En Autriche, les tristes princesses noires de « Joy »

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Le film de Sudabeh Mortezai suit le parcours de prostituées nigérianes dans les rues de Vienne. Une réalité aux antipodes du pays fantasmé par l’extrême droite.

Par Blaise Gauquelin Publié aujourd’hui à 10h17

Temps de Lecture 3 min.

Le film « Joy » se penche sur le commerce de femmes par des femmes en Autriche.
Le film « Joy » se penche sur le commerce de femmes par des femmes en Autriche. Freibeuterfilm

Meilleur film à Londres, Etoile d’Or à Marrakech, Grand Prix aux Arcs : le long-métrage autrichien de l’année est une fiction qui présente de manière très réaliste le quotidien sordide de beautés nigérianes, exploitées dans les rues de la zone industrielle de Vienne par un réseau mafieux intercontinental.

Joy, en salle depuis le 18 janvier en Autriche, est salué pour la précision de sa mise en scène et le jeu de ses actrices. Il suit le parcours d’une prostituée ayant bientôt payé sa dette à sa proxénète, appelée Madame, et qui tente d’initier à sa nouvelle réalité une jeune sœur de destin n’ayant pas réalisé, avant de partir, ce qui l’attendait dans ce Nord qu’elle a tant rêvé.

« Joy » est à mille lieues des clichés d’une Autriche fantasmée blanche, chrétienne et conservatrice.

Ce commerce de femmes par des femmes est montré crûment par une femme, la réalisatrice autrichienne Sudabeh Mortezai, dont les parents sont nés en Iran. Documentée avec une précision méticuleuse, Joy est à mille lieues des clichés véhiculés généralement sur ce pays d’Europe centrale, où un gouvernement de coalition entre la droite et les nationalistes s’évertue, depuis son intronisation en décembre 2017, à mettre en valeur une Autriche
fantasmée blanche, chrétienne et conservatrice.

Elle l’est, évidemment. Mais pas uniquement. Car ce petit pays d’Europe centrale compte parmi les plus cosmopolites de la planète. Les statistiques officielles sont sans appel : sa capitale est une ville-monde, où cohabitent pour le meilleur et pour le pire des communautés venues de tous les continents, qui s’inventent un avenir métissé. Un Viennois sur deux a des parents nés à l’étranger.

Hostilité

« La réalité, c’est que la migration joue un rôle important en Autriche et que cet aspect est nié par la classe politique », énonce la réalisatrice, qui ne se lasse pas de sauter dans des avions pour concourir dans de multiples festivals sous le drapeau rouge-blanc-rouge de l’Etat qu’elle entend fièrement représenter. « Lorsque l’on écoute parler les politiciens, on les entend qui évoquent “leur” Autriche, forcément “pure”. Ils mettent systématiquement en avant les aspects négatifs de la migration. Par exemple, le ministre de l’intérieur, Herbert Kickl [issu du FPÖ, formation d’extrême droite], demande aux fonctionnaires d’insister sur les origines étrangères des personnes commettant des délits. »

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Cette xénophobie nouvellement institutionnalisée exaspère les milieux artistiques, très développés dans une nation ayant toujours privilégié la culture sous toutes ses formes. Récemment, le plus « bankable » des acteurs autrichiens, Christoph Waltz – il fait carrière à Hollywood –, a déclaré au journal allemand Die Welt « énormément souffrir » des développements politiques « préoccupants » sur les bords du Danube. Une franchise à l’image de la profession dans son ensemble, qui affiche ouvertement son hostilité à l’extrême droite.

Sudabeh Mortezai ne s’en étonne donc pas : elle est plus réclamée par-delà les frontières que dans sa patrie. Alors que les faits divers impliquant des demandeurs d’asile inondent les tabloïds, sans doute une grande partie de la population ne se sent-elle plus concernée par des travellings montrant l’Autriche depuis le point de vue silencieux de ces milliers de femmes noires, dont les silhouettes sont aperçues la nuit. C’est pourtant ce renversement qui rend le film artistiquement très séduisant. Foulées par des Nigérianes, les allées enneigées sont exotiques et pleines de dangers.

Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant)

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