En Algérie, les juges font grève et les détenus du « hirak » restent en prison

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Des magistrats algériens manifestent à Alger, le 31 octobre 2019.
Des magistrats algériens manifestent à Alger, le 31 octobre 2019. Ramzi Boudina / REUTERS

Assis sur des bancs en bois recouverts de cuir fatigué, des hommes et des femmes jettent un œil inquiet vers la porte de la salle d’audience. Une centaine de jugements doivent être prononcés, ce mardi 29 octobre, au tribunal de Sidi M’Hamed, à Alger, selon l’écran installé à l’entrée de la salle et sur lequel défilent les références des affaires et les noms des prévenus. « Il n’y a pas de juge, madame », chuchote une dame à une autre qui vient d’entrer. Chacun patiente pourtant sans oser se lever, espérant que la situation se dénoue.

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« C’est ici pour les détenus du drapeau ? », interroge une femme. Hochements de tête. « C’est la première fois que je viens, je voulais montrer mon soutien aux jeunes », souffle-t-elle en s’asseyant. Deux avocats enfilent leur robe, un greffier apparaît, un policier traverse la salle. Pendant quelques secondes, les proches des six jeunes hommes accusés d’atteinte à l’intégrité du territoire – ils ont été arrêtés pour avoir exhibé un drapeau berbère – ont cru que leur attente allait prendre fin. Mais les magistrats, en grève « illimitée » depuis dimanche 27 octobre, ne sont pas venus.

« Je suis juge, pas corrompu »

Dans le hall du tribunal, une petite centaine de personnes sont rassemblées. Pères, frères, sœurs, mères, épouses de détenus s’embrassent et se glissent quelques mots à l’oreille. Arezki Challal, l’un des représentants du collectif des familles de détenus, regarde son téléphone : « La détention provisoire de mon fils a été prolongée », dit-il. Personne ne l’a donc prévenu ? « Oh, nous, si ce n’est pas les réseaux sociaux, personne ne nous prévient », soupire-t-il. « Pour prolonger la détention, la justice n’est pas en grève, mais pour libérer les gens, là… », s’emporte Omar Abed, dont le beau-frère est détenu depuis le 21 juin.

Les familles ont beau garder le sourire, elles sont abattues. « Je suis en colère », dit Fadila Messouci, dont la sœur, élue locale, a été arrêtée dans la capitale le 21 juin également : « Se mettre en grève alors que nos proches sont détenus arbitrairement depuis quatre mois et demi, c’est cautionner le pouvoir. Les juges disent que malgré la grève, ils poursuivront la gestion de l’élection présidentielle. Cela n’a rien à voir avec les demandes du peuple. Est-ce bien le moment pour des revendications sociales ? »

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Les magistrats contestent un mouvement de mutations décidé par le ministère de la justice et qui touche près de 3 000 d’entre eux. Le Syndicat national des magistrats (SNM), qui a déclenché la grève dimanche, dénonce la « mainmise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire ». Le nombre de juges visés par ce train de nominations est inédit – il correspond aux trois quarts des effectifs –, mais le ministre de la justice, Belkacem Zeghmati, l’a justifié par la nécessité de « rétablir la crédibilité de la justice au sein des juridictions concernées et mettre fin aux nombreuses critiques exprimées depuis très longtemps ».

Les magistrats demandent de meilleures conditions pour ces mutations et se sentent stigmatisés par les déclarations du ministre. « Je suis juge, pas corrompu », scandaient certains d’entre eux, mardi, lors de rassemblements dans le pays. Selon le SNM, le taux de grévistes dépasse les 95 %.

« On n’a aucune information »

Un cortège de plusieurs milliers de personnes passe devant le tribunal. Comme chaque mardi, des étudiants accompagnés d’autres manifestants défilent dans le cœur d’Alger pour demander un changement de régime politique, exprimer leur rejet de l’élection présidentielle du 12 décembre, mais aussi réclamer la libération des détenus. « Ce hirak [mouvement] est un devoir national », chantent-ils. L’approche du vendredi 1er novembre, jour anniversaire du déclenchement de la guerre d’indépendance, en 1954, est dans toutes les têtes : « Le 1er novembre, c’est la bataille d’Alger », scande un groupe de jeunes hommes.

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Mercredi matin, au tribunal de Baïnem, à l’ouest de la capitale, la salle d’audience est elle aussi restée vide. Le juge devait prononcer un verdict pour cinq jeunes hommes arrêtés en juin, également accusés d’atteinte à l’intégrité du territoire. « On ne nous a donné aucune information », raconte Souad Leftissi, sœur d’un détenu qui devait être jugé la veille : « On ne sait pas quand et comment les audiences vont être programmées. C’est terrible, parce que certains détenus avaient l’espoir de sortir pour manifester le 1er novembre. »

La grève risque d’avoir une autre conséquence : sans renouvellement de leurs permis de visite par un juge, les familles se verront refuser l’accès bimensuel qu’elles ont à la prison d’El Harrach. Mercredi après-midi, le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, a affirmé dans un nouveau discours que ceux qui appelaient à la libération des détenus arrêtés pour port de drapeau émettaient des « propositions stériles et mort-nées […] rejetées dans la forme et dans le fond, car le drapeau national est le symbole de la souveraineté nationale ».

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