Entre la Sicile et la Calabre, le pont qui n’existe pas

0
107

[ad_1]

THE BRIDGE OVER THE STRAIT OF MESSINA

The harbour in Messina
Messina, 2019.

Tommaso Bonaventura pour M Le magazine du Monde

Par

Publié aujourd’hui à 14h13

C’est un détroit aux airs de bout du monde. Nuages ténébreux transpercés d’une lueur crue, mer bleu nuit tumultueuse, vent force 6 qui cingle les joues. Homère aurait choisi ce tableau pour mettre au supplice son héros Ulysse, ballotté entre deux monstres menaçant son odyssée : Charybde, le redoutable tourbillon, et Scylla, l’insatiable bête multicéphale tapie dans sa grotte. Mais une autre créature s’est immiscée dans la vie des riverains du détroit séparant la Sicile de la Calabre. Une chimère au corps d’acier qui envoûta, puis éreinta, tous les leaders politiques italiens, engloutit des milliards de lires, puis des millions d’euros, rendit fous les plus brillants ingénieurs. Ici, on l’appelle simplement « le pont ». Le pont qui n’existe pas.

« Ce franchissement a été le projet central destiné à matérialiser l’unité italienne, en 1870. Après la seconde guerre mondiale, c’est devenu la promesse électorale la plus constante, en tant que réponse à la “question méridionale’’. Aurelio Angelini, sociologue

Il faut grimper sur les hauteurs du village escarpé de Torre Faro, à l’extrême nord-est de la Sicile, afin de bénéficier du meilleur point de vue. Nous sommes en décembre 2019, le Covid-19 n’a pas encore paralysé l’Europe et un voisin, Nunzio Maggio, s’improvise guide. Ce vieil homme se hisse péniblement, en chaussons, jusqu’à sa terrasse panoramique. « Regardez, il est là, gigantesque », susurre-t-il, mêlant fiction et réalité, le corps penché au-dessus du vide. Il figure de ses mains les arches d’un Golden Gate fantasmé dans la brume de l’Italie du Sud, enjambant le bouillon où se rencontrent les mers Ionienne et Tyrrhénienne.

Une histoire antique

« Des géomètres chinois, des sondeurs en tous genres, j’en ai vu passer, des délégations », bougonne le natif de ce hameau de pêcheurs d’espadon, devenu l’épicentre du plus emblématique des grands projets d’infrastructure italiens. En contrebas, des villas fantômes et un hôtel en ruine semblent les vestiges d’une évacuation d’urgence. Ils témoignent en fait de l’imminence d’un chantier qui a entraîné l’expropriation de centaines de personnes. Un chantier officiellement à l’arrêt depuis bientôt dix ans. Avant même le premier coup de pioche. De l’autre côté, à Villa San Giovanni, serpente un lido mélancolique planté de palmiers arqués et de bancs vides. Lungomare Fata Morgana (« fée Morgane »), référence au phénomène optique du même nom, incrustant un mirage dans les rétines de qui fixe l’horizon. De là-bas, la côte sicilienne apparaît toute proche, comme en lévitation sur l’eau.

Il vous reste 82.94% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

[ad_2]

Source link

Have something to say? Leave a comment: