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Il est serein, mais le commissaire des prisons dit ne pas comprendre «l’effervescence» autour de l’interdiction de fumer dans l’enceinte des prisons. Sollicité par l’express, Vinod Appadoo a notamment donné la réplique à Xavier-Luc Duval. Lors d’une conférence de presse samedi, le leader du Parti mauricien social-démocrate a critiqué le commissaire des prisons. «Cela m’étonne, par exemple, qu’un leader de l’opposition réagisse ainsi», déclare le principal concerné.
Vinod Appadoo rappelle qu’il s’agit, avant tout, d’une recommandation de la commission Lam Shang Leen. Qui plus est, les détenus ont été avertis six mois avant la mise en application initiale de cette mesure. «Ti met lafis partou.» La mesure controversée sera désormais en vigueur à partir du 15 février au lieu du 1er février à la suite de la levée de boucliers de ceux qui sont contre. Mais à ce stade, pas question de revenir en arrière.
Autre point souligné par Vinod Appadoo est le fait que la quantité de cigarettes remise à chaque détenu fumeur a été réduite de façon progressive pour lui donner le temps de s’adapter à la situation. Quid de ceux qui ont du mal à sortir de cette addiction ? «Ils feront l’objet d’un suivi. Bann dokter prizon fini préparé pou sa.»
Les gardiens de prison ont également reçu l’ordre de ne plus fumer. «Je dois remercier les gardiens parce qu’ils collaborent et qu’ils ont accepté de faire ce compromis.» Vinod Appadoo concède qu’il craint que les détenus cherchent d’autres moyens pour se procurer des cigarettes. Mais il assure qu’il ne lésinera pas sur les moyens pour les en empêcher. «Nous avons fait beaucoup de sensibilisation. Tou pou korek.»
Soulagement pour les surveillantes
Pour les surveillantes de la prison des femmes à Beau-Bassin, l’interdiction du tabac dans le milieu carcéral est une nouvelle bien accueillie. La raison est simple : cela occasionnera moins de bagarres. Une gardienne dans cette prison depuis sept ans explique que les cigarettes étaient la cause principale des bagarres et des menaces. 75 % des détenues de cette prison étaient «dépendantes» à la nicotine avant la nouvelle mesure. Qui, dans la prison des femmes, est bien entrée en vigueur le 1er février.
«Les anciennes droguées, surtout, étaient les plus dépendantes», explique notre interlocutrice. Tous les matins, les «fumeuses», que ce soit celles en détention provisoire ou les condamnées, allumaient une cigarette avant d’aller travailler. «Celles en détention provisoire se réveillent à sept heures, alors que les condamnées sont déjà sur pied dès six heures du matin. N’ayant pas le droit de fumer dans les dortoirs, pendant qu’elles prenaient le thé ou même avant, pour certaines, elles allaient dans la cour pou al riss enn ler.»
Comme il est interdit de fumer durant les heures de travail, elles doivent attendre le déjeuner, à midi, pour leur(s) prochaine(s) cigarette(s). Comment les obtenaient-elles ? Avant le 1er février, il y avait deux façons légales de s’en procurer. La première, c’est que cela faisait partie du gain qu’obtenaient les prisonnières pour une semaine de travail. «Si elles avaient travaillé du lundi au vendredi, au lieu d’avoir de l’argent, elles avaient des cigarettes au détail. Les unskilled recevaient 12 cigarettes, les semi-skilled 14 alors que les skilled, elles, en avaient 16 au lieu d’une somme de Rs 65, Rs 90 et Rs 115 respectivement, sur laquelle sont déduits les Rs 35 que la prison met de côté pour leur donner quand elles partiront.»
La deuxième façon, c’est que leurs familles envoyaient de l’argent en passant par le bureau et la cantine se chargeait d’acheter des paquets de cigarettes pour ces détenues.
Toutefois, vu que certaines fumaient jusqu’à cinq cigarettes par jour, à un moment elles n’en avaient plus. Commençaient alors les chantages et les problèmes. «C’est là que l’on va vous dire que x ou y a échangé ses serviettes hygiéniques contre une cigarette. Ou que vous allez voir d’autres laver les vêtements d’une autre détenue. Ou encore que certaines marchent pieds nus et donnent leurs sandales neuves, que leurs familles ont apportées, contre un mégot.»
De plus, il existait une règle tacite entre elles. «Si enn madam pret enn sigaret so kamarad, la prosenn fwa li bizin rann li dé. Mem zafer pou bann bwat.» Si jamais l’emprunteuse ne rendait pas comme convenu, les menaces pleuvaient et que cela se terminait souvent par des coups.
«Nous devions toujours être sur nos gardes car à tout moment, à cause d’une clope, les choses pouvaient dégénérer. Certaines venaient même pleurer avec nous parce qu’elles avaient peur.» Des vols se produisaient aussi. «On avait souvent des cas où les détenues volaient des cigarettes dans la cellule des autres.»
Elle et ses collègues sont ravies de cette nouvelle mesure. «Il y aura moins de problèmes et nous le constatons déjà. Il est vrai que vendredi et samedi, certaines ont refusé de prendre le thé “comme grève” de cigarettes mais les choses vont mieux aujourd’hui. Il n’y a pas de rébellion.» Les prisonnières avaient tout de même été informées et préparées à cette éventualité par les officiers depuis la fin septembre.
Arrêter de fumer, tout est dans la tête…
«Si une personne accepte psychologiquement de cesser de fumer, ce sera plus facile pour elle d’en finir avec la nicotine», explique le Dr Ameenah Sorefan, consultante en charge de psychiatrie à l’hôpital Brown-Séquard. Toutefois, cette dernière et son confrère, le Dr Geeaneswar Gaya, révèlent qu’il est vrai que l’arrêt brusque de la cigarette peut causer chez certaines personnes des troubles. «Certains seront plus nerveux ou ne se sentiront pas bien dans leur peau», révèle le docteur Gaya. Cependant, ces psychiatres avouent que la meilleure façon de procéder avec les prisonniers fumeurs, c’est en les faisant suivre une cure de désintoxication.
La Prison Officers’ Association donne son soutien
«Il y a eu trop d’abus par rapport aux cigarettes.» Hanson Mungrah, le secrétaire de la Prison Officers’ Association, dit soutenir le commissaire des prisons concernant l’interdiction de fumer. «Nous sommes en désaccord avec Vinod Appadoo sur plusieurs sujets, mais la majorité des gardiens de prison ne sont pas contre le fait de faire ce compromis. Éna sertin ki pa dakor mé zot pa pou kapav manifesté. Nous sommes conscients que les prisonniers utilisent la cigarette comme un moyen pour faire d’autres transactions illicites en prison.»
Synonyme de monnaie
«Éna prizonié pa mem fimé, mé zot servi sigaret pou lézot transaksion.» C’est ce qu’affirme un ancien détenu à la prison de Beau-Bassin. Il raconte que des prisonniers qui souhaitent utiliser un téléphone portable par exemple vont vers les ‘chefs’ de la prison. «En retour, ils ‘paient’ avec les cigarettes qu’ils reçoivent. Les cigarettes sont également échangées contre de la drogue», explique-t-il. «Souvan, éna gardien prizon si ki ed fer bann trafik-la.» Pour notre interlocuteur, la mesure qui sera en vigueur à partir du 15 février ne changera rien. «Séki anvi fimé pou kontinié fimé. Zot pou zis trouv lézot mwayin pou fer li.»
Questions à…Vijay Ramanjooloo, psychologue clinicien
«Je crains les effets néfastes d’une telle politique…»
Que pensez-vous de la décision d’interdire la cigarette à la prison ?
D’après ce que j’ai pu comprendre, il y a eu tout un processus avant d’en arriver là. Je ne sais pas à quel point c’est vrai, mais il paraît qu’il y a eu une interdiction graduelle. Cependant, on parle là de dépendance. On est accro à la cigarette au même titre qu’à la cocaïne. Même s’il s’agit d’une interdiction graduelle, elle entraînera des effets assez perturbateurs chez les personnes addicted. Y a-t-il eu une prise en charge ou un programme d’éducation avant d’en arriver là ?
Vous avez siégé sur la Commission nationale des droits de l’homme et avez donc visité les prisons régulièrement. Que représente la cigarette pour les prisonniers ?
L’univers carcéral présente une énergie très particulière et assez conflictuelle par moments. Vous êtes privés de votre liberté et êtes complètement sous l’autorité de l’administration, la cigarette devient une échappatoire qui vous permet de déstresser. Malheureusement, c’est aussi une «monnaie», un moyen de payer pour des faveurs. Cela engendre plusieurs types de trafic. Quelle est l’idée derrière cette décision ? C’est flou. Ne serait-il pas mieux de faire les prisonniers arrêter de fumer par des moyens thérapeutiques au lieu d’utiliser la répression ? Je crains les effets néfastes d’une telle politique.
Interdire aux prisonniers la cigarette ne risque-t-il pas de provoquer des réactions, telles que des symptômes de sevrage ?
La dépendance au niveau de l’Organisation mondiale de la santé est perçue comme une maladie. Il s’agit d’un dérèglement hormonal et des troubles aux niveaux physique et psychique. C’est une véritable maladie. Il y a tout un protocole, tout un processus à respecter. Quand on parle de dépendance et qu’on arrache le produit de façon brutale, cela engendre des withdrawal symptoms (symptômes de sevrage, de manque). Lesquels provoquent frustration, colère et dépression. Dont le plus manifeste c’est la colère.
J’imagine qu’il sera dur pour les gardiens de gérer la population carcérale. Selon moi, sur dix détenus, au moins huit fument. Si l’administration pénitentiaire avait opté pour une prise en charge graduelle et individualisée, je n’aurais pas été inquiet. Quand on traite la problématique de la dépendance, il faut mettre en place un système de suivi psychologique. Ce qui me dérange le plus, c’est qu’on impose cette mesure.
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