En Tunisie, « la prise de conscience autour du patrimoine historique est tardive »

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Le site archéologique de Carthage, près de Tunis, en février 2013.
Le site archéologique de Carthage, près de Tunis, en février 2013. Zoubeir Souissi / REUTERS

Tribune. Terre de conquête et de conquérants, la Tunisie possède une histoire jalonnée par le passage de plusieurs civilisations. De toutes celles qui se sont succédé sur son territoire, la Tunisie retiendra les arrivées des Puniques, des Romains, des Arabes, des Ottomans et bien sûr des Français. Relativement récentes, les rémanences de leurs passages sont toujours vivaces. Ainsi, la mémoire collective est-elle encore imprégnée de leurs histoires grâce aux traces physiques qu’elles ont laissées. S’établissant et s’appropriant les terres tunisiennes, ces civilisations ont édifié une culture qui s’est cristallisée à travers les vestiges et les monuments archéologiques parsemés sur le sol du pays.

En Tunisie, les traces du passé laissées par les générations antérieures – matérielles ou immatérielles, orales ou écrites, enfouies ou apparentes – sont les composantes du patrimoine que l’humanité tente, depuis quelque temps, de sauvegarder.

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Face aux risques de destruction, d’oubli, de perte ou de pillage, les organismes internationaux mènent des actions de sauvegarde, de préservation et de sensibilisation (Exemple : la campagne internationale de sauvegarde de Carthage). Cependant, la prise en charge effective et l’application des dispositions internationales concernant le patrimoine tunisien restent inhérentes à l’importance que lui accorde la société locale. Elles dépendent aussi des moyens dont les institutions patrimoniales (Institut national du patrimoine, Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle) disposent pour le protéger et le conserver.

Rattraper le retard

Ainsi, à l’instar de plusieurs nations méditerranéennes, la Tunisie a placé depuis son indépendance le patrimoine au centre de ses préoccupations. Adhérant à la stratégie universelle émise par l’Unesco, elle s’attelle à rattraper le retard qu’elle a accusé en dédiant à ce patrimoine un arsenal juridique (le code du patrimoine) et un budget important.

Cependant, la prise de conscience patrimoniale est tardive. Les textes législatifs permettant d’asseoir et de déclencher le processus de patrimonialisation au niveau de la société demeurent insuffisants. De nombreux décrets sont promulgués chaque année, mais ils sont confrontés aux problèmes liés à l’organisation des structures s’occupant du patrimoine et de sa prise en charge. Ils se heurtent également à la réalité du terrain, notamment le manque de formation des personnels, l’absence de médiatisation et la rareté des campagnes de sensibilisation.

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Négligé, ou presque, durant la dernière période du règne de Ben Ali, le patrimoine historique est devenu le cheval de bataille d’associations de la société civile tunisienne. Plusieurs opérations ont ainsi été amorcées à travers le territoire. Le processus concerne le patrimoine matériel, en particulier les monuments historiques, tels les palais beylicaux.

Dans cette logique, le décret-loi n° 11 du 10 mars 2011 et le communiqué du ministère de la culture du 2 mai 2011 ont été publiés pour mettre fin au bétonnage du parc archéologique de Carthage. Ils stipulent la suspension de la validité de tous les permis de bâtir relatifs aux terrains à caractère archéologique et historique dans le périmètre du site de Carthage-Sidi Bou Saïd, inscrit depuis 1979 sur la liste du patrimoine mondiale. « Toutes les constructions abusives et non conformes aux réglementations en vigueur seront démolies, au cas par cas, conformément aux dispositions réglementaires », avait alors annoncé le communiqué du ministère de la culture.

Protection et mise en valeur

Quant au décret-loi, signé par l’ancien président par intérim Foued Mebazaa, il annule les décrets de déclassement publiés dans le Journal officiel de la République tunisienne (JORT) entre 1992 et 2008. Tous les terrains non bâtis seront donc récupérés. « Les titres fonciers qui s’y rapportent retournent au domaine public de l’Etat, en préservant les droits des tiers », a-t-on précisé.

Malgré ces mesures importantes, la protection des zones et des parcs archéologiques du pays n’ont pas produit les effets escomptés. Les agents de la garde nationale ne cessent d’arrêter des individus en possession de plusieurs pièces archéologiques qu’ils comptaient vendre. Par exemple, en 2013, Ganymède, une pièce unique et d’une valeur inestimable du Vsiècle, a été volée du musée paléochrétien de Carthage. En 2019, des parchemins hébreux remontant au Bas Moyen Age (XIVe – XVsiècle) ont été saisis à Sousse chez des trafiquants d’antiquités.

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Parler de la valorisation du patrimoine historique tunisien revient à aborder la question de la protection et de sa mise en valeur. Les débuts de cette démarche datent de plus d’un demi-siècle. C’est en 1967 que des experts ont remis à l’organisation internationale un rapport intitulé « La mise en valeur du patrimoine monumental de la Tunisie en vue du développement économique ». Quelques années plus tard, en 1979, alors que la campagne internationale de fouilles à Carthage était bien avancée, le classement de ce site ainsi que de l’amphithéâtre d’El Jem et de la médina de Tunis sur la liste du patrimoine mondial a ouvert la porte au classement de plusieurs autres sites, comme de celui de Dougga.

Néanmoins, le cas de Carthage est révélateur à plus d’un titre des atouts et des faiblesses de cette politique de patrimonialisation. Celle-ci demeure une procédure complexe fondée sur une multitude de paramètres (juridique, culturel et politique) et des échelles d’interventions (nationale, régionale, communale) différentes, qui doivent être coordonnés afin de réaliser les objectifs estimés. C’est pourquoi, en vue de valoriser et de préserver ces monuments historiques, il est plus que jamais nécessaire de faire connaître ce patrimoine, d’identifier sa valeur, de dissiper les ambiguïtés qu’il suscite quant à son histoire et son importance dans le quotidien de la société tunisienne, pour arriver à engager des mesures adéquates et effectives pour sa conservation.

Mohamed-Arbi Nsiri est historien chercheur au sein de l’équipe Arscan (archéologie et science de l’Antiquité) de l’université Paris-Nanterre.

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