En Autriche, il ne fait pas bon être musulman

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Les musulmans représentent 8 % de la population autrichienne (ici, sur le Brunnenmarkt, l’un des plus grands marchés de Vienne).
Les musulmans représentent 8 % de la population autrichienne (ici, sur le Brunnenmarkt, l’un des plus grands marchés de Vienne). Peter Rigaud/LAIF-REA

Ils sont une cinquantaine à s’être rassemblés pour la prière de l’après-midi, les hommes devant, les femmes derrière. A la mosquée Aziziye, située dans un quartier populaire du 15e arrondissement de Vienne, les fidèles lisent le Coran sur la moquette azur. Mais le cœur n’y est pas vraiment. « Les gens ont peur d’être victimes d’un attentat et ils viennent moins nombreux, déplore Harun Erciyas, l’un des responsables de l’IGGÖ (Islamische Glaubengemeinschaft in Österreich), le conseil représentant les musulmans en Autriche. Le 15 mars, il y a eu cinquante morts lors de l’attaque de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, dirigée contre des mosquées. L’angoisse de vivre un tel événement pétrifie la communauté. »

S’ils craignent pour leur vie, c’est également parce que les musulmans d’Autriche ont conscience d’évoluer dans un contexte tout à fait particulier. Ils sont officiellement enregistrés, c’est la loi. Et représentent 8 % des 8,8 millions d’Autrichiens, ce qui est l’un des taux les plus élevés de l’Union européenne. Or les électeurs plébiscitent une extrême droite qui les stigmatise depuis des années et qui, de nouveau, les a placés au cœur de sa campagne pour les élections européennes. Selon elle, la crise des réfugiés de 2015 a prouvé que la civilisation européenne est menacée par les flux de population en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique. « L’Australien Brenton Tarrant a justifié l’assassinat en masse de nos coreligionnaires (le suprémaciste blanc est inculpé des 50 meurtres) en évoquant un prétendu grand remplacement des populations occidentales, rappelle Ümit Vural, président de l’IGGÖ. Or le vice-chancelier, Heinz-Christian Strache, qui est le chef du FPÖ [Parti de la liberté d’Autriche, extrême droite], estime que cette expression est légitime. »

Les actes islamophobes ont bondi de 309 à 540

Le président de l’IGGÖ, qui gère 360 mosquées et affirme lutter autant qu’il le peut contre la radicalisation dans ses propres rangs, ajoute : « Brenton Tarrant a aidé financièrement la mouvance radicale identitaire en Autriche [un mouvement de 300 militants nationalistes]. Il est venu ici. On doute que le ministre de l’intérieur, Herbert Kickl [lui aussi d’extrême droite], dont les liens avec ce milieu sont connus, ne fasse toute la lumière sur ce réseau. »

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Depuis le retour au pouvoir du FPÖ il y a un an et demi, à la faveur d’une coalition avec les conservateurs, ce qu’on appelle le « vivre-ensemble » s’est considérablement dégradé en Autriche. Entre 2017 et 2018, le nombre des agressions, insultes ou discriminations dont les musulmans ont fait l’objet a bondi de 309 à 540. « Dans la rue, on me regarde de travers à cause de mon tchador », témoigne Betül Yokus, 20 ans, étudiante en sociologie. « A la caisse du supermarché, on me parle comme à une imbécile, car on pense que je ne comprends pas l’allemand, alors que je suis autrichienne. » A la piscine, une demoiselle en burkini s’est fait traiter de « truie ». Dans le bus, un réfugié syrien a entendu une vieille dame lui lancer qu’on ferait mieux de « gazer » les gens comme lui. Face à de tels propos, les musulmans se sentent désarmés. « L’Autriche est certes au centre du continent, mais l’Europe semble bien loin pour les musulmans, quand il s’agit de répondre aux discriminations dont ils font l’objet, regrette Rusen Timur Aksak, porte-parole de l’IGGÖ. La Commission a nommé un coordinateur chargé de la lutte contre l’antisémitisme. Désigner quelqu’un pour faire le même travail en faveur des musulmans rapprocherait sans doute ces derniers des institutions de l’Union européenne. »

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L’ONG SOS Mitmensch a relevé pas moins de vingt prises de parole de ministres ou de membres de la direction du FPÖ pouvant être qualifiées de racistes à l’encontre des musulmans. « C’est pour cela que j’ai décidé de porter plainte, affirme Ümit Vural. Cette incitation à la haine, sciemment entretenue par calcul politique, doit cesser. Etant donné le contexte international, M. Strache ne doit plus pouvoir dire, depuis sa position de vice-chancelier, que dans des jardins d’enfants viennois, des mineurs sont éduqués à devenir des martyrs ou qu’il y a un lien entre le pourcentage de citoyens musulmans et les conditions d’une guerre civile. »

Le journaliste allemand Andreas Speit vient de publier une enquête (Das Netzwerk der Identitären, Ch. Links Verlag, non traduit) concernant l’émergence de la mouvance identitaire dans les cercles de l’extrême droite, sur le vieux continent, depuis 2012. Selon lui, elle est la conséquence d’une banalisation des discours excluants et un acte terroriste de masse visant les musulmans n’est plus à exclure. « Un électeur du FPÖ peut aujourd’hui se sentir menacé par la présence musulmane au point de passer à l’action, assure-t-il. Heinz-Christian Strache ne doit pas se dédouaner de toute responsabilité. » Proche des néonazis dans sa jeunesse, l’allié de Marine Le Pen, qui a longtemps voulu que l’Autriche quitte l’Europe avant de réviser ses positions, n’a pas répondu aux demandes d’entretien du Monde.

L’opposition tétanisée

Quand les journalistes qui veulent évoquer les positions du FPÖ ne sont pas boycottés, ils sont menacés. Le 23 avril, interrogé par la télévision publique ORF pour le lancement de sa campagne, le candidat de ce parti au Parlement européen, Harald Vilimsky, a promis à un présentateur des « représailles », parce qu’il avait comparé les affiches de l’extrême droite caricaturant les musulmans aux matériaux de propagande hitlérienne antisémite. Il n’a de cesse de dénoncer « les avancées de l’islam politique » dont il entend « protéger les Autrichiens ». Le FPÖ accompagne systématiquement sa communication de visuels présentant des femmes en burqa ou en niqab. Pourtant, une infime minorité des musulmans revendique son appartenance à un islam rigoriste.

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Le fondateur très médiatique du groupuscule représentant les « identitaires » en Autriche, Martin Sellner, milite depuis sept ans pour le renvoi des immigrés sur leurs terres d’origine ou pour leur assimilation forcée. Attablé dans un café branché des beaux quartiers, sur les collines boisées de Vienne où fut stoppée l’offensive ottomane, cet ex-étudiant en philo dénonce la terreur… avec ambiguïté : « C’est vrai, j’ai reçu de l’argent de cet Australien, j’ai échangé des courriels avec lui. C’était avant son geste. Ce n’est pas de ma faute si l’islamisation provoque des angoisses. Moi, j’essaie de porter le débat à un niveau uniquement politique. Si l’on ne nous écoute pas, la société sera de plus en plus radicalisée. Je ne me sentirai pas du tout responsable si une fusillade avait lieu en Autriche. »

« Nous sommes les descendants d’ouvriers turcs ou bosniaques ayant construit ce pays. On devrait être protégés par la gauche. Voilà comment on est remerciés. » Ümit Vural, président de l’IGGO

Confrontée à de tels propos, la communauté musulmane ne sait plus vers qui se tourner. « Ce qui me choque le plus, c’est l’absence de réaction de l’opposition, soupire Ümit Vural. Nous sommes, traditionnellement, les descendants d’ouvriers turcs ou bosniaques ayant construit ce pays. On devrait être protégés par la gauche. Voilà comment on est remerciés. » De fait, le Parti social-démocrate SPÖ semble tétanisé par la situation. De peur de perdre des points dans les sondages, il ne monte pas au créneau pour cette minorité. Les musulmans organisent donc eux-mêmes des séminaires. Ils tentent d’apprendre aux participants comment réagir en cas d’agression. Muhamed Ali, 14 ans, ne s’y rendra certainement pas. Traité de « sale musulman de merde » après avoir marqué un but avec son équipe de foot, il ne veut pas rester dans la ville qui l’a vu naître : « Je vais aller en Turquie, comme mes frères qui sont déjà partis. Je me sentirai mieux là-bas », déplore-t-il.

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Mahmud Yavuz, professeur de religion dans les écoles publiques et imam, craint qu’il soit imité par nombre de ses camarades. « On rejette les jeunes qui veulent contribuer à la prospérité de l’Autriche, s’indigne-t-il. Le fossé se creuse. Plus personne ne veut avoir affaire à nous. Avant, les voisins venaient à la mosquée pour la journée des portes ouvertes. C’est terminé. Les médias parlent de nous quotidiennement, mais sans nous. Nulle part, vous pourrez lire comment nous nous sentons ! Les musulmans votent de moins en moins. » Ismet Cömlet, 73 ans, écoute tout cela avec une grande tristesse. Il vient faire sa prière à la mosquée Aziziye depuis 1969. Il résume la gravité de la situation : « Fini le temps où chacun parlait avec chacun. » Maintenant, un mur est dans les têtes.

Blaise Gauquelin (Vienne, correspondant)

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