« Il faut amener l’Egypte vers une période de transition dont M. Sissi serait écarté »

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Amr Darrag, ex-ministre de Mohamed Morsi et ancien membre des Frères musulmans, plaide pour une sortie de crise sous l’égide de la communauté internationale. Il répond au « Monde » lors d’un passage à Paris.

Propos recueillis par Publié aujourd’hui à 10h54

Temps de Lecture 5 min.

Au Caire, le 21 septembre.
Au Caire, le 21 septembre. AMR ABDALLAH DALSH / REUTERS

Ministre du plan et de la coopération internationale dans le gouvernement du président islamiste Mohamed Morsi, qui a été renversé par l’armée en juillet 2013, Amr Darrag a échappé à la dure répression lancée par le maréchal Abdel-Fattah Al-Sissi contre la confrérie des Frères musulmans, classée organisation terroriste en Egypte. Exilé en Turquie, cet ingénieur de formation de 60 ans a quitté la confrérie islamiste il y a trois ans, du fait de divergences de vue avec sa direction désormais en exil, et a fondé l’Institut égyptien pour les études politiques et stratégiques. De passage à Paris, Amr Darrag a plaidé pour un soutien de la communauté internationale à une transition à la tête de l’Etat égyptien, excluant le président Sissi, mais aussi la confrérie des Frères musulmans.

Comment analysez-vous le mouvement de contestation apparu en Egypte le 20 septembre ?

Quand Mohamed Ali a commencé à diffuser ses vidéos, il m’est apparu clairement que quelqu’un était derrière lui. Son discours suivait une logique soigneusement élaborée : d’homme pourchassé par l’armée, il est rapidement passé au registre de la dénonciation de la corruption, puis à l’appel à la chute du régime. Par ses insultes, du jamais-vu en Egypte, il a cherché à détruire l’image du président Sissi auprès du public égyptien comme de l’institution militaire. Il faut savoir aussi que l’Espagne, où il est exilé depuis un an, est le refuge de toute la clique de l’ancien président Hosni Moubarak, hommes d’affaires comme officiers. Ce soutien est devenu plus manifeste avec la contestation du 20 septembre : alors que plus aucune manifestation n’était possible depuis des années, des protestations ont émergé au moment même où M. Sissi était en vol pour les Etats-Unis…

La direction militaire a hésité à se positionner pour ou contre M. Sissi. Selon mes informations, une partie du renseignement militaire est mécontente de la mauvaise image dont pâtit l’armée à cause de M. Sissi. D’autres sont mécontents de la dictature et de l’absence de partage au sein du régime. Les renseignements généraux, qui avaient le contrôle sous le président Moubarak, ont été mis à l’écart et placés sous la direction de proches de M. Sissi, l’un de ses fils et le général Abbas Kamel. Ces mécontents ont initié un mouvement contre M. Sissi pour convaincre l’armée de l’écarter.

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Pensez-vous que le président Sissi joue sa survie politique ?

La menace était à son paroxysme le 20 septembre, mais elle s’est dégonflée quand le président américain Donald Trump lui a exprimé son soutien, à New York. La vague d’arrestations massives de figures de l’opposition a eu lieu dans la foulée. Le soutien des Etats-Unis, de la France et d’Israël a été décisif pour le président Sissi, parallèlement à la répression en interne. Mais, ce soutien est risqué : M. Sissi s’en est peut-être sorti cette fois, mais ceux qui sont derrière Mohamed Ali sont toujours là. La dépression et la déception générales de la population sont loin d’être apaisés. M. Sissi ne bénéficie plus du large soutien qu’il avait auparavant. Les représentants étrangers reconnaissent qu’il est un dictateur et qu’il porte atteinte aux droits de l’homme, mais ils arguent qu’il faut un homme fort pour stabiliser l’Egypte face au risque de chaos. Ces événements ont montré que le régime de Sissi n’est pas aussi fort que cela ; qu’il est fragile de l’intérieur et miné par des forces qui veulent sa chute.

Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et son homologue égyptien Sameh Choukri, le 17 septembre au Caire.
Le ministre français des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, et son homologue égyptien Sameh Choukri, le 17 septembre au Caire. Maya Alleruzzo / AP

Ce désir de stabilité est aussi très fort chez les Egyptiens qui, dans leur majorité, ne souhaitent pas un nouveau soulèvement…

Ce sont des émotions mêlées que je partage. J’aimerais moi-même, d’une part, voir émerger un large mouvement de protestation qui pousse M. Sissi au départ. Mais, d’un autre côté, on n’est pas dans la situation de 2011, il n’y a pas de leaders du mouvement et le moteur est avant tout économique. Les Frères musulmans sont faibles et ne peuvent plus mobiliser sur le terrain. Les jeunes sont sceptiques, tout comme les leaders de la révolution de 2011. Si le mouvement s’élargit, il pourrait devenir hors de contrôle et mener au chaos.

Trois scénarios sont possibles. Premièrement, que M. Sissi maintienne son contrôle avec une poigne de fer, ce qui n’est viable qu’à court terme et pourrait se retourner contre l’armée au sein de la population. Deuxièmement, le chaos. Je pense qu’aucun camp n’a envie de cela. Troisièmement, l’Egypte pourrait être amenée vers une période de transition où M. Sissi serait écarté au profit d’un organe qui regroupe les bons éléments des régimes de Moubarak et de Sissi, et des figures de l’opposition, sur le modèle du Soudan. Cela ne peut avoir lieu que sous le parrainage de la communauté internationale.

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Je n’appelle personne à intervenir. En revanche, la communauté internationale doit cesser d’apporter un soutien financier inconditionnel à M. Sissi. Ça ne fait que retarder l’explosion à venir, qui aura par ailleurs pour effet de pousser vers l’Europe des milliers de migrants. Ce soutien doit être conditionné à un plus grand respect des droits de l’homme.

Dans ce dernier scénario, que vous appelez de vos vœux, les Frères musulmans ont-ils leur place ?

Non, ils ne sont plus un mouvement doté d’un pouvoir effectif : depuis la répression, il n’y a plus de direction en Egypte. Le mouvement est divisé et il a perdu toute crédibilité aux yeux des Egyptiens, à cause des erreurs commises au pouvoir, qui n’étaient pas toutes de leur fait, et pour s’être trop impliqué en politique. La direction n’a par ailleurs aucune confiance en personne : ni en l’opposition, ni en ceux qui la soutiennent et notamment la jeunesse. C’est une des raisons qui m’avaient fait quitter le mouvement.

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La situation est difficile pour les Frères musulmans, ça a été une sorte de suicide. Ils n’échapperont à leur marginalisation qu’en opérant des réformes internes : un changement de direction, la fin de la structure pyramidale du mouvement et une place plus grande aux femmes et aux jeunes. Ce n’est pas ce vers quoi semble s’orienter la direction actuelle. Si les choses changent drastiquement, il faut laisser la jeune génération, dont émerge une classe de jeunes réformistes progressistes, prendre la direction. Quoi qu’il en soit, une alternative en Egypte doit inclure les islamistes, qu’une majorité d’Egyptiens soutiennent. Mais il faut de nouveaux visages, de nouvelles idées en affiliation avec les aspirations du dernier mouvement de contestation.

Place Tahrir Square, en 2017.
Place Tahrir Square, en 2017. Nariman El-Mofty / AP

Pensez-vous une réconciliation possible entre les Frères musulmans et le régime ?

Sous le président Moubarak, les Frères musulmans ont toujours travaillé dans le cadre défini par le régime. Même lors de leur expérience du pouvoir, je réfute l’idée qu’ils aient essayé d’exclure les autres forces et de modeler l’Etat à leur image, d’en faire une extension de la confrérie. Mais, il n’y a aucune réconciliation possible aujourd’hui avec le régime, simplement parce qu’il ne tolère aucune autre force que lui. Le degré de répression contre les Frères musulmans et les autres forces de l’opposition est aussi allé bien au-delà de l’acceptable. Les gens veulent désormais le départ de M. Sissi.

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