. Ils doivent enfin inviter au débat : sans une sensibilisation des opinions, la surprise restera à l’ordre du jour. Le prospectiviste n’est pas un marchand de peur : le premier a une méthode, le second une opinion.

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Quid des administrations ? On connaît leurs travers : le manque de partage de l’information, qui les rend parfois incapables de tisser les fils d’une crise en train de se nouer ; le conservatisme et le consensus à tout prix. Elles commencent toutefois à se saisir de méthodes innovantes, tels que l’appel à des auteurs de fiction, voire de science-fiction – qui savent imaginer l’impact des développements technologiques. Ces méthodes doivent être encouragées et le big data offre des perspectives nouvelles à l’analyse des événements complexes. En temps de crise, elles doivent être prêtes à improviser et à bousculer les corporatismes ou les obstacles réglementaires.

Et comment persuader les opinions de consentir à des dépenses de prévention pouvant se chiffrer en centaines de millions d’euros, pour se préparer à des événements très improbables ? Pour cela, des exemples peuvent être tirés de l’histoire récente, et les choix posés en des termes simples : « Préférez-vous que l’électricité coûte plus cher, ou bien que le risque d’un Tchernobyl ou d’un Fukushima soit plus important ? »

Connaissance de l’histoire

Nous ne saurions trop recommander que les responsables politiques jouent eux-mêmes des scénarios de crise. La connaissance de l’histoire est tout aussi précieuse. Lors de la crise de Cuba, John Kennedy avait été guidé par un ouvrage sur le déclenchement de la guerre de 1914.

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Les citoyens, pour leur part, doivent comprendre que les responsables ont le droit à l’erreur dès lors que leurs décisions sont prises de bonne foi avec à l’esprit le rapport coût/bénéfices de la préparation aux hypothèses du pire. Il était légitime de reprocher au président américain Gérald Ford la décision de vacciner hâtivement la population en réponse à la grippe porcine de 1976, mais moins d’en avoir voulu aux autorités françaises d’avoir stocké par précaution un nombre important de vaccins pour se préparer à la grippe A de 2009.

L’anticipation est une affaire de mentalité et d’agilité mentale. L’acceptation de l’imprévisibilité n’est pas incompatible avec l’amélioration de notre capacité collective à gérer l’imprévu. Nous serons sans doute beaucoup mieux préparés à la prochaine pandémie. Mais nous ne serons pas, sans effort supplémentaire, mieux préparés à une surprise d’un autre ordre.

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