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Sur fond de tensions géopolitiques et de repli des nations, que la crise du Covid-19 devrait encore intensifier, le monde s’arme. La France, troisième exportateur mondial de matériel militaire avec 8 % de parts de marché, y trouve un avantage, même si la compétition n’a jamais été aussi rude.
Selon le rapport annuel remis, lundi 1er juin, au Parlement, et rendu public mardi 2 juin, les exportations de missiles, blindés, corvettes et autres équipements de guerre ont atteint 8,33 milliards d’euros en 2019, dont la moitié pour l’industrie navale. « Un très bon chiffre », assure le ministère des Armées, qui prévient d’ores et déjà, pandémie oblige, « s’attendre à une baisse assez conséquente des commandes en 2020 ».
En 2018, les Naval Group, MBDA, Dassault, Airbus ou Thales avaient fait mieux, en exportant pour 9,1 milliards d’euros d’armements. Pourquoi ce satisfecit, malgré la baisse ? Si 2019 a vu la livraison du premier des 36 Rafale commandés par l’Inde en 2016, il n’y a pas eu de nouveau contrat pour l’avion vedette de Dassault. Or, une année sans Rafale, c’est comme une année sans publication d’« Astérix » pour l’édition : « La moyenne des années hors contrat Rafale se situe entre 6 milliards et 7 milliards d’euros », précise le rapport.
Réorientation majeure du côté des clients de la France
Mais, derrière les montants totaux, se cache surtout une réorientation majeure du côté des clients de la France. « Je suis fière d’annoncer qu’en 2019, les clients de l’Union européenne (UE) ont représenté 42 % des prises de commandes auprès de nos industriels (et près de 45 % en comptant les autres pays européens, hors UE) », souligne, en ouverture du rapport, Florence Parly, la ministre des Armées, qui y voit le fruit de la politique de partenariats menée avec nos voisins. Les pays européens avaient représenté 25 % des prises de commandes en 2018, « contre 10 % à 15 %, en moyenne, les années précédentes », affirme le rapport. Selon le ministère, cette réorientation européenne est « structurelle ».
En 2019, la Belgique a acheté pour 1,8 milliard d’euros des chasseurs de mines pour sécuriser ses côtes et des blindés, devenant le premier client de l’industrie française. La Hongrie, en acquérant 36 hélicoptères de combat (630 millions d’euros), et l’Espagne, avec deux satellites militaires de télécommunications (430 millions), se placent respectivement aux 3e et 4e rangs des acheteurs d’armes françaises.
Cette montée en puissance de l’Europe dans les exportations françaises intervient alors que s’effondrent les prises de commandes au Moyen-Orient. Les industriels français ont vendu pour 2,2 milliards d’euros de matériels dans la région, quasi moitié moins qu’en 2018. Au total, en dix ans, 36,7 milliards d’euros de frégates, missiles et autres avions de combats ont été écoulés par la France au Moyen-Orient. Mais, en 2019, seuls les Emirats arabes unis ont continué à passer d’importantes commandes à Paris, notamment de corvettes, devenant le second client de la France (1,5 milliards d’euros).
Le pragmatisme l’emporte chez les acheteurs
L’Arabie saoudite a divisé par près de cinq ses achats d’armes en France (209 millions d’euros). Avec l’Egypte, aussi, c’est la fin d’un cycle : le pays avait acquis, au total, pour 7,7 milliards d’euros d’équipements à Naval Group ou Dassault entre 2010 et 2018 et n’a passé que 169 millions d’euros de commandes aux industriels français en 2019. La France semble même céder la place à l’Italie, et Fincantieri paraît bien parti pour détrôner Naval Group. Les entreprises italiennes viennent de sceller un mégacontrat – 6 frégates, 20 patrouilleurs, 24 Eurofighter et 24 avions de combat. Pas de quoi faire oublier l’affaire Giulio Regeni, cet étudiant italien torturé à mort en 2016 en Egypte, mais un signe politique adressé par le Caire à Rome, dont les industriels sont plus agressifs dans tout le Moyen-Orient.
La relation franco-égyptienne avait subi un coup de froid après les propos critiques d’Emmanuel Macron en janvier 2019 au sujet des droits de l’homme. Mais Paris est resté aligné sur la position égyptienne en Libye et affiche sa confiance. « Les échanges diplomatiques sont intenses entre nos deux pays », souligne-t-on chez Florence Parly, en faisant porter le regard vers le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui avait préparé sous la présidence Hollande les grands contrats Rafale et BPC scellés avec le président Abdel Fattah Al-Sissi. « Il a été décidé avec le président Sissi en février d’activer un comité d’armement régulier », précise-t-on au ministère des Armées.
Au fond, le pragmatisme l’emporte chez les acheteurs, qui diversifient leurs approvisionnements, comme chez le vendeur qui veut consolider son industrie en Europe. Pour les ONG, la faiblesse des clients traditionnels du Golfe pourra constituer une bonne nouvelle, mais pour l’équilibre financier de l’industrie de défense, c’est l’inverse. La France dit avoir besoin des exportations d’armement pour maintenir son autonomie stratégique.
200 000 emplois
Les achats nationaux des armées sont, en effet, insuffisants à eux seuls pour financer le développement et l’entretien d’une base industrielle et technologique de défense de tout premier plan. Typiquement pour le Rafale, « la chaîne de production ne peut être viable qu’avec un minimum d’avions produits par an », précise le rapport au Parlement. Les enjeux économiques sont également importants, alors que le secteur de l’armement représenterait environ 200 000 emplois, de Bourges à Mérignac en passant par Toulouse.
L’Europe de la défense, prônée par Emmanuel Macron, répond en partie à ce besoin de partage des coûts, avec la mise en place de coopérations autour de l’avion de combat ou le char du futur. Mais la France plaide pour aller plus loin. « Le Covid-19 devrait accélérer la prise de conscience graduelle que la logique de souveraineté européenne est la bonne, ce qui implique une notion de préférence européenne », fait-on valoir au ministère des Armées.
En parallèle, la France se bat pour que le Fonds européen de défense, qui devait initialement être doté de 13 milliards d’euros, ne soit pas réduit comme peau de chagrin : après une première proposition à 6,5 milliards, les discussions tournent autour de 9 milliards.
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