En Algérie, « est-ce qu’on ne risque pas de perdre ce qu’on a acquis depuis un an ? »

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Un marché en plein air à Alger, le 19 avril 2020.
Un marché en plein air à Alger, le 19 avril 2020. Ramzi Boudina / REUTERS

« Il a fallu qu’on soit raisonnables. On est resté chez nous et on a tenté de sensibiliser les autres à faire pareil, alors que des personnes connues disaient que l’épidémie n’était qu’un prétexte utilisé par les autorités. Mais aujourd’hui, on est saturé d’informations sur des jeunes arrêtés. »

Imène, 36 ans, cheffe d’entreprise, a fait comme de nombreux Algériens : face au risque de propagation de la pandémie de Covid-19, elle a arrêté de manifester le vendredi, dans le cadre du Hirak. Mais aujourd’hui, elle est amère : « Notre impuissance face à ces arrestations rend le confinement encore plus difficile. »

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Depuis le 17 mars, les rassemblements sont interdits en Algérie. C’est l’une des mesures prises pour limiter l’extension de la maladie, dont le bilan au 7 mai est de 8 298 cas pris en charge et 476 décès. Mais si la nécessité de respecter des mesures barrières semble largement acceptée, les manifestants s’inquiètent du climat de répression accrue à l’œuvre ces dernières semaines.

Le 3 mai, le Comité national pour la libération des détenus affirmait que 17 personnes avaient été incarcérées depuis le début du confinement, le 24 mars, et plus de 50 avaient reçu des convocations pour des publications sur les réseaux sociaux. Les deux jours suivants, 6 personnes étaient convoquées par les forces de sécurité, trois placées sous mandat de dépôt et un homme condamné à 6 mois de prison ferme.

A la crainte se mêle la colère

« La situation me rappelle celle de 2001, souligne Hakim Addad, militant détenu pendant plus de trois mois en 2019. Cette année-là, le monde entier regardait ce qu’il se passait en Algérie et en Kabylie [126 morts entre avril et juin 2001 dans la répression de manifestations et émeutes]. Puis il y a eu le 11 septembre et les regards se sont détournés. Dès le lendemain, la répression a repris ». Lui est catégorique : « L’absence de manifestation encourage les autorités à réprimer. »

Deux condamnations ont particulièrement choqué. Le 3 mai, le tribunal d’Aïn Témouchent a condamné Malik Riahi à 18 mois de prison ferme. Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, il demandait où en étaient certaines propositions politiques des autorités. « Quand un jeune est condamné à 18 mois pour une vidéo ironique dans laquelle il reprend les promesses du président, alors c’est qu’on n’a vraiment plus le droit de dire quoique ce soit », s’alarme Hakim Addad.

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« Cette incarcération, c’est comme si on nous disait : “Ne posez plus de question”, déplore Salim Frahtia, 32 ans, un habitué des manifestations à Sétif, à 260 kilomètres à l’est d’Alger. On se dit que le prochain, ça peut être nous. »

A la crainte se mêle la colère. Comme lorsque dans la ville de Salim, Walid Kechida est placé en détention, le 27 avril, pour plusieurs publications sur son profil Facebook. Il est accusé d’avoir porté atteinte aux institutions de l’Etat, au président de la République, mais aussi à l’islam.

Arrestations et nouvelle loi répressive

Dans cette ville, l’étudiant de 25 ans est connu pour avoir participé aux manifestations hebdomadaires du Hirak, mais aussi pour avoir créé un club d’apprentissage de langues et un autre d’échange de livres. Sa notoriété s’étend même sur les réseaux sociaux à travers le pays grâce à la page « Hirak memes », un regroupement d’images humoristiques qu’il a créée.

« La mère de Walid qui se retrouve seule du jour au lendemain, ça pourrait être moi, s’emporte Sandri Triki, enseignante à l’université d’Annaba. On ne peut pas rester sans rien dire. J’ai deux fils. Je me demande constamment quelle société on va leur laisser ? »

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En parallèle de ces arrestations, un projet de loi « relatif à la prévention et à la lutte contre la discrimination et le discours de haine » a été présenté en conseil des ministres, validé par le Parlement puis publié au Journal officiel, tout cela en l’espace de quelques jours. Le texte prévoit notamment une peine de 5 à 10 ans de prison pour quiconque « crée, administre ou supervise un site ou un compte électronique pour y publier des renseignements pour la promotion d’un programme, d’idées, d’informations, dessins ou photos susceptibles de provoquer la discrimination et la haine dans la société ».

« Avec le confinement, ils peuvent venir te chercher chez toi, en catimini, personne ne pourra rien faire pour toi. On réfléchit plusieurs fois avant d’écrire sur les réseaux sociaux. La peur s’est réinstallée », estime Imène, la cheffe d’entreprise. Plusieurs manifestants racontent que leurs proches leur demandent de « faire attention ».

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« Quand on voit qu’on te met en prison pour rien, que des gens qui étaient dans le Hirak sont désormais au gouvernement, que des journaux changent de ligne éditoriale, on ne sait plus à qui on peut faire confiance. On se sent trahis. On ne peut compter que sur nous-mêmes », estime Salim Frahtia. « Est-ce qu’on ne risque pas de perdre ce qu’on a acquis depuis un an ? », s’inquiète pour sa part Hakim Addad.

Deux rassemblements ont été organisés, dans la région de Sétif le 1er mai, et dans la ville de Tizi-Ouzou, le 3 mai, pour protester contre la convocation de militants par les services de sécurité. Les manifestants interrogés par Le Monde Afrique affirment qu’ils attendront la fin de la pandémie pour reprendre la mobilisation.

« La situation actuelle nous conforte dans notre idée qu’on ne peut pas obtenir de changement avec des gens du système. Mais il faudra vraiment beaucoup de force pour revenir là où on en était. Je comprendrais que des gens aient peur », avoue Salim Frehtia. La mobilisation semble incontournable également pour Sandra Triki, l’enseignante : « La répression s’est aggravée. Ils veulent que les manifestations cessent. Mais rien n’a changé. On ne parle toujours pas de démocratie, ni de moderniser l’économie. »

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