« Je vous écris d’une autre rive » : l’impensé oriental d’Hannah Arendt

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Livre. De son rocher de Carthage, Sophie Bessis est parfois saisie d’une furieuse envie, celle de gronder les icônes de son panthéon. Là, au pied de l’évêché de saint Augustin (un fils du Maghreb), elle a pensé un instant prendre la Méditerranée à témoin pour interpeller Rosa Luxembourg. Finalement, elle a préféré admonester Hannah Arendt (1906-1975). On ne le regrettera pas à la lecture de Je vous écris d’une autre rive, une longue lettre adressée à la philosophe allemande (naturalisée américaine).

Au fil de cette missive à l’exigeante tendresse, l’historienne franco-tunisienne qui, depuis quatre décennies, interroge la relation Nord-Sud, ne confesse sa dette à l’égard d’Arendt que pour mieux la chapitrer. « J’ai des choses à vous reprocher », tance-t-elle avec d’autant plus de verve que l’unanimisme en vogue autour d’Arendt ne lui rend, à ses yeux, pas justice.

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De sa « rive » de Carthage gorgée de lumière – et elle insiste sur le « fameux été » qui signe son « irréductible appartenance » – Sophie Bessis s’agace donc des biais de l’autrice de La Crise de la culture, et en particulier son eurocentrisme : « Vous êtes une Européenne incurable. » Les deux femmes – nées à quarante ans d’intervalle – ont en partage la judéité de leur naissance. Leur proximité tient aussi à la critique commune du « tragique dévoiement du nationalisme juif » dans le sionisme. Mais la connivence n’abolit pas un lourd malentendu. Sophie Bessis ne se console pas qu’Arendt, la juive du Nord, ignore à ce point l’existence des juifs orientaux.

Sortir du déni

Là, l’autrice révèle un peu de sa généalogie. « Je suis une “juivarabe”. Vous n’avez jamais entendu parler de nous. » Elle raconte donc : des grands-mères venues de Toscane – où les Séfarades chassés d’Andalousie trouvèrent refuge – et des grands-pères autochtones de Tunisie dont l’un faisait commerce du bétail avec la Tripolitaine et l’autre officiait comme « juif de cour » auprès du bey ottoman à Tunis. Ses parents, eux, étaient communistes et la jeune Sophie reçut une éducation internationaliste frottée aux combats émancipateurs de l’époque. Son « pluriel interne » brandi comme un totem.

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Elle décèle pourtant chez Arendt une occultation de cet héritage. « Vous, Européens, avez voulu l’oublier. » Oublier le rôle des Andalous – Maïmonide ou Ibn Rochd (Averroès) – dans la renaissance européenne. Annexer la Méditerranée à sa rive nord. Et véhiculer des préjugés comme ces connotations d’archaïsme assignées aux adjectifs « balkanique » ou « levantin ». Sophie Bessis appelle à sortir du déni. Elle exhorte l’Europe et l’Israël des Ashkhénazes à redécouvrir leur part d’Orient tout comme elle invite le monde arabo-musulman à assumer ses traces d’Occident et de judéité. Il faudra pour cela dépasser les nationalismes de tout acabit qui « tuent la diversité » et, au-delà, ce « mal à l’Autre » qui rabougrit l’horizon.

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