« Faire du capitaine Dreyfus un modèle pour les armées »

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L’historien, spécialiste de l’affaire Dreyfus, considère, dans un entretien au « Monde », que les déclarations de Florence Parly, ministre des armées, à propos du capitaine Alfred Dreyfus permettent de « resserrer le lien armée-nation ».

Propos recueillis par Publié aujourd’hui à 05h00

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Entretien. Vincent Duclert, professeur à l’EHESS, est l’auteur de L’Affaire Dreyfus (La Découverte, 4e éd. 2018) et de Alfred Dreyfus. L’honneur d’un patriote (Fayard-Pluriel, 2e éd., 2016). Il publie en novembre 2019, avec Marie Neige Coche, Ecrire pour résister. Alfred et Lucie Dreyfus (Gallimard-Folio). L’historien analyse pour Le Monde les propos de la ministre des armées, Florence Parly, lors de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vél’d’Hiv, le 21 juillet 2019. Dans son discours, elle a rappelé la mémoire de l’officier Alfred Dreyfus en déclarant : « Lorsque je pense à Alfred Dreyfus, lorsque je lis chaque nom inscrit sur le mur du jardin des enfants du Vél d’Hiv, la même question revient sans cesse : que seraient-ils devenus si leur avenir ne leur avait pas été arraché ? Quel destin les attendait ? Le véritable courage, c’est celui de la vérité. Cent vingt ans après le procès de Rennes, les armées doivent regarder leur histoire en face. Cent vingt ans plus tard, il est encore temps que les armées redonnent à Alfred Dreyfus tout l’honneur et toutes les années qu’on lui a ôtés. Et j’y veillerai personnellement. »

Faut-il lire dans les propos de Florence Parly une volonté du gouvernement d’élever Alfred Dreyfus au grade de général, comme certains observateurs le pressentent ?

Oui, je le pense. Cette proposition est juridiquement nécessaire parce qu’une dernière injustice a été commise par les députés quand ils ont voté, le 13 juillet 1906, la réintégration du capitaine Dreyfus dans l’armée. Promu au grade supérieur sans reconstitution complète de carrière, il perd toute possibilité d’accéder aux grades d’officier général auxquels il se destinait depuis l’Ecole polytechnique et l’Ecole de guerre. Ces « années » dont parle la ministre des armées sont bien celles que le Parlement, sur proposition du gouvernement, a ignorées – contredisant l’arrêt de la Cour de cassation qui, la veille, avait proclamé l’entière et définitive innocence de Dreyfus. Cette carrière amputée le contraignit à prendre une retraite anticipée, interrompue par la première guerre mondiale où il servit avec abnégation. Mais sa disparition des cadres en 1907 amplifia le rejet de l’Affaire par l’armée et le silence sur la persécution d’un officier moderniste, démocrate et juif. Avec cette proposition de promotion à titre posthume qu’annonce la ministre se dessine là une volonté claire, celle d’amener la nation à réfléchir au destin des combattants, de tous les combattants et de leur apport à notre contemporain.

Le gouvernement a-t-il l’intention de faire d’Alfred Dreyfus un exemple dans l’armée ? Est-ce là la dernière étape de sa réhabilitation pleine et entière dans la mémoire de la France républicaine ?

Dreyfus démontre, face à une situation de destruction massive, une force personnelle de résistance à l’inconcevable, de mobilisation de ressources capitales, d’engagement pour la vérité et la justice, enfin une confiance inaltérable dans le pouvoir de la France à lui redonner son honneur. Il mène plusieurs combats dont il sort vivant et victorieux. A ce titre, il est un modèle de combattant pour les armées d’hier qui l’ont rejeté (à quelques exceptions, le colonel Mayer, le général de Gaulle…) et pour celles d’aujourd’hui qui gagneraient à se saisir de son exemple. Ses qualités ne sont pas seulement celles d’un brillant officier d’état-major. Il est capable de conduire une bataille qui le dépasse, d’affronter méthodiquement l’accusation et la déportation, d’agir en officier français. Ses états de service prouvent la réussite des réformes lancées dans la décennie précédente : il en est la parfaite justification. Le drame de l’Affaire, c’est qu’en excluant Dreyfus (et nombre de dreyfusards), l’armée a sonné le glas de sa modernisation et de sa démocratisation.

« Dreyfus est un symbole vivant du combat personnel et collectif contre la persécution »

Promouvoir ces valeurs de courage, d’intelligence et de patriotisme de l’officier Dreyfus (et pas seulement du citoyen et de la personne), c’est alors contribuer à resserrer le lien armée-nation et à nourrir la pensée militaire des réflexions venues de la culture humaniste, de l’histoire et des sciences sociales, de la philosophie politique. Cette démarche a été inaugurée en 1998 par Alain Richard, ministre de la défense, puis par le président Jacques Chirac dans son discours éloquent pour le centenaire de la réhabilitation de Dreyfus en 2006, à l’Ecole militaire. Mais l’armée ne reconnaissait à ce dernier que son innocence, pas encore son appartenance. La crainte de réveiller des passés où elle s’était retrouvée en accusation bloquait toute évolution. Il est nécessaire de comprendre tout ce que les militaires gagneraient à retrouver l’officier Dreyfus. D’aucuns l’ont dit, comme le regretté général et historien André Bach. Florence Parly le leur propose, et on ne peut que la suivre. Cela suppose d’admettre qu’une nation se grandit dans le choix de la vérité. Il apparaît que la présidence Macron s’y emploie, des disparus de la guerre d’Algérie au rôle de la France au Rwanda. Cette conviction élève, elle favorise la paix des mémoires et le sentiment de justice parmi les sociétés.

Faut-il faire un lien entre cet hommage appuyé du gouvernement et la montée actuelle de l’antisémitisme en France ?

On le peut et on le doit. L’antisémitisme a été très puissant dans les mécanismes de conspiration contre Dreyfus et dans l’adhésion d’une partie de la société. Mais la France des droits de l’homme a tenu, la justice réhabilitant un juif innocent a infligé une défaite dont les antisémites se souviennent. Les attaques d’intellectuels brisant les mythes racistes, les réquisitoires de républicains contre les propagandes de haine forment un corpus d’expériences qui demeurent encore méconnues bien que décisives.

Est-ce que cela ouvre la porte à d’autres types de réhabilitation ou de reconnaissance d’éléments issus de l’immigration engagés en faveur de la France mais dont la mémoire est quelque peu oubliée dans la République ?

Dreyfus est un symbole vivant du combat personnel et collectif contre la persécution. Les dreyfusards ont défendu Dreyfus en même temps qu’ils s’efforçaient de donner des droits égaux aux indigènes et de sauver les Arméniens exterminés dans l’Empire ottoman. Avant que les survivants de ces derniers, à leur tour, incarnent l’honneur de la France, comme Missak Manouchian qui meurt en soldat volontaire sous les balles nazies et sa femme, Mélinée, membre du même réseau de résistance. Suivre ces traces de l’histoire permet d’accueillir la mémoire des oubliés de la République.

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