En Tunisie, la réconciliation nationale en attente d’un second souffle

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Le président Kaïs Saïed à Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne, le 17 décembre 2019.
Le président Kaïs Saïed à Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne, le 17 décembre 2019. STRINGER / AFP

« Je suis prêt à pardonner, mais pas assez bête pour pardonner à des gens qui ne disent pas la vérité. » Trente-deux ans après la mort de son frère, torturé dix jours durant dans un poste de police et retrouvé mort sur des rails en Tunisie, Ridha Barakati n’abandonne pas. Il veut savoir qui a achevé Nabil en 1987 d’une balle dans la tête.

On était encore sous le règne de Habib Bourguiba et l’homme de 25 ans avait distribué des tracts du Parti communiste critiquant le régime. « C’était une période tendue. Bourguiba était malade, il y avait des luttes autour de sa succession, sur fond de crise économique et sociale », raconte Ridha. Après la mort de Nabil, des protestations ont éclaté à Gaâfour, sa ville natale, pour qu’une enquête et un procès soient ouverts.

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Mokhtar Trifi, avocat et membre de la Ligue des droits de l’homme, se souvient encore du « simulacre de procès ». « Alors que le rapport du médecin légiste faisait état d’un assassinat précédé d’actes de torture, les assassins de Nabil Barakati n’avaient même pas été arrêtés pour comparaître », raconte-t-il. Finalement, quatre ans plus tard, deux policiers sont condamnés à trois ans de prison et le commissaire du poste de police à cinq ans pour « abus de pouvoir ». S’ils admettent tous la torture, ils plaident en revanche l’évasion de Nabil Barakati suivie de son suicide et non d’un assassinat, contrairement à ce que montre le rapport médical.

« Des procès mal compris »

Il y a deux ans, le procès a été rouvert. Et vendredi 3 janvier, la huitième audience a commencé dans une atmosphère lourde au tribunal du Kef. La juge Saïda Guerchi, spécialisée dans les affaires criminelles, a écouté Ridha Barakati exprimer ses craintes que la vérité reste sous silence. Le commissaire de police inculpé à l’époque est depuis longtemps décédé et les deux accusés, présents aux dernières audiences, étaient absents vendredi.

« Ils n’arrivent pas à reconnaître les faits, ils disent qu’ils ne savent pas, rapporte Mokhtar Trifi. Ils estiment qu’ils n’ont pas à être jugés une deuxième fois et ne comprennent pas que la visée du procès n’est pas la punition. » D’ailleurs, ni lui ni Ridha Barakati ne souhaitent de nouvelles condamnations. Tous deux veulent en revanche que « la vérité éclate », sans quoi le processus de réconciliation sera compromis.

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Ce procès, emblématique des violations des droits humains et des crimes d’Etat commis entre 1955 et 2013, témoigne des difficultés qu’a eues l’Instance vérité et dignité (IVD) à faire émerger la vérité durant son mandat, de 2014 à 2018, avant de transférer 174 cas vers des chambres spécialisées. « Beaucoup de magistrats font preuve d’une grande empathie avec les victimes, mais ces procès restent mal compris, notamment parce qu’ils sont peu couverts médiatiquement », regrette Olfa Belhassine, journaliste au quotidien francophone La Presse et l’une des rares à assister régulièrement aux audiences.

Controverses politiques

Sihem Bensedrine, la présidente de l’IVD, a transmis aux archives nationales les précieux témoignages recueillis pendant quatre ans, estimant que la justice transitionnelle ne se terminait pas avec l’IVD, qui a remis son rapport final en mars 2019, mais qu’au contraire elle ne faisait que commencer. « C’est vrai que le processus judiciaire est assez lent », reconnaît celle qui milite pour « la création d’une commission auprès du Parlement chargée de s’assurer de la mise en place des réformes recommandées par le rapport », notamment « le fonds de réparation ».

Le processus a souffert de controverses politiques et du manque de soutien du défunt président Béji Caïd Essebsi, qui avait fait voter en 2017 une loi pour amnistier des fonctionnaires n’ayant joué qu’un rôle d’exécutant ou de petite main dans les rouages du système dictatorial. Aujourd’hui, la nouvelle présidence pourrait donner un nouveau souffle à cette justice transitionnelle, Kaïs Saïed se disant même « prêt à faire les excuses au nom de l’Etat » – excuses requises par le processus de réconciliation.

Ce nouveau président, qui a choisi le berceau de la révolution de 2011, Sidi Bouzid, pour son premier discours officiel, le 17 décembre, et a plusieurs fois répété son soutien aux familles des martyrs et blessés de la révolution, pourrait faire de la justice transitionnelle un tremplin vers la réconciliation nationale espérée par de nombreuses victimes.

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