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« En vingt-cinq ans de carrière, je n’avais jamais vu des agents de police débarquer ainsi et maltraiter des journalistes devant leur propre lieu de travail », s’indigne Mustapha Fradi, 52 ans, rédacteur en chef au service multimédia de la TAP (Tunis Afrique Presse), à Tunis. Ce jeudi 15 avril, il est venu manifester devant les locaux de l’agence de presse officielle, comme une centaine de ses confrères, pour dénoncer ce qu’ils estiment être de graves atteintes à la liberté de la presse en Tunisie.
Tout a commencé le 6 avril avec la nomination par le chef du gouvernement d’un nouveau PDG à la tête de la TAP, Kamel Ben Younes, accusé d’être proche des cercles de l’ancien dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, chassé du pouvoir en 2011. Pour protester contre cette décision, une partie des journalistes de l’agence ont organisé un sit-in devant les locaux de leur entreprise. Mais une semaine plus tard, le 13 avril, alors que le nouveau dirigeant est empêché d’accéder à son bureau, la police intervient, forçant le passage sans ménagement.
L’altercation, dont la vidéo a été largement partagée sur les réseaux sociaux, a poussé le syndicat des journalistes, ainsi que d’autres organes de presse, à manifester publiquement leur désaccord. « Ce qui s’est passé, la violence policière comme cette nomination, n’augure rien de bon pour la liberté de la presse en Tunisie et nous craignons un retour en arrière », explique Amira Mohamed, vice-présidente du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), présente jeudi au rassemblement de soutien.
Une nomination « partisane »
L’affaire est révélatrice des inquiétudes actuelles s’agissant de l’indépendance de l’information en Tunisie, chèrement acquise avec la révolution de 2011. Kamel Ben Younes, journaliste de 64 ans, est en effet accusé dans le secteur de la presse d’avoir soutenu le régime de Ben Ali et d’être proche du parti islamiste Ennahda. Militant dans les années 1980 au sein d’un syndicat étudiant appartenant à la tendance islamiste, il avait passé quelques années en prison, « avant d’être finalement récupéré par le régime Ben Ali », avance Nedra Boukesra, journaliste à la TAP, pour qui cette nomination est purement « partisane » et « révèle une volonté de mainmise d’Ennahda et du gouvernement sur les médias ».
Au sein d’Ennahda, on rejette ces accusations et on explique que le parti n’a « rien à voir avec cette nomination ». Quant au chef du gouvernement, Hichem Mechichi, il a déclaré le 12 avril qu’il ne reviendrait pas sur sa décision et que l’indépendance de la ligne éditoriale de l’agence relève de la responsabilité de ses 150 journalistes.
Pour la TAP, qui a eu tant de mal à amorcer sa transition en un média indépendant et a connu près de sept patrons différents depuis la révolution, c’est un nouveau coup dur. Créée en 1961, elle avait en effet dévié de sa mission de service public sous le régime de l’ancien dictateur, qui en avait fait un outil de propagande. Un fonctionnement largement décrit dans un rapport de l’Instance indépendante chargée de la réforme de l’information et la communication (Inric) publié en 2012.
Menace de grève générale
Pour Rachida Ennaifer, ancienne chargée de communication à la présidence de la République et membre de la Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica), ces problèmes révèlent le besoin de réformer en profondeur le secteur public tunisien : « Ces nominations se font unilatéralement car elles obéissent à des lois qui datent de la période Ben Ali, quand le pouvoir contrôlait les médias publics. Depuis 2011, nous avons maintes fois poussé pour une réforme du secteur et du mode de fonctionnement de la TAP, mais aucun gouvernement n’y a répondu favorablement. »
« On ne comprend ni les intentions du chef du gouvernement ni son timing, sachant que la précédente PDG, en poste depuis dix mois, n’a commis aucune faute grave », ajoute Larbi Chouikha, professeur en sciences politiques, pour qui cette nomination « ne prend pas en compte la nouvelle donne en Tunisie : celle de la liberté de la presse. »
Pour le moment, le climat ne semble en tout cas pas près de s’apaiser. Les journalistes de la TAP ont menacé de mener une grève générale le 22 avril si la nomination de Kamel Ben Younes n’était pas revue d’ici là par le chef du gouvernement. Plusieurs associations défendant la liberté de la presse, dont le bureau de Reporters sans frontières (RSF) en Tunisie, ont de leur côté dénoncé l’incursion de la police dans les locaux de l’agence.
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