En Tunisie, la timide apparition des cafés pour femmes

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Amira Tlili, la gérante du café Baroque, à Tunis.
Amira Tlili, la gérante du café Baroque, à Tunis. Café Baroque / Facebook

Au café Baroque, en plein cœur du quartier dense et populaire d’Hay Ettadhamen, au nord de Tunis, l’entrée se fait discrètement : soit via une porte capitonnée, soit à l’étage, par des escaliers dissimulés. A l’intérieur, la gérante, Amira Tlili, 26 ans, diplômée en stylisme et modélisme, propose des cheesecakes et des « directs » (cafés crème) à ses clientes. Certaines sont des collégiennes en uniforme qui alternent selfies et devoirs d’école dans une ambiance bon enfant. D’autres, plus âgées, sont venues fumer une cigarette ou simplement papoter après le travail.

Comme l’indique un petit écriteau devant la porte, le café Baroque est réservé aux femmes. Et il détonne dans cette rue commerçante où les terrasses débordent d’une clientèle exclusivement masculine. « Quand un café ouvre à Hay Ettadhamen, il est mixte, en principe… Ça dure deux semaines, puis il est occupé par des hommes, donc les femmes n’osent plus y aller. C’est comme ça ici : le regard de l’autre, le voisinage, les mentalités… Tout ça fait que les femmes se sentent mal à l’aise », explique Amira Tlili. Cette règle tacite oblige souvent les femmes à changer de quartier pour trouver un café mixte et échapper aux regards.

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Selon la socio-anthropologue Meryem Sellami, ce phénomène témoigne de la persistance de l’idée selon laquelle la femme ne doit pas être trop présente dans l’espace public. « Il y a une recherche d’anonymat permanente. Une femme qui habite un quartier populaire ou une région hors de Tunis va souvent changer de quartier pour aller boire un café. Même dans les villes touristiques comme Djerba, vous pouvez voir des jeunes préférer aller boire un café à Zarzis [à 40 km]. Et vice-versa. »

Normes implicites

Dans une étude sur le contrôle de la sexualité et le gouvernement des corps en Tunisie, Meryem Sellami évoque des normes de conduite implicites : selon les hommes interrogés, la femme « respectable » doit, en plus d’un code vestimentaire approprié, contourner de préférence les cafés qu’elle rencontre sur son chemin. « Certaines filles nous ont dit qu’elles le faisaient même si cela devait rallonger leur chemin et leur faire perdre du temps. 64 % des sorties des femmes sont des visites à la famille, tandis que 72 % des hommes déclarent sortir pour aller au café », détaille Mme Sellami.

Au café Baroque, les clientes affirment que l’endroit répond à un besoin de moments entre femmes. Aux fenêtres, des rideaux à l’effigie de Marylin Monroe les cachent des regards de la rue. Dans la bibliothèque, la pièce de théâtre Knock, de Jules Romains, côtoie la biographie de la chanteuse Amanda Lear. Amal, 17 ans, prend des photos avec une amie sur une balançoire accrochée entre deux tables. « Le lieu est nouveau et je pense que c’est une bonne chose pour le quartier. Cela ne m’empêche pas de fréquenter des cafés mixtes par ailleurs, on a juste une autre ambiance ici », explique-t-elle.

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Au rez-de-chaussée, Rachida, 56 ans, savoure lentement son « direct ». Femme de ménage dans un quartier huppé de la ville, elle dit ne se sentir à l’aise que dans ce lieu qui pallie aussi le manque d’espaces de loisirs pour les enfants. « Cela revient très cher, pour les femmes avec des enfants, de prendre un taxi pour profiter des parcs, raconte-t-elle. Cet endroit peut aussi être utile pendant le ramadan, après la rupture du jeûne, pour les femmes qui veulent se détendre. »

Cercles de réflexion

Amira Tlili n’est pas la première à avoir tenté l’expérience du café féminin. A Kélibia, une ville balnéaire de la région du Cap-Bon, Latifa Ben Rejeb Jerbi a ouvert le salon de thé Club Elle, en 2013, pour faire face à la montée de certains courants radicaux après la révolution de 2011. « Je tenais un jardin d’enfants et j’entendais des discours très inquiétants sur l’homme et la femme. Cette période n’a pas duré, mais elle m’a fait prendre conscience qu’il fallait des espaces où les femmes se retrouvent, s’amusent et réfléchissent ensemble », témoigne-t-elle. Femme de diplomate, Latifa Ben Rejeb Jerbi a fait l’expérience, à l’étranger, de cercles de réflexion féminins ; c’est ce qu’elle a voulu recréer en Tunisie. « On cible surtout l’artisanat et le patrimoine tunisiens, on organise des ateliers culinaires, de développement personnel ou juste une fête pour la journée de l’habit traditionnel, par exemple », détaille-t-elle.

Outre les salons de beauté et les hammams, selon les horaires, les lieux exclusivement féminins restent encore assez rares en Tunisie. La récente application de VTC Salem offre depuis deux mois une option, « Salem Ladies », avec des chauffeurs femmes : 65 % de la clientèle est féminine pour le moment. « Souvent, les clientes ont subi un harcèlement sexuel dans un taxi ou dans un autre mode de transport et elles se sentent plus à l’aise avec une femme. D’autres préfèrent juste par mesure de sécurité », déclare Mamia, l’une des conductrices de cette nouvelle start-up.

Pour Meryem Sellami, si ce genre d’initiative est positif pour permettre aux femmes d’avoir leur propre espace, cela ne peut cependant pas devenir la norme : « Au niveau sociétal, cela renforce quand même les frontières entre les deux sexes et ne résout pas le problème réel de la violence à l’égard des femmes, dit-elle. Il n’y a qu’en résistant de manière frontale aux normes qu’on peut les bousculer réellement. »

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