« Il y a aujourd’hui un péril sur le vivre-ensemble sahélien »

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Des jeunes femmes fuyant les violences djihadistes dans le département de Dablo, au Burkina Faso, en mars 2019.
Des jeunes femmes fuyant les violences djihadistes dans le département de Dablo, au Burkina Faso, en mars 2019. Luc Gnago / REUTERS

Sur le continent européen comme dans les Etats de la bande sahélienne, la lutte contre le terrorisme entraîne une limitation des libertés individuelles. Bien sûr, on ne part pas du même point, mais le parallèle interpelle Seydou Ouédraogo, enseignant-chercheur à l’université de Ouagadougou, au Burkina Faso. Cette réaction qu’a connue la France au lendemain des attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan, à Paris, il l’observe à l’œuvre, de façon différente, dans les pays africains touchés par les attaques djihadistes, ou qui risquent de se trouver dans la zone d’extension de la menace.

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Or, aux yeux de cet économiste de formation, à la tête du groupe de réflexion Free Afrik, il faudrait au contraire que les sociétés civiles continuent d’avancer et gagnent encore bien des combats contre les inégalités pour que le terrorisme, qui se nourrit aussi des injustices sociales, puisse reculer. Les sociétés civiles sahéliennes pâtissent de se retrouver dans cette impasse alors que, durant les décennies passées, elles ont fait avancer leur pays.

A l’occasion des Dynamiques, un événement organisé à Ouagadougou le 14 février par l’association Res Publica (dont Le Monde Afrique est partenaire), le chercheur a souhaité mettre l’accent sur le nécessaire réveil des peuples africains pour contrer le terrorisme.

Le Sahel va mal. Pas une semaine sans que l’attaque d’un village ou d’une base militaire n’émaille l’actualité de la zone. Que font les sociétés civiles sahéliennes dans ce contexte ?

Depuis la crise du Mali en 2013, et même depuis la crise dans la Libye de Mouammar Kadhafi, deux ans auparavant, les pays du Sahel font face au défi majeur du terrorisme, qui a conduit à une grande insécurité et menace même les Etats de dislocation. L’existence des Etats sahéliens est comme jamais remise en cause, alors même que les sociétés civiles de ces pays avaient durant des siècles été productrices d’un très grand humanisme. Ce vivre-ensemble, qu’elles avaient été capables de produire, est aujourd’hui gravement mis à mal.

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Lorsque les Etats sont en très grande difficulté, les partis politiques restent arrimés à un agenda électoral et les sociétés civiles se trouvent face au défi majeur de développer leur agenda de lutte dans un contexte restreint par la recherche du couple paix-développement.

Il est effectivement très difficile de se battre pour un changement, quel qu’il soit, dans un contexte de guerre…

Oui, c’est ce que nous observons aujourd’hui. Au Nord comme au Sud, le terrorisme produit la casse des libertés individuelles. Et ce schéma se complique encore lorsqu’on comprend que le non-développement à l’origine des injustices est justement l’un des moteurs du terrorisme.

Les défis que doit relever la société civile sont donc les mêmes au Nord et au Sud ?

N’oublions effectivement jamais que les premières luttes anticoloniales ont pris corps dans la métropole. Nord et Sud, Sud et Nord sont liés…

Mais pour l’heure, il y a un péril sur le vivre-ensemble sahélien qui, plus que jamais, a droit de se mettre à hauteur de l’histoire. Or on observe que la société civile a sur cette zone une base trop urbaine qui empêche que les demandes de l’éleveur ou du paysan trouvent un écho sur la place publique. Le drame des campagnes n’est pas assez rappelé. On passe sous silence ses revendications pour une vraie politique agricole, un accès à la terre pour ceux qui la cultivent, et le respect des zones traditionnelles pastorales.

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Cette composante non urbaine de la société civile a droit à une parole propre. Et pour cela, il nous faut construire une société plus sociale, plus inclusive, à même de faire entendre une voix qui ne soit pas seulement celle des élites urbaines.

Les problématiques de la zone du Sahel doivent-elles dépasser les frontières et être portées au niveau régional ?

Le Mali est touché, mais aussi le Niger et le Burkina. Cela montre bien que nous avons le devoir de bâtir une dynamique qui dépasse les frontières des pays, qui souligne les lignes de force des problèmes régionaux.

Et le rôle de l’aide au développement dans tout cela ?

Là, ma ligne est très claire : le financement extérieur des sociétés civiles crée forcément une asymétrie, un déséquilibre. Je considère qu’un financement endogène est plus exigeant et de ce fait doit être privilégié.

Quel qu’ait été leur financement, les sociétés civiles d’Afrique de l’Ouest ont mené de nombreux combats ces dernières décennies…

Pour bien comprendre le rôle des sociétés civiles ici, il faut passer par une analyse historique de leur émergence. Ces trois dernières décennies, nous avons été arrimés à un agenda de lutte. Je ne repars pas des luttes pour la décolonisation, même si, bien sûr, elles restent fondatrices. Mais à la fin des années 1980, une phase de lutte a pris corps autour de la démocratie, permettant de parvenir dans plusieurs pays à une ouverture du jeu politique sur le multipartisme.

Vous nous clarifiez cette étape ?

Vu de France, on a l’impression que le discours de La Baule de François Mitterrand [20 juin 1990] a ouvert les possibles en liant l’aide publique à une « démocratisation » par un passage au « multipartisme ». Mais à mon avis, l’ouverture c’est nous qui l’avons faite.

Regardons le nombre de militants qui sont morts pour qu’advienne un peu de démocratie, que ce soit au Mali, au Bénin ou, ici, au Burkina, pour ne citer que quelques exemples. Cela n’a pas été simple d’avancer vers une conférence nationale au Bénin. Or, ça a été un moment de renouvellement de la vie politique. Car c’est là qu’on a décidé de réécrire le contrat constitutionnel et d’ouvrir vers le multipartisme.

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C’est dans ce cadre aussi que l’on a pu se battre pour la mise en place d’une commission électorale autonome et des institutions indépendantes. Ces points ont bel et bien été obtenus par le combat des sociétés civiles ouest-africaines ou de la zone du Sahel.

Mais, dans les années 2000, on est passé à un autre combat, non ?

Oui. De nouvelles attentes se sont fait jour. La multiplication des manifestations de mécontentement contre la vie chère, à cause de la hausse du prix des produits de base dans la sous-région, met en évidence un agenda nouveau pour une société civile qui veut donner à ses revendications un contenu économique. Cette demande est à mettre en lien avec la réforme du code minier au Burkina, par exemple. Mais aussi avec les manifestations contre le prix élevé du pain ou de l’électricité aujourd’hui au Sénégal. On voit bien qu’on a la succession de deux générations de luttes qui en définitive se rejoignent.

En quoi y-a-t-il une jonction ?

Tout simplement parce qu’aujourd’hui, il ne peut y avoir de respect des libertés individuelles sans un minimum de développement économique et il faut être passé par la première étape pour porter le combat vers une plus grande équité économique. C’est ce que nous voyons en Afrique de l’Ouest aujourd’hui avec des mouvements qui montrent bien qu’il faut tenir les deux bouts.

En Guinée, on observe d’ailleurs comment s’entrechoquent les manifestations contre l’augmentation du prix de l’électricité ou pour un meilleur accès à la santé avec la contestation d’un troisième mandat du président Alpha Condé. Au Sénégal, où le mouvement pour les droits civils est plus avancé, on observe une lutte pour une plus grande liberté économique.

Quant à l’exemple du Bénin, il nous montre que rien n’est jamais définitivement acquis. Le Bénin reste le pays qui a ouvert le ballet des conférences nationales, mais c’est aussi celui où, aujourd’hui, la première fortune du pays est aussi celui qui occupe la magistrature suprême. Et on voit comment la jonction de l’économique et du politique gêne l’avancée de la société civile.

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