Génération Poutine

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Publié aujourd’hui à 11h51, mis à jour à 12h20

L’initiative d’une réforme de la Constitution russe de 1993 a été prise par Vladimir Poutine, le 15 janvier, au nom des « changements » réclamés selon lui par le peuple russe. La mesure la plus importante, qui fait l’objet d’un référendum, permettrait à l’actuel président, au pouvoir depuis 2000, d’y rester après 2024, ce qui lui était auparavant interdit. Le scrutin, qui se déroule en pleine crise due au coronavirus, doit s’achever mercredi 1er juillet.

En 2000, le photojournaliste Julien Daniel entamait un projet sur la ville de Moscou. Pendant une dizaine de jours, il avait arpenté ses rues, de rendez-vous en rendez-vous, pour rencontrer et interroger des habitants sur leurs espoirs, leurs peurs, leurs attentes avec l’arrivée de ce tout nouveau président issu des rangs du FSB (l’ancien KGB), les services de sécurité russes.

Vingt ans plus tard, il a choisi de ne photographier que ceux que l’on pourrait appeler « la génération Poutine » : des jeunes gens de 20 ans qui n’ont pas connu d’autre président. Il les a interrogés sur leur relation à Moscou, sur leurs aspirations, leurs projets, ainsi que sur leur vision de la société et de la politique.

Dans le métro moscovite, en février.
Soirée entre jeunes russes, à l'occasion d'un anniversaire.
A l'intérieur du bar Yuznaya Ryumochnaya, dans la pièce réservée aux fumeurs. A gauche, Anatoly, au centre son ami Fedhya.

Mira, 20 ans, étudiante à la Higher School of Economics :
« Les jeunes de mon âge sont plus méfiants avec les informations officielles »


« Avec l’influence d’Internet, la jeune génération ressemble peut-être davantage aux autres Européens. Les jeunes de mon âge sont plus méfiants avec les informations officielles, transmises par la télévision, par exemple. Je pense qu’on est juste au début d’un grand changement qui sera porté par notre génération. Récemment, j’ai lu Karl Marx, qui dit que les changements profonds ne peuvent venir que de la révolution. Notre président ne voudra pas quitter le pouvoir dans les cinq ou dix ans à venir. Il y aura ensuite des gens pour poursuivre son travail. Si on veut des changements radicaux, il faudra agir. L’opposition dans ce pays n’est pas suffisante, nous n’avons que Navalny, et ce n’est pas suffisant. Nous avons besoin d’une personne ou d’une organisation avec plusieurs personnes pour porter le projet de l’opposition. La prochaine élection ressemble à une fiction, je ne suis pas sûre que cela servira à quelque chose d’aller voter. »

Paysage enneigé, près du terminus de la ligne de métro 12, Buninskaya Alleya, au sud de Moscou.
Dans une boutique de souvenirs de la rue Arbat.

Sacha, 21 ans, étudiante en sinologie : « Les jeunes sont plus libres à Moscou qu’ailleurs dans le pays »

« Je viens d’une petite ville du nord de la Russie où il n’y avait rien. Pour moi, il y a tout à Moscou, c’est la meilleure ville du monde. Je vis ici depuis 2016. Moscou, c’est la vie. Les jeunes sont plus libres ici qu’ailleurs dans le pays. Poutine ? C’est le seul président que j’aie connu. Il y aura une révolution dans cinq ans, peut-être, avec la génération qui arrive. »

Dans un appartement vers le métro Joulebino, à l'est de l'agglomération moscovite.

Fedya, 23 ans, artiste : « Je n’irai pas voter, je ne sais pas à quoi ça sert » / « Poutine est un homme politique talentueux »

« Je fais de la musique et j’écris de la poésie. J’ai passé un an à étudier la littérature française. J’étais un mauvais élève. J’ai travaillé comme livreur, comme serveur dans les bars. J’aimerais faire quelque chose d’incroyable : un festival indépendant, qui ne soit pas contrôlé ou dirigé par l’Etat. Dans la société, il y a de moins en moins d’argent pour la majorité des gens. Malgré tout, les Russes conservent leur bonne humeur. Quant à Poutine, c’est un homme politique talentueux. Ce n’est pas un président, c’est devenu un mode de vie. Nous devons juste l’accepter. Mais je n’irai pas voter, car je ne sais pas à quoi ça sert. »

Métro Arbatskaya, au centre de Moscou. Passant dans les escaliers d'un passage sous-terrain.

Mikhail, 17 ans, programmeur et étudiant : « Je souhaite qu’il y ait plus de restrictions, plus de contrôle à nos frontières »

« Je ne crois pas à une révolution. Les idées que je défends peuvent être répandues malgré Poutine. Nous avons un problème avec l’immigration du Moyen-Orient. Premièrement, elle a un impact négatif sur l’économie. Ensuite, elle amène de la criminalité. Troisièmement la “race russe” est diluée par les mélanges avec ces populations. Je souhaite qu’il y ait plus de restrictions, plus de contrôle à nos frontières. Qu’on ne laisse passer dans notre pays que les gens avec de hautes qualifications. »

Parking au bas d'un immeuble, vers le métro Joulebino.
Paysage enneigé, près du terminus de la ligne de métro 12, Buninskaya Alleya, au sud de Moscou. Des pécheurs se sont installés sur le lac gelé.

Maroussia, 21 ans : « Ma génération a grandi dans un même idéal européen de liberté de parole, de choix »

« J’ai toujours habité Moscou. A 13 ans, je me suis intéressée à la politique, j’assistais à des meetings dans le centre-ville, j’allais dans les permanences pour prendre des brochures de l’opposition. C’est comme ça que s’est développée ma communauté. Après trois ou quatre ans, j’ai commencé à rencontrer des gens de mon âge, à sortir dans les bars, les soirées. Moscou, c’est ma maison, surtout parce que les amis sont là.

Je hais Poutine. Deux sentiments contradictoires à ce sujet : impuissance et colère. C’est difficile de juger ce qui se passe en Russie car c’est un grand pays. Personne ne peut juger de ce qui se passe à 1 000 kilomètres d’ici. A Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans quelques grandes villes industrielles, la situation est particulière. Ma génération a grandi dans un même idéal européen de liberté de parole, de choix. Nous partageons les mêmes croyances sur ce que doit être la politique. D’habitude, nous restons loin de la politique, du fait de nos activités. Néanmoins, même sans être politiquement engagé, on peut se retrouver en prison. Les futurs possibles changements politiques dépendent de notre génération, celle qui n’a pas connu l’Union soviétique. La peur de ce passé ne nous paralysera pas. Pendant toute mon enfance, j’ai entendu mes parents dire que les choses allaient changer et rien n’a changé. Du coup, je n’ai aucune certitude pour le futur politique du pays. On doit continuer de faire des petites choses par nous-mêmes et l’association de ces petites choses changera peut-être le monde. »

Quartier de Tushinskaya, près du canal.
A l'intérieur du café Zifferblat, sur Tverskaya.

Alesha, 22 ans, étudiant en graphisme et serveur : « J’ai commencé à m’intéresser à la politique quand j’avais 16 ans » / « Moscou ? C’est comme une salade, on y trouve de tout »

« J’ai envie de poursuivre mes études en Allemagne, car il y a des bourses pour étudiants là-bas, mais je ne suis pas sûr. L’éducation en Russie est très conservatrice, surtout concernant les arts.
Moscou ? C’est comme une salade, on y trouve de tout. C’est une ville dangereuse aussi. J’ai eu des problèmes avec la police il y a un an. J’ai été amené au poste de police, battu parce qu’ils pensaient que j’étais un drogué. J’ai dû signer une décharge pour dire que je ne poursuivrai pas les policiers. Au poste, ils peuvent faire ce qu’ils veulent de vous, vous mettre de la drogue dans les poches, vous inculper. J’ai commencé à m’intéresser à la politique quand j’avais 16 ans. J’ai compris qu’il n’y avait qu’une seule opinion valable, celle du président. Sur Internet, il y a une plus grande variété d’opinions. A la radio, à la télévision, c’est le même discours. Moi, je m’informe sur des canaux cryptés, sur Telegram. »

Quartier de l'université.

Micha, 23 ans, salarié dans une agence de publicité : « Il y a beaucoup d’argent qui sert une poignée d’ultrariches au lieu d’être investi dans le pays. Ce n’est pas juste »

« J’avais 3 ans quand Vladimir Poutine a été élu pour la première fois. Quand j’étais enfant j’étais fasciné par ce président qui faisait du cheval, du jet-ski… A l’été 2008, avec la crise en Géorgie, je me suis intéressé à la politique, je lisais tous les articles. En 2010, j’ai commencé à aller aux meetings d’opposition, puis à travailler dans des structures avec Alexeï Navalny.

Il est très difficile de dire qui succédera à Poutine. On doit changer l’opinion des gens sur le gouvernement. Il n’y a pas encore assez de gens qui lisent des médias indépendants. Pour le moment, c’est comme à l’époque de l’URSS, tout va dans le même sens. Il y a beaucoup d’argent qui sert une poignée d’ultrariches au lieu d’être investi dans le pays : appartements dans d’autres pays européens, grosses voitures, bateaux, études à l’étranger pour les enfants. Ce n’est pas juste. »

La statue de Lénine, métro Oktiobrskaya.
Quartier de Mitino (terminus de la ligne 3, nord-ouest de Moscou).

Ilya, 24 ans, photographe et chef opérateur : « J’aime ce pays, cette ville, les gens autour de moi »

« On s’est perdu et on ne sait pas comment se retrouver. Je continue sur cette voie : passion, déconstruction, douleur. Je suis comme un phénix, je vais renaître de mes cendres. J’ai le temps. J’aime ce pays, cette ville, les gens autour de moi. Nous vivons pour l’amour. Il y a deux villes que j’aime : Moscou et Berlin. Moscou, c’est un mélange de communautés qui se parlent. Chaque rencontre mène à une grande aventure. »

Paysage enneigé, près du terminus de la ligne de métro 12, Buninskaya Alleya, au sud de Moscou.

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