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Lorsqu’il a posé le pied sur le tarmac de l’aéroport du Caire, au retour de l’Assemblée générale des Nations unies, dans la matinée du vendredi 27 septembre, le président égyptien, Abdel Fattah Al-Sissi, est apparu serein. « Il n’y a pas de raison de s’inquiéter ! » a-t-il lancé, le sourire rayonnant, à la nuée de partisans qui étaient venus l’accueillir.
Une semaine plus tôt, alors qu’il était en route vers New York, des manifestations, d’ampleur limitée mais inédites, avaient éclaté au Caire et dans plusieurs villes du pays pour réclamer sa démission, à l’appel d’un homme d’affaires égyptien, passé en un mois du rang d’illustre inconnu à celui de pourfendeur charismatique de la corruption au sommet de l’Etat. Le retour du président se devait de marquer le retour à l’ordre, dans ce pays tenu d’une main de fer.
« Le président est terrifié »
Le déploiement sécuritaire hors norme observé à travers l’Egypte, vendredi, suggérait davantage la fébrilité des forces de sécurité que la sérénité face à la menace agitée par l’homme d’affaires Mohamed Ali, depuis son exil espagnol, d’une « marche du million ». Le Caire avait des allures de camp retranché. Autour de la place Tahrir, interdite d’accès, les principaux axes routiers ont été bloqués à la circulation et les stations de métro fermées. De mémoire de Cairotes, la capitale égyptienne n’avait pas connu un tel déploiement sécuritaire depuis la révolution de 2011 : sur tous les grands axes, dans chaque quartier, des colonnes de blindés ont été postées avec une débauche de troupes en uniforme et d’agents en civil.
Aux barrages, les identités et le contenu des téléphones portables étaient systématiquement vérifiés à la recherche d’éventuels agitateurs. Plus de 2 000 personnes avaient déjà été arrêtées en marge des manifestations des 20 et 21 septembre, et lors de fouilles similaires dans les jours qui ont suivi, selon le Centre égyptien pour les droits économiques et sociaux. Des journalistes et des militants politiques font également partie des interpellations. « Cette répression des manifestations dans tout le pays suggère que le président Abdel Fattah Al-Sissi est terrifié par les critiques des Egyptiens », commente Sarah Leah Whitson, directrice Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’organisation Human Rights Watch.
Manifester, dans ce contexte, relevait de la bravoure, sinon du sacrifice. Quelques rares s’y sont osés. En milieu de journée, des mouvements ont eu lieu à Qus et à Qena, dans le sud du pays, resté calme la semaine précédente. Sur l’île de Warraq, au Caire, où depuis 2017 des habitants s’opposent à leur éviction par les autorités qui veulent y construire un complexe touristique, « environ 3 000 personnes » ont manifesté, dispersées par des gaz lacrymogènes, selon un témoin cité par l’Agence France-Presse.
« Si on voit du monde descendre, on ira. On n’aura pas peur si on n’est pas seuls »
Dans les rues du Caire, même les soutiens assumés de la contestation faisaient profil bas. « On a peur de s’exprimer et d’être arrêtés », confie Magdi, un chauffeur de 28 ans au chômage depuis deux ans. « Si on voit du monde descendre, on ira. On n’aura pas peur si on n’est pas seuls », assure son amie Zena, une vendeuse de 28 ans, également au chômage, tandis qu’un troisième, Mustafa, un boucher de 22 ans, lui aussi sans emploi, « préfère laisser l’armée faire partir Sissi ».
Les trois amis ne ratent aucune des vidéos dans lesquelles Mohamed Ali, « un homme courageux et honnête, qui dit ce que l’on pense tous », égrène ses allégations de corruption contre M. Sissi et son armée. « M. Sissi dépense notre argent pour des mégaprojets, il devrait plutôt l’utiliser à créer des usines où l’on puisse travailler. L’économie s’enfonce et personne ne nous aide », abonde Mustafa.
Aisément remporté par les autorités, le bras de fer sécuritaire contre les émules de Mohamed Ali et les voix critiques du régime s’est doublé d’une campagne de propagande destinée à redorer la popularité écornée du président Sissi au sein de la majorité silencieuse.
Depuis une semaine, la campagne assénée par les médias contrôlés par le pouvoir s’est amplifiée pour décrédibiliser l’homme d’affaires et la contestation qu’il a suscitée, la dépeignant comme une conspiration de la confrérie interdite des Frères musulmans. Des artistes et des personnalités se sont mobilisés en soutien au président. Vendredi après-midi, plus d’un millier de ses partisans ont défilé au Caire, brandissant ses portraits et scandant des chants patriotiques.
Si certains questionnent la spontanéité de ces démonstrations de soutien, le président Sissi et son armée comptent encore des partisans convaincus. Dans le quartier de Dokki, Gamal Morsi, un ébéniste de 65 ans, n’en démord pas depuis qu’il a voté pour M. Sissi pour son premier mandat présidentiel en 2014. « M. le président a hérité d’un pays qui s’effondrait et il le remet lentement sur pied. La situation économique est difficile, mais il faut être patient, assure l’homme, qui dénonce une conspiration. Ces vidéos de Mohamed Ali, ça ne fait aucun sens. Pourquoi a-t-il attendu tant de temps pour dénoncer la corruption de l’armée, s’il travaille avec elle depuis quinze ans ? Je ne crois pas à ce qu’il dit, il est en conflit financier avec l’armée, c’est tout », ajoute-t-il.
« La classe moyenne en a assez »
Ce soutien indéfectible se fait toutefois rare. La popularité du président Sissi s’est étiolée au rythme de la détérioration du pouvoir d’achat et des mesures d’austérité instaurées depuis fin 2016, dans le cadre d’un prêt du Fonds monétaire international. « Je soutiens encore le président Sissi, mais nous, la classe moyenne, on en a assez. On souffre de la détérioration de l’économie et on aimerait bien qu’il nous donne un peu de considération », confie Eman Anouar. Cette mère au foyer de 40 ans, mariée à un fonctionnaire, estime que « Mohamed Ali dit la vérité sur la corruption, même s’il exagère un peu. »
Lorsque les manifestations ont éclaté, le 20 septembre, elle s’est sentie « tiraillée » : « D’un côté, ça m’a redonné l’espoir que ça puisse amener à un changement, à améliorer l’économie. De l’autre, je veux que le pays soit stable. On est épuisés par ces soubresauts et j’ai peur que ça mène à une autre Syrie ou Libye. »
Cette peur de l’instabilité et du chaos est partagée par beaucoup, même insatisfaits du climat politique répressif. « La colère monte, surtout depuis la présidentielle de 2018, où M. Sissi a fait arrêter tous les candidats opposés à lui, observe Mohamed Khalil, un étudiant de 22 ans qui a ouvert un café à Dokki. Mais tout ce que l’on gagnera d’une révolution sans leader, c’est le chaos, et le chaos, c’est encore plus de morts. Le pays souffre déjà assez. »
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