La délicate « neutralité » de la Tunisie face au conflit libyen

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Le président tunisien Kaïs Saïed à Tunis, le 20 février 2020.

« La Tunisie tient autant à sa souveraineté qu’à celle de la Libye et ne sera la base arrière d’aucun camp. » C’est un vœu pieux que Kaïs Saïed, président de la République, a exprimé vendredi 5 juin à Emmanuel Macron lors d’un échange téléphonique. Il est assurément difficile pour Tunis de demeurer à l’abri de la guerre en Libye, qui fracture de plus en plus la géopolitique régionale.

Faut-il soutenir le maréchal Khalifa Haftar qui a déclenché en avril 2019 l’assaut contre Tripoli au nom de la lutte « anti-islamiste » et « anti-terroriste » ? Ou plutôt le gouvernement d’« accord national » (GAN) de Faïez Sarraj, reconnu par la communauté internationale et qui prétend défendre la « démocratie » contre la « dictature militaire » ?

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« On retrouve de plus en plus l’injonction de choisir entre deux grandes écoles de pensée, militairement opposées, dans la rhétorique des différentes factions politiques en Tunisie », note Jalel Harchaoui, chercheur à l’Institut des relations internationales de Clingendael (Pays-Bas). La Tunisie se trouve ainsi comme sommée de choisir entre les deux axes régionaux auxquels sont affiliés les belligérants libyens.

D’un côté, les régimes conservateurs arabes pro-Haftar, à l’instar des Emirats arabes unis (EAU), de l’Egypte et de l’Arabie saoudite, trois Etats qui préconisent, selon le chercheur, « un autoritarisme totalement vertical, sans aucune place à la société civile ou au multipartisme ». Cette coalition est soutenue, pour des raisons différentes et à des degrés divers, par la Russie et la France.

Des « forces malignes » dans la région

Dans le camp d’en face – pro-GAN de Tripoli –, s’activent la Turquie d’Erdogan issue de la matrice de l’islam politique, « un régime parlementaire de plus en plus autoritaire, mais qui n’a rien à voir avec le régime saoudien », selon M. Harchaoui, et le Qatar, proche des Frères musulmans.

Ces deux camps opposés s’accordent sur un point, assure M. Harchaoui : « La présomption que la Tunisie ne doit pas rester comme elle est. » « Son modèle pluraliste et démocratique est de moins en moins toléré », ajoute-t-il. Au-delà du choix imposé entre ces deux autoritarismes sunnites, ce sont les Etats-Unis qui ont récemment tenté de mettre la Tunisie devant le fait accompli.

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Dans un communiqué d’Africom – le commandement de l’armée américaine pour l’Afrique – diffusé le 29 mai, la Tunisie était implicitement classée du côté américain, contre les « forces malignes » dans la région, avec en ligne de mire les Russes qui, selon Africom, « jettent de l’huile sur le feu sur le conflit libyen ».

La Turquie a été plus insistante encore ainsi que l’avait illustré une visite d’Erdogan à Tunis fin décembre 2019. « Quand Erdogan arrive dans la capitale tunisienne accompagné de son chef des renseignements et de hauts gradés, cela est fait sciemment » dans le but de forcer la main des autorités tunisiennes. « Dans la narration politique des puissances étrangères, notamment occidentales, on retrouve le thème du manque de préparation du président Kaïs Saïed, présenté comme un naïf et un maladroit », rapporte Jalel Harchaoui. Ce cynisme perceptible au sein des deux coalitions étrangères intervenant en Libye est « dangereux », ajoute le chercheur, car la présidence tunisienne pourrait en être déstabilisée.

Tensions avivées

L’injonction de prendre position sur le dossier miné de la Libye, c’est précisément ce que Kaïs Saïed tente d’éviter. Youssef Chérif, chercheur en relations internationales, voit toutefois dans la posture de la présidence tunisienne « une neutralité passoire », car « il est délicat de tout contrôler dans un contexte démocratique ».

L’élection de Kaïs Saïed à l’automne 2019 avait rebattu les cartes du jeu politique tunisien en court-circuitant le clivage entre « islamistes » et « modernistes ». Dépourvu d’expérience politique notoire, de réseau à l’international et de structure partisane, M. Saïed présentait un profil nouveau qui lui a permis de gagner le scrutin. Mais il n’a pas tardé à être confronté à ces mêmes logiques partisanes sur le terrain des relations extérieures.

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Les tensions se sont notamment avivées autour du dossier libyen. « Le chef de l’Etat ne s’intéresse pas à la diplomatie, souligne M. Chérif. Il laisse les cadres du ministère des affaires étrangères gérer les affaires courantes. Mais il ne veut pas laisser des personnes extérieures à ce ministère s’aventurer dans les relations étrangères ».

Ainsi, l’activisme sur la scène régionale de Rached Ghannouchi, président d’Ennahda, parti issu de la matrice islamiste, a-t-il été gênant pour le chef de l’Etat. Président de l’Assemblée, M. Ghannouchi voit ses actions revêtir un caractère officiel, bien que la diplomatie ne relève pas de ses prérogatives. L’un de ces gestes les plus critiqués en Tunisie, notamment de la part du courant nationaliste arabe hostile aux Frères musulmans, a été son appel téléphonique félicitant Faïez Sarraj, le chef du GAN de Tripoli, au lendemain de la prise le 18 mai de la base aérienne d’Al-Watiyah en Tripolitaine, jusque-là tenue par les forces pro-Haftar.

Bipolarisation idéologique

« M. Ghannouchi évolue toujours dans le même réseau turco-qatari qui était le sien avant de devenir président de l’Assemblée », précise Adnan Mancer, président du Centre d’études stratégiques sur le Maghreb (Cesma). M. Ghannouchi a nourri « une rivalité sur cet axe avec le président Saïed », ajoute M. Mancer, qui fut directeur de cabinet entre 2011 et 2013 de l’ancien chef d’Etat Moncef Marzouki.

Les députés n’ont pas longtemps résisté à l’internationalisation des débats internes. Mercredi 3 juin, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) s’est durement polarisée sur la question libyenne, avec les partisans de l’axe turco-qatarien (pro-Sarraj) échangeant des invectives avec les supporteurs de l’axe émiro-russe (pro-Haftar), lors d’un débat de vingt heures autour d’une résolution dénonçant « toute intervention étrangère en Libye ».

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Le texte avait été déposé par Abir Moussi, la présidente du Parti destourien libre (PDL), nostalgique du régime de Zine El-Abidine Ben Ali, renversé par la révolution de 2011. En réalité, seul l’interventionnisme turco-qatari était nommément critiqué.

S’alignant sur le discours émirien, Mme Moussi a tiré à boulets rouges sur M. Ghannouchi et son parti Ennahda, décrié comme un satellite de « l’organisation internationale des Frères musulmans » et coupable à ses yeux de déloyauté à l’égard de la patrie. Si sa résolution a échoué à recueillir une majorité, elle a néanmoins rassemblé 94 voix, soit un soutien allant bien au-delà du seul groupe parlementaire du PDL (16 élus). Aussi, Mme Moussi peut-elle se targuer d’un succès relatif. Elle aura réussi à imposer ses termes du débat et fixé la ligne de démarcation opposant les « anti-Frères musulmans » aux « satellites d’Ennahda » qui cautionneraient les interventions étrangères.

Ainsi, la bipolarisation idéologique qui avait fracturé la Tunisie en 2013 autour de l’islam politique a-t-elle ressurgi à la faveur de cette controverse libyenne. Une autre voie est-elle possible ? Le Courant démocrate, un parti social-démocrate affilié à la coalition gouvernementale et qui s’était fait connaître dans la lutte anticorruption, a tenté d’offrir une alternative en ne prenant pas part au vote de l’ARP. Mais l’option, inaudible, ne lui a attiré que des critiques, laissant béante la nouvelle fracture.

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