Jet privé et passeport diplomatique, la saga du retour au Mali de Rokia Traoré

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Rokia Traoré lors d’une représentation de l’opéra « Didon et Enée », de Henry Purcell, mis en scène par Vincent Huguet au Festival international d’art lyrique d’Aix-en- Provence, le 3 juillet 2018.
Rokia Traoré lors d’une représentation de l’opéra « Didon et Enée », de Henry Purcell, mis en scène par Vincent Huguet au Festival international d’art lyrique d’Aix-en- Provence, le 3 juillet 2018. BERTRAND LANGLOIS / AFP

Il est 17 h 50 ce samedi 9 mai, à Bamako, quand un jet privé se pose sur l’une des pistes de l’aéroport international Modibo-Keïta-Sénou. Le bimoteur blanc avec de longues bandes rouges et grises sur le fuselage s’immobilise sur le tarmac brûlant de la capitale malienne. L’appareil, un Hawker 900XP immatriculé F-HFCS de la compagnie française Valljet, a décollé six heures plus tôt du Bourget, près de Paris, en dépit de la fermeture des frontières liée au coronavirus. A son bord a pris place la célèbre chanteuse et compositrice de nationalité malienne et française, Rokia Traoré. L’artiste de 46 ans, visée par un mandat d’arrêt européen émis par un juge de Bruxelles, est pourtant sous contrôle judiciaire en France, interdite de quitter le territoire, dans l’attente d’une éventuelle extradition vers la Belgique.

La brume de chaleur qui flotte sur l’aéroport de Bamako ne dissipe pas les ennuis judiciaires de la diva de la musique malienne. Cette dernière risque jusqu’à cinq ans de prison pour avoir refusé de remettre sa fille de 5 ans à son père, le dramaturge belge Jan Goossens, directeur artistique du Festival de Marseille. Mme Traoré s’oppose à la garde alternée décidée en 2019 par la justice belge. Car elle accuse son ancien compagnon, contre lequel elle a porté plainte – classée sans suite en Belgique –, d’attouchements sexuels sur l’enfant qui vit avec elle au Mali. A Bamako, son autre fils, âgé de 14 ans, se retrouve seul et son père, un citoyen français, avait décidé de le faire rapatrier. « En tant que mère, elle s’est retrouvée au cœur d’un double combat pour garder ses enfants. Elle a décidé de partir, qu’importe le prix à payer », explique un proche.

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Rokia Traoré ne se considère pas en cavale. « Ce n’est pas du tout son genre et elle s’est toujours présentée aux convocations de la justice », insiste-t-on dans son entourage. C’est pourtant en toute discrétion qu’elle doit organiser son plan de départ de Paris, en jet privé. La compagnie française Valljet, spécialisée dans les vols d’affaires à la demande avec un service sur mesure, semble capable de la transporter de l’aéroport de Paris-Le Bourget à Bamako. Selon des sites spécialisés, la location horaire d’un Hawker 900XP, un jet de taille moyenne, se négocie entre 3 600 euros et 4 000 euros, ce qui situe le voyage de Rokia Traoré à Bamako dans une fourchette de 22 000 euros à 24 000 euros, entièrement réglés, semble-t-il, par des amies. « Elle a bénéficié d’une incroyable chaîne de solidarité féminine », confient plusieurs de ses proches.

« Condition incertaine et vulnérable »

Interrogé sur la présence de Mme Traoré, Rokiatou de son vrai prénom, à bord de l’un de ses appareils le 9 mai, le directeur de Valljet, Grégoire Jourdain, ne confirme ni ne dément, « pour des raisons de confidentialité professionnelle ». Dans le milieu ouaté de l’aviation haut de gamme, le silence est d’or. « C’est la clé du succès », insiste le dirigeant d’une compagnie concurrente. Au point de s’efforcer de ne pas laisser de traces, même sur les sites spécialisés de suivi d’avions. Ainsi, étrangement, le vol Paris-Bamako du 9 mai opéré par Valljet n’apparaît nulle part, quand le trajet du jet privé utilisé fin décembre 2019 pour exfiltrer illégalement du Japon l’ancien PDG de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, Carlos Ghosn, était par exemple cartographié en temps réel sur la plupart des sites de « tracking » d’avions. Valljet n’a pas souhaité réagir sur ce point et le groupe ADP, opérateur aéroportuaire du Bourget, n’a pas donné suite à la sollicitation du Monde Afrique.

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Il n’en a pas fallu plus pour laisser libre cours à toutes les supputations. Une rocambolesque opération d’exfiltration menée conjointement par les services français et maliens ou par des agents privés au nez et à la barbe de la justice et de la police ? « Ce sont des galéjades, balaie du revers de la main le ministre malien des affaires étrangères, Tiébilé Dramé. Daprès tout ce qui nous a été rapporté, Rokia Traoré a effectué les procédures de départ sous son identité. Il ny a donc pas de comparaison possible avec laffaire Carlos Ghosn au Japon. »

En quittant Paris, ce 9 mai, Rokia Traoré présente, selon son avocat, son passeport diplomatique malien aux agents de la Direction centrale de la police aux frontières (l’ancienne police de l’air et des frontières). Ce document de voyage, dont Le Monde Afrique a obtenu copie, lui a été délivré le 28 novembre 2019 par le ministre des affaires étrangères, Tiébilé Dramé, qui confirme l’information. En Afrique, il n’est pas rare, en effet, qu’un Etat délivre un passeport diplomatique « de courtoisie » à des personnalités nationales ou, même, étrangères, dont l’activité contribue au rayonnement du pays. D’autant qu’outre sa renommée internationale d’artiste, Rokia Traoré fait également fonction d’ambassadrice de bonne volonté du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR).

Visée par un mandat d’arrêt européen, émis à la demande de la justice belge, pour « enlèvement, séquestration et prise dotages », cette icône des scènes internationales était devenue prudente. Elle prenait le soin depuis décembre 2019 de toujours voyager avec son passeport diplomatique sur lequel figure clairement la mention « artiste-musicienne », ainsi qu’une lettre de mission du gouvernement malien. Avant qu’elle n’entre en possession de ce précieux sésame, elle avait été brièvement interpellée, début novembre 2019, à Dakar, où elle se trouvait pour un concert. Après des vérifications auprès des autorités maliennes, elle avait été relâchée.

C’est donc tout naturellement avec son passeport diplomatique et munie d’une lettre officielle de mission qu’elle a quitté Bamako en toute confiance dans la soirée du 9 mars pour Paris, d’où elle devait rejoindre Bruxelles afin de répondre à une convocation judiciaire. A son arrivée dans la capitale française, à l’aube, elle est interpellée sur une passerelle de l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle par huit policiers. Direction le bureau du juge, puis la prison de Fleury-Mérogis, en banlieue parisienne. Ecrou no 456567. Une incarcération qui suscite l’indignation d’intellectuels et d’artistes notamment en Afrique de l’Ouest. « Cette affaire nous concerne en ce quelle rappelle notre condition incertaine et vulnérable qui que nous soyons face à la justice des pays du Nord », écrit l’économiste sénégalais Felwine Sarr qui dénonce un « scandale » et fustige la justice belge.

Un banal contentieux privé devient une affaire publique et se déplace sur le terrain diplomatique. Le gouvernement malien rompt le silence pour exprimer sa « solidarité » avec Rokia Traoré, précisant que « les services consulaires et diplomatiques sont mobilisés ». L’artiste sort de prison le 25 mars, affaiblie par une grève de la faim. Une libération sous contrôle judiciaire, pour cause de pandémie de Covid-19, en attendant sa remise à la justice belge.

« Elle ne s’est jamais cachée »

« Jusquau bout, on lui a dénié son statut diplomatique, dit Me Kenneth Féliho, l’avocat de la star franco-malienne. Elle avait pourtant par-devers elle une lettre de mission et devait prendre des contacts à Paris dans le cadre dun projet de numérisation des œuvres culturelles maliennes. C’était officiel et budgété. » Son confrère saisi par l’Etat malien, Me Kominé Bocoum, s’active pour faire valoir son statut de diplomate. Mais en vain. « Lors de laudience du 25 mars 2020, elle avait argué de limmunité diplomatique et la chambre de linstruction avait considéré que limmunité dont elle faisait part ne saurait sopposer à lemploi dune mesure coercitive », précise-t-on au parquet général.

La diplomatie malienne ne lâche pas sa ressortissante. En l’absence de l’ambassadeur, rappelé à Bamako pour avoir tenu des propos jugés « inacceptables » à Paris sur l’armée française au Mali, c’est le chargé d’affaires, El Hadj Alhousseyni Traoré, qui s’investit personnellement dans ce dossier d’importance aux yeux du pouvoir malien. Avant qu’elle ne trouve un logement, l’artiste a ainsi été hébergée à sa sortie de prison chez ce diplomate dans le XVIe arrondissement de Paris. Et chaque vendredi, elle allait pointer dans un commissariat à proximité. Cela a été encore été le cas, le vendredi 8 mai, veille de son arrivée dans la capitale malienne.

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Une fois à bon port, la musicienne officialise son retour sur sa page Facebook, ce qui rassure ses proches, euphorise ses fans et irrite les autorités judiciaires françaises et belges. « Après vérification, on s’est aperçus que le passeport [diplomatique malien] n’a pas été remis, contrairement à son obligation de contrôle judiciaire », indique le parquet général. « Elle ne s’est jamais cachée. Mme Traoré n’a pu décoller et voyager sous sa véritable identité sans autorisation de la France et du Mali », veut croire Me Feliho.

Selon Le Parisien, le nom « Rokiatou Traoré » ne figurait étonnamment pas dans les fichiers des personnes recherchées. Sollicité, Me Franck Berton, avocat de Jan Goossens, l’ancien compagnon de l’artiste et père de sa fille, n’a pas souhaité réagir. Il a réclamé l’ouverture d’une enquête de police pour élucider les conditions de ce départ. Le parquet général a demandé l’émission d’un mandat d’arrêt international. Sans doute est-ce pour calmer le jeu que le chef de la diplomatie malienne a reçu, lundi 18 mai, les ambassadeurs de France et de Belgique. Le ministre Dramé, lui, a annoncé dans la foulée qu’il invitait à Bamako l’ex-compagnon de Rokia Traoré et son avocat en vue de trouver une issue négociée à leur contentieux.

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