Grippe aviaire 2021-2022 : que faut-il savoir ?

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10 millions de volailles ont été abattues dans l’Hexagone depuis le mois de novembre 2021.

Au 12 avril, elles étaient quatorze millions. Quatorze millions de volailles abattues en France depuis le mois de novembre pour cause de grippe aviaire. Des canards, principalement. Énormément de poulets, et la quasi-totalité des pintades. Jamais, depuis que la maladie décime régulièrement les élevages, l’hécatombe n’avait été aussi destructrice. Une horreur sanitaire, financière et psychologique pour les éleveurs, parfois contraints d’euthanasier et d’enterrer eux-mêmes leurs bêtes dans des conditions épouvantables, faute de pouvoir attendre les services vétérinaires débordés.

Le H5N8, du nom de la souche actuellement à l’oeuvre, est redoutable. Non seulement il a davantage contaminé la faune sauvage que d’habitude, mais en plus il met deux semaines à se développer (contre quelques jours habituellement) avant que les animaux infectés ne présentent de symptômes, permettant à la maladie de se diffuser à bas bruit. Scientifiquement, même si tout le monde utilise le nom de « grippe », il s’agit d’ailleurs en fait d’une influenza aviaire : le nom de grippe étant réservé aux maladies qui touchent les humains. Ce qui n’est heureusement pas le cas du virus en France, pour le moment du moins (un cas a été relevé au Royaume-Uni cet hiver).

Très contagieuse, elle est véhiculée par les oiseaux migrateurs mais contamine très rapidement les oiseaux « domestiques » et entraîne parmi eux une mortalité élevée. Pour tenter d’enrayer la contagion, toutes les volailles sont confinées depuis l’automne, et des élevages entiers sont détruits de manière préventive dans les zones où des infections ont été constatées. Et c’est là que le bât blesse. Contraints de tuer des bêtes parfois en parfaite santé, et de mettre en danger la survie même de leurs entreprises, les « petits » éleveurs ont l’impression de payer pour les « gros ». Et inversement.

La France est le 3e producteur de volailles de l’Union européenne derrière la Pologne et l’Allemagne.

« Le coeur du problème n’est pas les oiseaux migrateurs, soutient Pascal Sachot, porte-parole de la Confédération paysanne de Vendée, où se situe la moitié des élevages infectés. C’est la concentration ahurissante d’élevages industriels sur une toute petite partie du territoire. Le virus se transmet par contact direct entre oiseaux, ou par contact indirect à travers des véhicules, du matériel, des personnes… Dans un élevage autarcique, où les volailles naissent, s’ébattent, vivent et meurent, il y a très peu de contact avec l’extérieur. Dans les élevages industriels de dizaines de milliers de volailles, les animaux sont sans cesse manipulés et transportés. Ils peuvent monter quatre fois dans un camion en quelques semaines. C’est autant de possibilités d’être infectés ! »

Sur le gigantisme, le premier cas d’influenza détecté cette année semble lui donner raison : il est survenu dans un élevage du Nord de… 160 000 poules pondeuses. À l’inverse, les éleveurs industriels soupçonnent les plus petits de négligence coupable. « Nous avons l’habitude des procédures à respecter, c’est l’ADN du métier, affirme-t-on du côté des grands groupes. Entrer et sortir d’un bâtiment en respectant des règles de biosécurité, cela s’apprend. Changer de bottes et de tenue en entrant dans l’élevage, se laver les mains, désinfecter systématiquement son matériel, ne pas échanger de matériel avec son voisin sans précaution, stocker la paille à l’abri des oiseaux migrateurs… Nous, on sait faire. »

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Poulailler au jardin

Et mon petit poulailler ?

Les particuliers qui possèdent quelques poules dans leur jardin sont également pointés du doigt. Ils sont soumis aux mêmes règles de biosécurité (enfermement ou mise à l’abri sous filet de leurs oiseaux).

55% des volailles consommées en France sont françaises.

Depuis le 5 novembre, le ministère de l’Agriculture a imposé le confinement des volailles 24 h sur 24, à moins de placer un filet de protection pour empêcher tout contact avec d’autres volatiles. Gare aux éleveurs qui s’entêteraient à garder leur cheptel à l’air libre : ils encourent une amende de 750 € par animal et… par jour ! « Nos volailles de plein air ne sont pas faites pour ça !, fulmine Denis Perreau, secrétaire national de la Confédération paysanne. On nous applique le même traitement qu’aux géants du secteur. C’est totalement inadapté ! » La « Conf’ » a bien essayé de plaider auprès des services de l’État pour un traitement différencié en fonction de la taille des exploitations. En vain.

Cet hygiénisme est un non-sens. Enfermer des milliers de bêtes ensemble, c’est l’exact contraire de ce qu’on a fait pour le Covid !

Stéphane Tibolla, éleveur et directeur des Bios du Gers.

 

Divertir les poules

Les éleveurs tentent de s’adapter comme ils peuvent. À Ingrandes-de-Touraine, Gabriel Simon a troqué la litière de paille contre des copeaux de bois plus absorbants. « J’ai aussi ajouté des minéraux et des vitamines pour suppléer l’herbe, installé des ficelles pour qu’elles jouent avec et posé des ampoules plus lumineuses pour remplacer la lumière du jour », énumère-t-il. Enfin, pour préparer l’avenir, il a remplacé une partie de ses volailles par… des agneaux. En revanche, il s’est refusé à demander une dérogation aux services vétérinaires pour laisser sortir ses bêtes : « C’est trop de paperasse et de dépenses, sans garantie de résultat. »

Payer pour les dérogations

Les exceptions à la claustration sont en effet rarissimes. Pour demander une dérogation, il faut payer la visite d’un vétérinaire (300 € environ) qui doit constater que la sortie est la condition sine qua non du bien-être des animaux. Et, si la dérogation est accordée, c’est sur 1 m2 au lieu de 4 pour les poules élevées en plein air. Avec 15 m2, les volailles de Bresse s’en sortent un peu mieux. Encore doivent-elles attendre dix semaines, au lieu de cinq habituellement, le droit d’apercevoir un bout de ciel. Avant cela, c’est confinement obligatoire depuis leur naissance. Le tout, alors qu’il n’y a jamais eu le moindre cas d’influenza sur l’appellation. « Cet hygiénisme est un non-sens. C’est l’exact contraire de ce qu’on a fait pour le Covid ! », proteste Stéphane Tibolla, éleveur et membre de l’association Les Bios du Gers. « On enferme des milliers de bêtes et on leur interdit de sortir, alors que pour nous les seuls regroupements autorisés étaient en plein air ! »

Constater les dégâts

Les éleveurs constatent que leurs bêtes souffrent terriblement de la claustration. « Les poulets grandissent moins vite », témoigne Gabriel Simon. « Leurs crêtes sont moins rouges », constate Stéphane Tibolla dans le Gers. « Ils deviennent agressifs, se battent, se piquent ou se griffent, appuie Katy Molière, responsable de la communication des Volailles de Bresse. Non seulement ils sont mal en point, mais les bêtes abîmées ne peuvent plus être vendues sous le label Bresse, et sont commercialisées à 50 % de leur valeur. »

  1. Réduire le nombre d’animaux élevés et les transports.
  2. Relocaliser les outils de production et de transformation.
  3. Développer l’autonomie des systèmes, comme des abattoirs mobiles et des poulaillers installés dans des cabanes mobiles, pour éviter la stagnation qui favorise le développement des maladies.
  4. Favoriser la diversification des élevages sur tout le territoire, pour éviter les spécialisations comme le porc en Bretagne, les canards dans le Sud-Ouest, etc.
  5. Instaurer la vaccination des volailles. Deux vaccins sont actuellement en attente d’autorisation de mise en marché. Mais partisans et opposants s’écharpent. La majorité des éleveurs français y sont favorables. Mais les pays importateurs de nos volailles, Japon et Corée en tête, s’y opposent. Leurs arguments : d’une part, la vaccination ne permet pas de distinguer les oiseaux vaccinés des oiseaux infectés (puisque tous paraissent en bonne santé) et d’autre part, elle n’empêche pas la propagation du virus par les oiseaux infectés qui restent donc contagieux.

L’épidémie de grippe aviaire progresse-t-elle ?

Elle a d’abord touché la façade atlantique, mais elle progresse à l’intérieur des terres. Près de la moitié des dix millions d’animaux euthanasiés viennent des Pays de la Loire. La moitié des élevages infectés sont en Vendée, le deuxième plus gros pourvoyeur français de volailles après la Bretagne, où les premiers foyers d’infection sont apparus en Ille-et-Vilaine, dans le Morbihan puis le Finistère fin mars. Début avril, des foyers sont apparus en Seine-Maritime puis en Dordogne, qui n’avait pas connu d’épizootie depuis 2016.

Va-t-on vers une pénurie de volailles et de foie gras ?

Côté canards, c’est l’hécatombe. Plus de 4 millions de palmipèdes ont été tués depuis le début de l’épidémie cet automne, venant s’ajouter aux trois millions déjà décimés l’an dernier. Avec d’évidentes conséquences sur la filière foie gras. Les restaurateurs sont consternés : « Je n’ai plus ni magret ni foie gras, c’est très compliqué ! », se désolait en mars Stéphane Reynaud, à la tête du bistrot parisien Oui, Mon Général ! « L’offre est réduite de 35 % », estime Éric Humblot, directeur de MVVH, qui regroupe les marques Delpeyrat, Comtesse du Barry, Delmas et Sarrade.

Les prix vont-ils augmenter ?

« Entre la flambée du prix des céréales et de l’énergie, la grippe aviaire qui réduit drastiquement le nombre de volailles et les mesures de biosécurité que les éleveurs doivent mettre en place, oui, il faut s’y attendre », confirme Éric Humblot. Dans quelle proportion ? Impossible à dire encore, mais une hausse de 10 % semble inéluctable, et il n’est pas improbable qu’elle soit bien supérieure.

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Modes d'élevages des poules

 

Depuis l’automne, les volailles peuvent arborer la mention « de plein air » même si elles n’ont pas (ou presque pas) vu le jour. Les labels de qualité (Label Rouge, Label Plein Air, Agriculture Biologique, etc.) restent valides alors même que les volailles sont claustrées ; idem pour les oeufs.

« Pour éviter d’avoir à changer tous les emballages, le règlement européen autorise depuis 2008 de continuer à afficher ces mentions pendant seize semaines au cas où il faille enfermer les poules, explique Pascal Sachot. Mais cette année, les décrets ont été prolongés… sine die. L’an dernier, les volailles sont restées enfermées neuf mois, et on est partis pour la même chose cette année ! » Gênée aux entournures, l’Anvol, l’interprofession des volailles, nuance le propos. « Il n’y a pas tromperie puisqu’il y a une possibilité pour les volailles de sortir » (en payant la visite vétérinaire, et à condition que celui-ci délivre l’autorisation), souligne Yann Nédélec, le directeur de l’Anvol.

Pour informer le consommateur, c’est aux commerçants d’indiquer que les volailles ne sont plus élevées en plein air, à l’entrée des magasins et dans les rayons concernés (y compris sur les sites de vente en ligne). Une obligation très peu suivie, et encore moins contrôlée. Pour la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), qui défend les élevages de taille modérée, « il s’agit de graves tromperies pour les consommateurs, et d’une rupture fondamentale du pacte de confiance entre producteurs et consommateurs. On travaille depuis des années à rétablir ce lien, mis à mal par des scandales comme ceux de la vache folle ou de la viande de cheval vendue comme du boeuf, et il est à nouveau mis en danger par des industriels. On n’en peut plus. »

La France est le premier producteur d’oeufs dans l’Union européenne. En 2020, elle a fourni 15,7 milliards d’oeufs, tous types d’élevages confondus : cage, sol, plein air, bio… En ce moment, les 45 % étiquetés Plein air, Label Rouge ou bio ne sont pas étiquetés n° 2 comme ils le devraient, mais toujours 0 ou 1. Car, afin de leur éviter d’avoir à changer tous les emballages, ce n’est pas aux producteurs d’indiquer que les poules sont momentanément claustrées, mais aux commerçants d’informer les clients via des panneaux en rayon. Confrontée au même problème, la Belgique a imaginé l’an dernier une parade : l’apposition d’une pastille « Pour me protéger, je ponds à l’abri ». Reste qu’il s’agit encore d’un coût supplémentaire à la charge de la filière…

La pénurie, elle, est déjà bien réelle. Au 31 mars, Ovocom, le principal négociant français, alertait déjà : « ce n’est plus une question de prix ni de catégorie d’oeufs mais plutôt une question de disponibilité… Il n’y a quasiment plus de spot sur le marché ! Le moindre camion part sans discussion. Nos industriels français sont obligés d’importer, faute de marchandise, et font monter les prix de nos voisins européens qui du coup suivent le mouvement. Nos clients ont peur de manquer d’oeufs dans les 6 mois à venir. » Et la situation ne risque pas de revenir de sitôt à la normale : s’il faut respecter un délai de carence sanitaire de désinfection, « les poussinières ne seront pas toutes disponibles, avertit Maxime Chaumet, secrétaire général de l’interprofession française des oeufs (CNPO). Et ensuite il faut 18 semaines pour qu’une poule soit en âge de pondre… »

Une claustration prolongée supposerait la fin des élevages bio… C’est la grande crainte de tous les éleveurs de volailles bio. Les professionnels réagissent.

  • Nathalie Durand, de l’association Sauve qui Poule appelle à la mobilisation : « Consommateurs, chefs… c’est vous qui ferez bouger les lignes. Si chacun met un euro de plus par volaille achetée, c’est toute la chaîne qui peut se transformer ultra vite pour que nos bêtes vivent mieux, et que nous mangions mieux. »
     
  • « Il faut de l’élevage de bon sens, abonde le chef Stéphane Reynaud (Oui, Mon Général !, à Paris). J’ai envie de manger, et de donner à manger, des choses saines. La volaille telle qu’elle est élevée en ce moment, ça ne m’intéresse pas, je n’en sers plus. Dans quelques mois, si les choses sont revenues à la normale, ce sera avec plaisir. »
     
  • Même son de cloche du côté du pape de la cuisine de volaille, le chef Antoine Westermann. Longtemps auréolé de trois étoiles au Buerehiesel, à Strasbourg, il est désormais à la tête de Coq & Fils, à Paris. En cinquante ans de carrière, il a eu le temps de se forger une opinion. « Il y a un vrai problème en ce moment. Je ne suis pas inquiet pour les volailles que je sers : je sais d’où elles viennent, je vais voir très souvent les éleveurs. Elles sont très bien traitées. Mais je vois bien qu’elles souffrent. Hier, j’ai goûté des pintades qui n’avaient pas le goût que je leur connais, comme si on avait oublié de les saler, parce qu’elles n’ont pas picoré dehors la même herbe que d’habitude. Un animal malheureux ne peut rien donner de bon. Plus on gâte ceux qui finissent un jour dans nos casseroles, plus ils nous donnent en retour. » À nous de jouer !